1 juin 2017

"L'islamophobie" selon Alain Gresh

http://www.huffingtonpost.fr/jean-christophe-moreau/lislamophobie-selon-alain-gresh-monde-diplomatique_b_6457844.html
RELIGION - Spécialiste du Moyen Orient, le journaliste Alain Gresh a joué aux côtés de Tariq Ramadan un rôle décisif dans la consécration médiatique du terme "d'islamophobie" comme dans la banalisation de l'islam politique. Le 6 janvier, il publiait sur son blog un article présentant Islamophobie, la contre-enquête (que j'ai co-écrit avec Isabelle Kersimon) comme l'œuvre d'émules de Riposte Laïque qui chercheraient à minimiser insidieusement le racisme subi par les musulmans.
Si Alain Gresh avait ôté ses œillères idéologiques, il aurait par exemple trouvé dans l'essai tous les arguments juridiques plaidant en faveur du retrait de la circulaire Chatel réclamé à l'issue de la Journée internationale contre l'islamophobie. Il y aurait aussi lu une étude sur les attaques contre les lieux de culte musulman et sur leurs suites judiciaires.
Mais qu'importe au journaliste du Monde diplomatique décidé à faire passer l'essai pour un brûlot anti-musulman.



La charge d'Alain Gresh résonne comme une insupportable accusation de complaisance à l'égard des actes anti-musulmans, qui plus est alors que l'on assiste aujourd'hui à une série alarmante de réprésailles aveugles suite aux attentats commis à Charlie Hebdo et dans un commerce juif. Accusation d'autant plus sordide a posteriori qu'elle émane d'un des fers de lance de la campagne orchestrée contre le journal au nom de la lutte contre "l'islamophobie".
"L'islamophobie" dans l'opinion française
Aux yeux d'Alain Gresh, "l'islamophobie" gangrène la France. Il s'offusque de lire dans notre ouvrage que "les sondages réalisés à grande échelle après les attentats du 11-Septembre n'ont montré aucune progression du rejet des musulmans dans les opinions occidentales", et accuse l'essai d'occulter les études d'opinion réalisées en France sur la question.
Notre contre-enquête a un parti pris: s'attacher à l'examen circonstancié des actes considérés comme "islamophobes" plutôt qu'à des extrapolations statistiques. Contrairement à ce que Gresh prétend, elle est loin de faire l'impasse sur les enquêtes d'opinion, mais elle s'est d'abord interrogée sur les critères utilisés pour circonscrire la notion "d'islamophobie". Or, quel crédit accorder, par exemple, à la définition tautologique de l'ex-Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (devenu l'Agence européenne pour les droits fondamentaux depuis 2007) selon qui, en matière criminelle, "le critère de base pour qualifier un incident d'islamophobe est la perception par la victime du caractère "islamophobe" du délit"? (Les musulmans au sein de l'Union européenne. EUMC, 2006, p. 73) De même, comment prendre au sérieux "l'échelle d'aversion pour l'islam" de la CNCDH quand on découvre que d'après l'interprétation byzantine des responsables de cette étude, déclarer que la pratique du ramadan ou le port du voile ne pose pas vraiment "problème pour vivre en société" signifie en réalité que l'on ne rejette pas vraiment l'idée que le culte musulman pose problème?
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Pour réfuter les conclusions de notre étude, Gresh cite un article du Monde daté du 24 janvier 2013. On s'étonne pour commencer qu'il tienne pour une preuve irréfutable de l'islamophobie française un article fondé sur une étude réalisée sur un échantillon infinitésimal (1016 personnes), dont la représentativité a été sérieusement mise en cause par le politologue Alain Garrigou. On s'étonne ensuite qu'il n'ait pas relevé que sur les treize thèmes "les plus préoccupants" proposés aux sondés, "l'intégrisme religieux" et "l'immigration" n'arrivent respectivement qu'en neuvième (17%) et dixième position (16%), très loin derrière le chômage (56%) et le pouvoir d'achat (41%). De quoi relativiser l'antienne selon laquelle la peur de l'islam ou de l'immigré occulterait en pratique les autres préoccupations des Français.
Enfin, si l'article cité fait bien état d'une représentation globalement négative de l'islam (assimilée par 74% des personnes à une "religion intolérante" et par 80% à une religion cherchant "à imposer son mode de fonctionnement aux autres")... il révèle aussi que la proportion de personnes tendant à regarder la majorité des musulmans comme des "intégristes" est relativement faible (10% des sondés). C'est toujours trop, évidemment ! Mais cela démontre que la vision négative de l'islam et la stigmatisation des musulmans sont deux choses différentes, ou si l'on préfère, que l'islamophobie n'est pas forcément synonyme de racisme anti-musulman.
Osons une hypothèse... Et si "l'homme de la rue", cette étrange bête à sondage, n'avait finalement besoin de personne pour comprendre que - quelle que soit son opinion sur l'islam - les "musulmans" qu'il fréquente quotidiennement ne sont pas de vulgaires marionnettes de leur foi ou de leur culture d'origine?
Un racisme fabriqué par les médias ?
Autre charge d'Alain Gresh à propos de "l'islamophobie médiatique": notre contre-enquête s'appuierait seulement sur « quelques émissions audiovisuelles pour "prouver" que les médias ne sont pas "islamophobes". Ceux qui liront l'essai pourront se rendre compte du mensonge sidérant du journaliste du Monde diplomatique, lequel passe purement et simplement sous silence une revue de la presse écrite -de la révolution khomeyniste à "l'affaire Merah"- qui s'est attachée à restituer la variété des attitudes éditoriales face à des évènements supposés être des jalons de "l'islamophobie médiatique".
Ceci étant posé, on comprend qu'Alain Gresh ne puisse souffrir une contre-enquête qui met en cause la campagne de dénigrement qu'il a menée, avec le soutien de Thomas Deltombe, contre le journaliste Mohamed Sifaoui (accusé de trop en faire avec la menace islamiste) qu'il surnomme "Tintin au pays des islamistes".
En effet, dans L'islam imaginaire (La Découverte, 2005), Deltombe a accusé Sifaoui d'avoir truqué un reportage sur son infiltration d'un groupe terroriste où officiait un certain "Ali" (de son vrai nom Karim Bourti). Il en voulait pour preuve que, lors du jugement de ce dernier, "l'accusation de 'participation à une entreprise terroriste' n'[avait] même pas été retenue". D'où cette conclusion: "Même si le Parquet fait appel de cette condamnation, il semble assez difficile d'imaginer que la justice française ait pu ainsi "blanchir" celui que Mohamed Sifaoui présentait comme le responsable d'une cellule d'Al-Qaida... Malgré les interrogations qui entourent le travail du journaliste algérien, les chaînes de télévision continueront à lui faire aveuglément confiance." (Deltombe, p. 322) La justice donnera pourtant raison au journaliste franco-algérien: Karim Bourti écope en appel d'une peine de prison de six ans pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste" et est déchu de la nationalité française en 2006.
De l'art de reconnaître un "acte islamophobe"
Mais Gresh s'attache surtout, au détour d'une énième attaque contre Caroline Fourest, à discréditer notre démonstration de la construction tendancieuse des statistiques du Collectif Contre l'Islamophobie en France (CCIF), qui recensent comme "actes islamophobes" -entre autres exemples- des fermetures de mosquées clandestines ou des mesures d'expulsion contre des individus impliqués dans des entreprises terroristes!
Pour Alain Gresh, il ne s'agirait que d'erreurs résultant d'aléas méthodologiques, et il renvoie à l'analyse des sociologues Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed (Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le "problème musulman", La découverte, 2013): "Qu'il s'agisse du ministère de l'Intérieur ou du CCIF, l'enregistrement est soumis à de nombreux aléas qui participent à la construction des données finales. (...) L'enregistrement policier ou associatif dépendra ainsi du comportement de la victime et de l'auteur lorsqu'il est connu, des éléments matériels et des témoignages mobilisables, mais également de la sensibilité de l'agent ou du militant à l'égard de la forme de rejet en question." Et Alain Gresh de conclure: "La complexité liée au fait de comptabiliser ce type d'actes (...) n'est pas une découverte pour un sociologue. Mais Kersimon et Moreau ne sont pas sociologues..." (Hajjat & Mohammed, p.52)
Or, même en admettant que certaines subtilités méthodologiques échappent à l'entendement de non-sociologues, le vulgus pecum serait en droit de s'interroger sur les "aléas" qui justifieraient, par exemple, que des actes de légitime défense soient comptabilisés par le ministère de l'Intérieur dans ses statistiques de l'activité terroriste ! Mais quels "aléas" égarent le CCIF lorsqu'il recense comme "acte islamophobe", par exemple, la fermeture en 2004 d'une école coranique clandestine à Grisy-Suines après que quatre de ses membres (dont le directeur) ont agressé des journalistes?
Au-delà du cas du CCIF, nous ne pouvons aujourd'hui faire l'économie d'une véritable réflexion sur la charge affective que l'accusation "d'islamophobie" véhicule dans le débat public. Car elle brouille les repères traditionnels entre ce qui relève de la liberté d'expression et ce qui relève de l'incitation à la haine : en témoignent les accusations réitérées contre Charlie Hebdo depuis "l'affaire des caricatures".
Une telle réflexion doit avoir lieu parce que nous avons besoin de rationalité pour lutter contre tous les amalgames. D'abord pour rompre le cercle vicieux de l'appel à la "désolidarisation" des musulmans face aux violences commises au nom de l'islam, qui entretient quoiqu'on en dise une présomption de culpabilité collective. Mais aussi pour rompre avec l'idée qu'il existerait en France une prédisposition particulière à la haine des musulmans.
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