22 décembre 2012

Les racines religieuses de l'enseignement centré sur l'enfant, par E.D. Hirsch Jr.

Cet article a été publié sous un autre titre dans Education Next par the Hoover Institution, © 2001 by the Board of Trustees of Leland Stanford Junior University.

E.D. Hirsch Jr est le créateur de Core Knowledge, une fondation américaine visant à créer des programmes et des manuels destinés à assurer une instruction de qualité à tous.

Traduction de Pierre Lariba qui a déjà traduit du même auteur le Guide critique des termes et expressions pièges qui parsèment le débat éducatif.

-----------------------------------------

http://www.franklinhill.com/projects.php
L’école de Celebration de Disney a paru être un nouveau conte de fées créé par les auteurs de la Petite Sirène et du Roi lion. Elle était censée être l’école idéale, implantée dans la communauté nouvellement fondée par Disney en Floride : Celebration. Selon le New York Times, l’école devait suivre les méthodes d’enseignement les « plus avancées ». En fait ces méthodes nouvelles étaient des resucées de projets progressistes datant d’au moins cent ans – comme Diane Ravitch l’a démontré dans son livre récent Left Back – des projets tels que des groupes d’âges mélangés dans lesquels chaque enfant va à son propre rythme ; des évaluations individualisées au lieu de tests objectifs ; des enseignants plus entraîneurs que savants ; des projets plutôt que des manuels.



De telles méthodes, bien qu’utilisées depuis des décennies, ont rarement bien marché. L’école de Celebration n’a pas fait exception. Comme le disait le titre du Times, il y avait « des difficultés dans l’école la plus heureuse de la Terre ». L’article commençait ainsi : « La rentrée ne date ici que de quelques jours, et c’est donc une surprise que des parents fassent la queue pour retirer leurs enfants ». Les parents affirmaient qu’ils étaient mécontents du manque d’objectifs clairement scolaires et de mesures de la réussite aussi bien que du manque d’ordre et de structure qui accompagnaient les méthodes progressistes.



L’échec de l’école de Celebration était totalement prévisible. Dans les années 1980, le distingué sociologue James Coleman a conduit une recherche de grande ampleur, soigneusement mise en œuvre, qui a démontré l’inefficacité des méthodes progressistes en ce qui concerne la réussite scolaire générale et la réduction de l’écart entre élèves favorisés et défavorisés. Coleman a trouvé que les écoles catholiques américaines arrivent à plus d’équité scolaire que les écoles publiques car elles suivent un programme riche et exigeant ; elles fournissent un environnement structuré, ordonné ; elles offrent beaucoup d’enseignement explicite, y compris des exercices et de l’entraînement ; et elles attendent de chaque enfant qu’il atteigne des buts minimums dans chaque matière à la fin de l’année. Tout ceci se trouve en parfait contraste avec les idéaux progressistes de l’enseignement implicite non structuré et avec l’enseignement adapté à chacun qui prédomine aujourd’hui dans les écoles publiques. Par conséquent, les enfants désavantagés réussissent scolairement dans les écoles catholiques et ces écoles réduisent les écarts entre races et classes sociales. Quand il a été critiqué pour avoir condamné les écoles publiques, Coleman a fait valoir que les mêmes résultats de démocratisation étaient atteints dans les rares écoles publiques qui défiaient la doctrine progressiste. Mis en rapport avec des comparaisons internationales à grande échelle, le travail de Coleman est l’ensemble de données le plus fiable que nous avons concernant la validité des idées progressistes et il n’a jamais été réfuté.



La manière progressiste de diriger une école est essentiellement à l’opposé de celle que la recherche sur les écoles efficaces nous a démontrée.




Les preuves contre les théories de l’enseignement progressiste sont encore plus évidentes si l’on combine les données de Coleman avec la recherche sur les « écoles efficaces ». Celles-ci sont caractérisées par des objectifs scolaires explicites et sur lesquels on s’accorde pour tous les enfants ; un accent mis sur le scolaire ; l’ordre et la discipline en classe ; le maximum de temps passé à des tâches d’apprentissage et de fréquentes évaluations des performances des élèves – tous principes répudiés par l’école Disney et aussi par beaucoup de réformes de l’éducation « nouvelle ». En fait la manière progressiste de diriger une école est essentiellement à l’opposé de celle que la recherche sur les écoles efficaces nous a démontrée. Une compilation récente de ces recherches faite par la regrettée Jeanne Chall, la grande érudite, peut être trouvée dans The Academic Achievement Challenge: What Really Works in the Classroom? (2000).



On pourrait penser que les échecs du progressisme scolaire aurait induit du scepticisme à la fois chez ses adhérents et chez le public. Malgré cela, les théories non empiriques des éducateurs progressistes – généralement déguisées sous des prétentions empiriques – demeurent très influentes chez les enseignants, les administrateurs et les distingués professeurs. Leurs hypothèses tacites exercent aussi une influence cachée sur le public américain. Par exemple, le dénigrement des tests ne serait pas aussi populaire si les théories progressistes de l’éducation ne résonnaient pas d’une manière ou d’une autre part avec les croyances largement répandues des Américains sur les enfants et l’apprentissage. On peut comprendre pourquoi les progressistes doivent dénigrer les tests quand leurs méthodes échouent constamment à améliorer les résultats des tests. Mais pourquoi les autres devraient-ils accepter ce dénigrement, disons, des tests de lecture, qui sont parmi les plus valides et les plus fiables ?



Selon moi, les idées progressistes sur l’éducation se sont montrées si séduisantes car leur attrait ne repose pas sur leurs effets pratiques mais sur leurs liens avec le romantisme, mouvement philosophique du XIXe siècle si influent dans la culture américaine qui a exalté tout ce qui est naturel et qui a déprécié tout ce qui est artificiel. Les progressistes appliquèrent ce principe romantique à l’éducation en posant que l’éducation devrait être un processus naturel de croissance qui découle des intérêts et des instincts naturels de l’enfant. Le mot de « nature » dans la tradition romantique connote le sens d’un lien avec le sacré, donnant aux dogmes du progressisme tout le poids d’une conviction religieuse. Nous savons par avance, dans nos tripes que ce qui est naturel doit être mieux que ce qui est artificiel. Cette révélation est la vérité absolue contre laquelle l’expérience elle-même doit être mesurée et tout échec d’une pratique pédagogique doit être dû à une mise en œuvre fautive des principes pédagogiques progressistes ou à une interprétation fautive des résultats scolaires. Ainsi les résultats de purs tests de lecture ne doivent pas être jugés sur leur apparence car on ne peut espérer que de tels instruments défectueux puissent mesurer les véritables effets de l’enseignement. Les croyances fondamentales du progressisme sont  inaccessibles aux données qui leur sont défavorables car son parent philosophique, le romantisme, est une sorte de théologie séculière qui, comme toute religion, est fondamentalement résistante aux faits. Un vrai croyant dédaigne les simples preuves.



Un abîme qui sépare




Il y a beaucoup de disputes dans le domaine de l’enseignement mais aucune n’est aussi vive que la guerre des maths et de la lecture – batailles pour savoir ce qui est la meilleure façon d’enseigner à lire et à résoudre des problèmes mathématiques. Ce ne sont pas seulement des disputes sur des techniques pédagogiques ; ce sont les expressions de deux appréhensions distinctes et opposées de la nature des enfants et de comment ils apprennent. Les deux côtés sont mieux définis comme les expressions d’orientations romantiques contre des orientations classiques de l’éducation. Par exemple, la « méthode globale », approche progressiste pour enseigner aux enfants à lire, est romantique dans son impulsion.  Elle compare le processus naturel d’apprentissage d’une langue orale maternelle avec le processus très peu naturel d’apprentissage de l’écriture alphabétique. La charge émotionnelle des idées progressistes est dans le caractère naturel. Le naturel est nourrissant sur le plan spirituel ; l’artificiel est étouffant. Dans les années 1920, William Kilpatrick et d’autres progressistes romantiques plaidaient déjà pour la « méthode globale » pour beaucoup de raisons qui sont les mêmes utilisées de nos jours.



L’approche classique, par contraste, refuse de présumer que la méthode naturelle est toujours la meilleure. Enseignant la lecture, le classique est prêt à accepter que les linguistes révèlent que l’alphabet est un système artificiel d’encodage des sons de la langue. Apprenez les quarante sons singuliers de l’anglais et leur correspondance en combinaison de lettres et vous pouvez prononcer presque n’importe quel mot. Alors que les adeptes de la « méthode globale » considèrent le B.A. BA comme une approche non naturelle qui en séparant les sons et les lettres du sens et du concept échouent à donner aux enfants une vraie compréhension de la lecture.



Le progressiste croit qu’il est meilleur d’étudier les maths et la science à travers des méthodes naturelles du « monde réel », en mettant la main à la pâte qu’avec des modes décourageants d’apprentissage verbal et conceptuel ou bien par l’usage répété d’algorithmes en maths, même si les « vieilles » méthodes réussissent. Le classique est prêt à accepter le verdict des scientifiques selon lesquels les symboles artificiels et les algorithmes en mathématiques sont vraiment à l’origine de leur puissance. Les maths sont un instrument puissant précisément parce qu’elles ne sont pas naturelles. Elles permettent à l’esprit de manipuler des symboles de façon à transcender les capacités naturelles de calcul de l’esprit. Les intuitions naturelles du monde réel sont utiles en maths mais il devrait ne pas y avoir d’opposition superficielle entre des termes comme « compréhension », « mains à la pâte » et « applications du monde réel » et des termes comme « apprendre par cœur » et « les exercices c’est tuant ». Qu’est-ce qui est tuant dans le fait de mémoriser la table de multiplication ? Le progressiste dit que la joie des enfants, leur intérêt intrinsèque et leur compréhension en profondeur sont dans le fait de découvrir.



Le poète romantique William Wordsworth a dit : « Nous commettons un meurtre pour disséquer ». Le progressiste dit que les phonèmes et la place dans le mot ne doivent pas être disséqués, isolés de leur usage naturel ni imposés avant que l’enfant ne soit prêt naturellement. Au lieu d’un enseignement explicite, analytique, le romantique veut un enseignement implicite, naturel à travers des projets et de la découverte. Ceci explique la préférence romantique pour « l’apprentissage intégré » et « ce qui convient au développement ». L’enseignement qui place la matière à étudier dans son environnement naturel et la présente d’une façon naturelle est supérieur à l’analyse artificielle et à l’abstraction du langage. L’apprentissage la main à la pâte est supérieur à l’apprentissage verbal. Des applications de mathématiques dans le monde réel procurent une compréhension plus vraie que la maîtrise vide de relations formelles.



On remarque rarement le caractère religieux du progressisme car ce n’est pas un système de croyance ouvertement religieux. Le romantisme est une expression sécularisée d’une foi religieuse. Dans un essai justement célèbre, T. E. Hulme définit le romantisme comme une « religion renversée, étalée » [comme de la mélasse sur une table]. Le romantisme, disait-il, fait dévier les émotions religieuses d’un Dieu transcendant vers la divinité naturelle de ce monde. Les sentiments transcendants sont transférés vers l’expérience quotidienne – pareils à de la mélasse renversée sur la table comme Hulme l’exprimait. M. H. Abrams offrait une définition plus sympathique de cette tendance à fusionner le séculier et le religieux en donnant comme titre à son excellent livre sur le Romantisme Supernaturalism Natural* en 1971 (Un Surnaturel naturel). Le naturel est surnaturel. En termes de logique c’est une contradiction mais cela capte bien la foi des romantiques selon laquelle un souffle divin anime les êtres humains et le monde naturel.



En termes émotionnels, le romantisme est une affirmation de ce monde – un refus de désapprouver cette vie en faveur du miel de l’autre monde. En termes théologiques ce sentiment s’appelle « panthéisme » – foi selon laquelle Dieu habite toute réalité. Les religions transcendantes comme le christianisme, l’islam et l’hindouisme voit ce monde comme imparfait et considèrent la divinisation romantique de la nature comme une hérésie. Mais pour le romantique, les mots « nature » et « naturels » prennent la place du mot « Dieu » et donnent à la nature la place prééminente qui s’attache à la divinité. Comme dit Wordsworth :



Une seule impulsion venue d’un bois printanier

Peut t’en apprendre plus long sur l’homme.

Sur le mal et sur le bien moral,

Que ne le pourraient tous les sages.

The Tables Turned (1798).



Le romantique conçoit l’éducation comme un processus de croissance naturelle. Les métaphores botaniques sont si envahissantes dans la littérature américaine sur l’éducation que nous les prenons pour argent comptant. L’enseignant, comme un jardinier, devrait être un guide attentif sur le côté et non un sage sur l’estrade. (Le mot Kindergarten – jardin d’enfants – fut inventé par les romantiques.) Ce sont les romantiques qui commencèrent à mal traduire le mot latin educare, la racine latine du mot éducation, par « conduire hors de » ou « épanouir » en le confondant avec educere qui signifie vraiment « faire sortir », « conduire hors de ». C’était une erreur commode qui s’adaptait très bien avec le thème du développement naturel, étant donné que le mot développement lui-même signifie « se déployer ». Mais educare veut dire en réalité « élever (des enfants) » et « instruire ». Cela implique un entraînement délibéré selon des normes sociales et culturelles par contraste avec des mots comme « croissance » et « développement », qui impliquent que l’éducation est l’épanouissement de la nature humaine, analogue à une graine qui pousse pour devenir une plante.



Le même sentiment religieux qui anime l’amour du romantique pour la nature sous-tend leur célébration de la nature et de la diversité. Selon les romantiques l’âme individuelle participe de la nature de Dieu. L’éloge de la diversité comme étant supérieure à l’uniformité trouve son origine dans le sens panthéiste de la plénitude de la Création divine. « Le plan sacré de la nature » comme disait Wordsworth, se déploie avec la plus grande variété possible. Imposer des normes universelles à l’individualité des enfants est contraire à leur accomplissement et c’est pervertir les desseins de la Providence. L’éducation doit être centrée sur l’enfant ; la motivation à apprendre devrait être stimulée par l’intérêt naturel de l’enfant pour une matière et non par des récompenses et des punitions artificielles.



Que ces croyances éducatives ne puissent résister à l’examen empirique est hors de propos. Leur validation vient de ce que l’on sait à l’avance, avec certitude, que le naturel est supérieur à l’artificiel.



Une nature plus compliquée




Platon et Aristote basaient leurs idées de l’éducation, de l’éthique et de la politique sur le concept de nature comme les romantiques. Un classique sait que tout essai de contrarier la nature humaine est voué à échouer. Mais le classique ne prétend pas qu’un dessein providentiel garantit que s’appuyer sur les pulsions naturelles individuelles produise toujours des résultats positifs. Au contraire Aristote prétendait que la nature humaine est un champ de bataille de pulsions et d’appétits contradictoires. L’égoïsme est en conflit avec l’altruisme ; la satisfaction d’un appétit est en conflit avec la satisfaction d’autres. Suivre la nature, oui, mais quelle nature et jusqu’à quel degré ?



La célèbre solution d’Aristote à ce problème était de parfaire l’accomplissement humain en équilibrant les satisfactions de tous les appétits – depuis la nourriture et le sexe jusqu’à la contemplation désintéressée de la vérité – tout en gardant à l’esprit le besoin de la société pour la civilité et la sécurité. Se tirer au mieux de pulsions conflictuelles requiert le principe de modération, du juste milieu, pas seulement car la modération est bonne en elle-même, mais car, dans une vision laïque de la nature conflictuelle de l’homme, c’était la route la plus raisonnable vers la paix sociale et le bonheur individuel. Le poète romantique William Blake rétorquait que « le chemin de l’excès conduit vers le palais de la sagesse ». Sauf que cela ne serait vrai seulement que si une nature providentielle garantissait un résultat heureux. Une telle foi absente des desseins cachés d’une nature providentielle, le mode de vie humain le plus en accord avec la nature doit être selon Aristote une via media artificiellement construite. Dans cette logique classique le naturel optimal doit être consciemment artificiel.



L’intérêt renouvelé dans la psychologie de l’évolution a donné au débat classique-romantique un nouvel élan. Les philosophes moraux darwiniens comme George Williams rejettent la notion que l’évolution serait un guide direct vers l’éthique ou l’éducation. Au contraire la psychologie de l’évolution réintroduit à sa façon l’idée classique qu’il y a des conflits inhérents à la nature humaine – à la fois égoïsme et altruisme, à la fois un désir de posséder l’épouse du voisin et un désir de bien s’entendre avec son voisin. La maîtrise de ces pulsions contradictoires requiert une construction anti naturelle comme les Dix commandements. De même, du point de vue de l’évolution, la plupart de ce qu’il faut apprendre à l’école moderne n’est pas naturel du tout. La vie industrielle et post-industrielle, phénomènes très récents en termes d’évolution, nécessitent des sortes d’apprentissages qui sont construits artificiellement et parfois péniblement contre le naturel de l’esprit – point qui a été mis en valeur très efficacement et en détail par David Geary, un chercheur en psychologie spécialisé dans l’apprentissage des mathématiques par les enfants à l’université du Missouri. Geary fait une distinction utile entre apprentissages primaires et secondaires, la plupart des apprentissages scolaires, comme le système de base dix et le principe de l’alphabet, étant du second type, « non naturel ».  



L’idée même que des compétences aussi difficiles et artificielles que la lecture, l’écriture et l’arithmétique puissent être rendues naturelles pour chacun est une illusion qui a fleuri dans les prospères et pacifiques États-Unis. Le bon vieux Max Rafferty, surintendant de l’éducation en Californie au franc parler, dénonça autrefois l’école progressiste de Summerhill :

« Rousseau a pondu une théorie frénétique de l’éducation qui après deux siècles de travail a produit… Summerhill… L’enfant est le noble sauvage qui n’a besoin que d’être laissé seul pour assurer son salut intellectuel… Balivernes. L’enseignement n’est pas un processus naturel du tout. Il est fortement artificiel. Tout garçon ayant tout son esprit n’a jamais désiré étudier la table de multiplication et les dates historiques quand il pouvait sortir pour chasser les lapins ou grimper aux arbres. À l’époque où chasser et grimper aux arbres contribuait à la survie d’homo sapiens, il y avait quelque sens à laisser les gosses faire ce qui vient naturellement, mais quand l’avenir de l’homme commença à reposer sur la maîtrise systématique de disciplines méthodiques, l’apprentissage du type primordial, insouciant et de laisser faire devait disparaître. »



Le débat romantique contre classique s’étend au-delà des guerres de la lecture et des maths vers le domaine de l’éducation morale. La tradition romantique soutient que la moralité (comme tout le reste) vient naturellement. L’enfant en étant immergé dans des situations du monde réel et étant exposé à de bons modèles, en vient à comprendre le besoin de partager, la gentillesse, la loyauté, le courage et les autres vertus. Le récit de Wordworth de sa propre éducation qu’il appela Essor de l’esprit d’un poète contenait une partie intitulée L’amour de la nature conduisant à l’amour de l’humanité.



Le romantique désire encourager la bonté fondamentale de l’âme naturelle, non gâtée par l’habitude, la coutume et la convention. Le principal moyen d’un tel encouragement est de développer la créativité et l’imagination de l’enfant – deux mots qui sont devenus monnaie courante dans le mouvement romantique. Avant les romantiques, employer le mot « créativité » pour des productions humaines était considéré comme impie. Mais ceci s’est terminé quand l’âme humaine fut conçue comme fondamentalement pieuse. L’éducation morale et le développement de la créativité et de l’imagination marchèrent main dans la main. Au xixe et au début du xxe siècles, les manuels comme les McGuffey Readers mettaient fortement l’accent sur l’instruction morale et le savoir factuel. Toutefois, avec l’essor des idées progressistes, la discipline de la langue dans les petites classes commença à se focaliser sur les contes de fées et la poésie. La transmission d’une instruction morale explicite laissa place au développement de la créativité et de l’imagination. Samuel Taylor Coleridge, le poète et essayiste romantique dit que l’imagination mène l’âme entière de l’homme dans l’activité. Quand nous exerçons nos imaginations, nous nous relions avec notre nature divine, nous développons nos sensibilités morales.



Romantisme ou Justice ?




On ne peut espérer argumenter contre une foi religieuse qui est inaccessible à la réfutation. Mais il y a un espoir de changement quand cette foi religieuse est séculière et appartient au monde lui-même. Quand les premiers romantiques vécurent assez longtemps pour faire l’expérience des découragements de la vie, ils abandonnèrent le romantisme. Cela arriva à Blake, à Wordsworth et à Coleridge. Une des œuvres les plus émouvantes de Wordsworth fut son dernier poème Stances élégiaques, qui faisait ses adieux à sa foi dans la nature. De semblables adieux à l’illusion furent rédigés par les autres romantiques. Il y a une instabilité potentielle au surnaturel naturel. La religion romantique est vulnérable car c’est une religion de ce monde. Si les espoirs de quelqu’un se trouvent dans l’ici et maintenant, reposent sur la foi que la lecture, l’arithmétique et la moralité se développeront naturellement directement de la nature humaine, alors cette foi pourra graduellement décliner quand ce monde distille goutte à goutte ses déceptions.



Jusqu’à maintenant le progressisme a démontré être plutôt invulnérable malgré ses échecs. Mais ses murs commencent à vaciller et ce n’est pas trop tôt. Ce n’est que quand un doute largement répandu sera jeté sur le romantisme endémique de l’enseignement public que nous commencerons à voir des améliorations importantes dans la réussite des élèves. Tout le monde considère que l’école doit partir de ce qui est naturel. Mais l’école ne peut effectivement pas y rester embourbée. Avec autant de certitude qu’on puisse connaître ces choses, nous savons que l’enseignement analytique et explicite marche mieux que l’enseignement inductif et implicite pour la plupart des apprentissages scolaires. être analytique et explicite dans l’enseignement c’est aussi être artificiel. Ainsi, on peut être sceptique sur le fait que les enfants construiront naturellement eux-mêmes soit le savoir soit la justesse.



Le romantique croit que la nature a un plan sacré. Le classique, le moderniste et le pragmatique pas du tout. Et le scientifique non plus. Finalement, les questions les plus urgentes dans les batailles de l’éducation ne sont pas seulement des questions empiriques mais aussi des questions éthiques quant aux conséquences malheureuses de la foi progressiste, surtout dans la perpétuation des écarts dans les résultats des tests entre groupes raciaux et économiques. Allons-nous valoriser l’esthétique de la diversité et la théologie de la religion renversée aux dépens de la justice sociale ? C’est la question non formulée qui doit être posée avec toujours plus d’insistance. Les justices économique et politique sont des buts impératifs. On ne peut les atteindre en laissant faire la nature.

*M.H. Abrams écrivit Natural Supernaturalism. Tradition and Innovation in Romantic Literature, 1971, pour montrer comment les romantiques anglais aiment trouver dans les processus moraux immanents des échos de concepts chrétiens (pardon, réconciliation, rédemption) et créent des personnages de type christique.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Aidez-moi à améliorer l'article par vos remarques, critiques, suggestions... Merci beaucoup.

Follow on Bloglovin
 

Archives (2011 à 2014)

Vous aimerez peut-être :

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...