Grammaire et technique
Gramsci, Cahiers de prison
Peut-on poser le problème pour la grammaire comme pour la «
technique » en général ?
La grammaire est-elle seulement la technique de la langue ?
En tout cas, la thèse des idéalistes, surtout la thèse gentilienne (Giovanni Gentile
(eng.), philosophe
italien, ancien ministre de l’éducation (qu’il a réformée dans un sens “antipositiviste
et anti-Lumières”), théoricien du fascisme, rédigea le Manifeste des Intellectuels du fascisme en 1925. Fusillé par les
partisans en 1944.), de l'inutilité de la
grammaire et de son exclusion de l'enseignement scolaire, est-elle justifiée ?
Si l'on parle (on s'exprime avec des mots) d'une façon
historiquement déterminée pour des nations ou pour des aires linguistiques,
peut-on se passer d'enseigner cette « façon historiquement déterminée » ?
Une fois admis que la grammaire normative traditionnelle est
insuffisante, est-ce une bonne raison pour n'enseigner aucune grammaire,
c'est-à-dire pour ne se préoccuper d'aucune façon d'accélérer l'apprentissage
de la manière de parler déterminée d'une certaine aire linguistique, mais de laisser «
apprendre la langue dans le langage vivant » ou autres expressions de ce genre employées
par Gentile ou par les gentiliens ?
Il s'agit au fond d'une forme de libéralisme des plus extravagantes
et des plus biscornues.
Doit-on apprendre «
systématiquement » la technique ?
Il est arrivé que la technique de l'artisan de village
s'oppose à celle de Ford.
On apprend la « technique industrielle » de bien des
façons :
- artisans, pendant le travail de l'usine lui-même, observant comment
les autres travaillent (et donc avec une plus grande perte de temps et
d'énergie et seulement partiellement) ;
- dans les écoles professionnelles (dans
lesquelles on apprend systématiquement tout le métier, même si quelques-unes
des notions apprises ne doivent servir qu'un petit nombre de fois dans la vie,
et même jamais) ;
- par la combinaison des différentes manières, avec le système
Taylor-Ford qui crée un nouveau type de qualification et de métier limité à des
usines déterminées, et même à des machines ou à des moments du processus de
production.
La grammaire normative, que l'on ne peut concevoir séparée du
langage vivant que par abstraction, tend à faire apprendre l'ensemble de
l'organisme de la langue déterminée et à créer une attitude spirituelle qui
rend apte à s'orienter toujours dans le domaine linguistique (voir la note sur
l'étude du latin dans les écoles classiques).
Si la grammaire est exclue de l'école et n'est pas « écrite », on
ne peut pas l'exclure, pour autant, de la « vie » réelle, comme on l'a déjà dit
dans une autre note : on exclut seulement l'intervention organisée et unitaire
dans l'apprentissage de la langue et, en réalité, on exclut de l'apprentissage de la
langue cultivée la masse populaire nationale, puisque la couche dirigeante la plus
élevée, qui parle traditionnellement le « beau langage » , transmet cette langue
de génération en génération, à travers un processus lent qui commence avec les premiers
balbutiements de l'enfant sous la direction des parents, et qui se poursuit
dans la conversation (avec ses « on dit ainsi » , « on doit dire ainsi » ,
etc.) toute la vie : en réalité, on étudie « toujours » la grammaire, etc. (par
l'imitation des modèles admirés, etc.).
Il y a, dans la position de Gentile, beaucoup plus de politique
qu'on ne le croit et beaucoup d'attitude réactionnaire inconsciente comme du reste on l'a
noté d'autres fois à d'autres occasions ; il y a toute l'attitude réactionnaire
de la vieille conception libérale, il y a un « laisser-faire, laisser-passer »
qui n'est pas justifié comme il l'était chez Rousseau (et Gentile est plus
rousseauiste qu'il ne le croit) par l'opposition à la paralysie de l'école
jésuite, mais il est devenu une idéologie abstraite et « anhistorique ».
cool
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