7 décembre 2012

Enfants mutants et digital natives

Dossier: Générations numériques : des enfants mutants ?

Martine Fournier
Mis à jour le 11/09/2013

 

Ils jouent sur des tablettes dès l’âge de deux ans. Très tôt, ils savent manier les smartphones mieux que leurs parents. À l’adolescence, ils se passionnent pour les jeux vidéo en ligne et les échanges sur Facebook ou Twitter… Ces nouvelles pratiques suscitent l’inquiétude des parents et des éducateurs.

Serions-nous confrontés à des enfants mutants ?

Internet change-t-il le cerveau et les manières d’apprendre ? La pratique des écrans est-elle un facteur d’appauvrissement ou au contraire d’enrichissement cognitif, psychique, culturel ? L’engouement des jeunes pour les réseaux sociaux engendre-t-il l’isolement ou de nouvelles sociabilités ? La construction de la personnalité se trouve-t-elle affectée par ces nouvelles manières de communiquer, de s’exprimer, de se construire ? Et encore, les écrans sont-ils générateurs de pratiques addictives ? Sont-ils des canaux qui initient à la violence, qui répandent la pornographie ? Pourquoi l’école semble-t-elle si lente à s’emparer de ces nouvelles technologies ?

Toutes ces questions n’appellent pas de réponses manichéennes et définitives. Nous commençons seulement à prendre la mesure des changements majeurs qui se profilent depuis une quinzaine d’années avec le développement spectaculaire des outils numériques. Nombre de philosophes parlent d’une véritable révolution culturelle, aussi importante que celle vécue par les humains avec l’apparition de l’écriture ou de l’imprimerie.

Bien sûr, comme ce fut le cas pour toutes les grandes innovations techniques, les avis se partagent entre optimistes et pessimistes, technophobes et technophiles… Dans les sciences humaines, les études s’empilent et ne cessent de se contredire, attestant davantage d’un combat entre ces deux camps et de la conviction de ceux qui les mettent en avant. Ce dossier se propose de faire le point, sur ce que l’on sait, et ce que l’on peut dire et ce que l’on peut faire, à un moment où nous sommes en pleine phase de transition et de transformation. Les auteurs s’accordent tous cependant sur un point : il convient plus que jamais de ne pas abdiquer son rôle d’éducateur, et d’encadrer les usages des écrans par des pratiques appropriées à chaque âge.
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Les enfants sont des mutants : Comment le numérique transforme leur cerveau

http://www.netpublic.fr/2012/10/enfants-mutants/
enfant c215 
Comment le numérique transforme nos cerveaux ? Nos enfants ces mutants est le titre d’un passionnant dossier du Nouvel Observateur (version papier) du 25 octobre 2012. La journaliste Sophie des Déserts montre comment les enfants d’aujourd’hui qui passent pour une grande part, une partie de leur vie devant un écran a un impact sur la manière d’apprendre, de comprend le monde… Une révolution numérique qui est en train de façonner une autre jeunesse « peut-être même une autre humanité ».

2 rapports en préparation

À travers les décryptages de chercheurs, enseignants et experts, il est délivré des explicitations sur ce qui se joue aujourd’hui dans les pratiques et les comportements des enfants et adolescents vis-à-vis du numérique. Sujet d’autant plus d’actualité que la défenseure des enfants remettra au Président de la République un rapport sur ce sujet. En  complément, l’Académie des Sciences publiera en janvier un autre rapport : « Mon cerveau face aux écrans ».

Décryptage et conseils : 17 analyses

La parole est ici laissée à des chercheurs, enseignants et spécialistes des enfants et des adolescents qui mettent en lumière la multiplicité des enjeux, des résultats d’études sur cette relation qu’entretiennent les jeunes avec les écrans :

Enfants mutants

« Une révolution à l’échelle de l’humanité. Plus rien ne sera comme avant. Nous avons devant nous de véritables mutants »
Boris Cyrunilk, psychiatre

Cerveau en construction

« Il faut réaliser que ce que l’on vit aujourd’hui est comparable au changement climatique. Et les enfants sont en première ligne. Lorsque qu’ils surfent sur le Net, jouent en réseau, leur cerveau en construction est exposé à une activité trop intense qui perturbe leur développement. »
Susan Greenfield, professeur de Neurologie d’Oxford

6 heures par jour devant un écran

« Quand je demande aux élèves combien de temps ils passent devant les écrans, ils me regardent comme un extraterrestre. Et quand j’annonce à leurs parents que, de l’aveu même de leur progéniture, la moyenne tourne autour  de 5 à 6 heures par jour, ils m’observent résignés, l’air de dire « on n’y peut rien ». »
Un professeur de Lettres d’un collège des Yvelines

Connexions neuronales

« Les neurones générés avant la naissance, vont se connecter durant cette période, puis connaître un regain d’activité au moment de la puberté. Les réseaux, les autoroutes par lesquelles circulent l’information, vont se former en fonction de l’environnement du sujet. On le voit bien chez les petits délaissés par leur mère, les circuits sont altérés. De même, le temps passé devant les écrans laisse forcément une trace dans le cerveau du petit d’homme. »
Jean-Pierre Bourgeois, directeur de recherche à l’Institut Pasteur

Risque de modifier l’intelligence humaine

« Après l’invention de l’imprimerie, s’est développée à grande échelle une intelligence réfléchie, linéaire, lente, cumulative. Avec l’écran, on est dans un nouveau mode : fluide, rapide, fragmenté, automatique. Ce sont plutôt les régions postérieures du cerveau, les parties visuelle, sensorielle, l’intelligence élémentaire, qui sont activées. On sollicite moins, ou trop rapidement, le cortex préfrontal, la partie la plus noble, que l’on appelle parfois l’ « organe de la civilisation », siège de la synthèse personnelle, du recul, de l’abstraction. Sans être catastrophiste, il y a quelque chose qui risque de modifier l’intelligence humaine. »
Olivier Houdé, professeur de Psychologie cognitive

Jeux vidéo et impact sur le cerveau

« On a remarqué chez les adolescents passionnés de jeux vidéo (derrière leur écran plus de 9 heures par semaine) une augmentation du volume d’une partie centrale du cerveau, le striatum, liée au système de récompense. On peut dire que ces jeux vidéo stimulent l’une des zones les plus primitives du cerveau vers laquelle convergent les informations du cortex. »
Jean-Luc Martinot, pédopsychiatre, directeur de recherche à l’INSERM

La drogue est aussi numérique

« Eh oui, désormais la défonce est aussi numérique et cela commence tôt. Les enfants d’aujourd’hui sont plus richement stimulés que les générations passées. « Moi, je fais 5 sports, du foot, de la natation, du golf, du tennis, du hockey » se vantent les petits garçons. Pour nos mutants, il paraît de plus en plus dérisoire de jouer aux petites voitures quand, sur l’iPad, ils peuvent conduire une Ferrari en 3D. Les stimulations externes remplacent peu à peu les stimulations internes. »
Roland Jouvet, professeur de Psychiatrie à l’hôpital La Pitié-Salpétrière

Apprendre à jouer

« Ils n’ont plus de notion de jouer pour de faux. Or, plus on fait semblant, moins on se lâche pour de vrai, d’où peut-être la violence que l’on rencontre aujourd’hui dans les cours de récré. Des bambins de maternelle font des prises de catch sur leurs camarades, comme s’ils étaient sur le ring. Si un enfant n’apprend pas à jouer, il est amputé de la capacité d’imaginer, de développer son sens de l’humour, ce qui le prive d’un moyen puissant d’éviter la dépression ».
Serge Tisseron, psychiatre

Il est bien de s’ennuyer

« On leur dit aux familles ; c’est bien aussi de s’ennuyer! Mais ils ont du mal à comprendre. Pour la plupart, l’écran est un non-sujet. Il faut dire que souvent le père est aussi accro à la Xbox de son fils. »
Chantal Marchais, psychologue

Ecrans

« Les parents ont la nostalgie d’une bonne éducation à l’ancienne, d’un enfant qui lit, mais ils ont aussi besoin, après le travail, de se ménager des moments à eux. Alors, ils les flanquent devant les écrans, sans réaliser qu’ils risquent de le payer plus tard. La DS et l’iPad sont les tétines de l’enfant moderne. »
Edwige Antier, pédiatre

Déficit de liens et narcissisme

« Nous voyons de plus en plus de très jeunes obèses qui restent devant un écran, comme les « hikiko-mori », ces adolescents japonais repliés sur eux-mêmes. Beaucoup d’enfants sont trop dans la virtualité, très narcissiques, avec des imaginaires appauvris, des émotions et des sentiments gommés. Ils flirtent sur la Toile de manière très crue, s’embrasent, puis se jettent ; ils ont un déficit de liens avec des vraies personnes en chair et en os. »
Xavier Pommereau, chef du service de psychiatrie pour adolescents du CHU de Bordeaux

Temps de concentration en diminution

« En 1934, un gamin restait concentré en moyenne 15 minutes : aujourd’hui, il se cantonne à 5 minutes. Mais il en fait presque autant qu’un petit d’avant-guerre en 10 minutes. Nos jeunes mutants ont une réactivité beaucoup plus grande, ils sont montés sur ressort. »
Philippe Meirieu, professeur des universités en Sciences de l’éducation

Cerveau libre

« L’enfant a une mémoire plus puissante que la nôtre, une imagination garnie d’icônes par millions, une raison aussi, puisqu’autant de logiciels peuvent résoudre 100 problèmes que nous n’eussions pas résolus seuls. Aujourd’hui, on n’a pas le cerveau vide, on a le cerveau libre. Nous pouvons nous concentrer sur l’intelligence inventive. »
Michel Serres, philosophe

Internet : l’illusion d’un savoir

« Les jeunes ne se posent pas, ne savent pas ce qu’est la propriété intellectuelle, recopient les pages Wikipédia d’un clic. Internet leur donne l’illusion d’un savoir et les empêche souvent de raisonner par eux-mêmes. »
Un professeur de Philosophie dans un lycée parisien

Le cerveau risque un burn-out

« Dans le développement de l’intelligence, il existe un moment essentiel : l’inhibition, c’est-à-dire la faculté de bloquer des informations non pertinentes, de sélectionner ce qu’il nous faut, savoir faire le vide. Aujourd’hui, pour nous tous et pour les enfants en particulier, c’est très difficile, face aux tonnes d’informations qui nous inondent. Le cerveau surchargé risque un burn-out. Nous tous, parents, chercheurs, enseignants, devons réagir pour continuer de transmettre à nos enfants, à côté de leur intelligence, rapide, fluide, fragmentée, notre mode de pensée plus lent, plus profond. S’ils parviennent à jongler avec les 2, ils feront des merveilles. »
Olivier Houdé, professeur de Psychologie cognitive

Travailler la concentration

« Il est nécessaire de renverser la vapeur, donner aux enfants une autre nourriture, d’autres valeurs que celles qu’ils trouvent devant l’écran, réhabiliter l’écrit, travailler la concentration, réapprendre la poésie, les vertus d’une belle lettre d’amour. »
Philippe Meirieu, professeur des universités en Sciences de l’éducation

Agir

« Il faut que la puissance publique s’approprie le sujet, forme des profs, fabrique des contenus intelligents. Qu’elle cesse de céder aux sirènes du marketing, et de s’équiper tous azimuts sans réfléchir à la société de demain ».
Bernard Stiegler, philosophe

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