6 novembre 2011

L'école maternelle éducatrice 2 (chapitre 10 L'éducation maternelle dans l'école)

CHAPITRE X - ENCORE ET TOUJOURS L’ÉCOLE MATERNELLE ÉDUCATRICE


Ce qu’il faut dans la section des grands. – Ce que c’est qu’un enfant de cinq.ans. – Ce qu’on faisait naguère dans la section des grands. – II faut étudier non seulement l’enfance, mais chaque enfant. – Le programme officiel, c’est la partie de la directrice. – Il faut élaguer. – Une excellente circulaire ministérielle. – Les préjugés des parents ont une excuse. – Les devoirs du soir. – Les directrices flattent l’ignorance des parents. – Les distributions de prix et les expositions scolaires. – Le courage moral est nécessaire aux directrices. – Les plus grands ne vont pas à l’école maternelle pour s’instruire.

Dans la section des petits, ai-je dit plus haut, il s’agit de faire exclusivement de l’hygiène, de l’éducation, du bonheur.
Dans la section des grands il s’agit encore de faire de l’hygiène, de l’éducation, du bonheur.
Mais alors pourquoi sectionner ? C’est que la culture intellectuelle prendra un peu plus de place dans la section des grands, comme élément éducatif.
Ces grands, ils ont cinq ans (dans la plupart de nos écoles ils en ont à peine quatre), ils ont six ans, c’est-à-dire l’âge où ils ont encore presque tout à faire pour leur développement physique et où leur intelligence ne saurait être traitée avec trop de précaution.
Un enfant de quatre à cinq ans, mais on peut dire encore qu’il sautille et qu’il ne marche pas, qu’il babille et qu’il ne parle pas, qu’il entend et qu’il n’écoute pas. Il a des impressions et pas de sentiments, des intuitions et des divinations et pas – à prendre le mot dans son sens rigoureux – de véritable intelligence.
Tout ce que nous avons dit de la nécessité absolue du développement physique chez les plus petits est donc de nécessité tout aussi absolue chez les plus grands. En même temps, la question d’éducation et d’instruction entre, pour ainsi dire, dans une phase nouvelle.
Quand l’enfant arrive dans la section des grands, le champ de ses idées est encore restreint à ce qui l’entoure ; il s’agit d’en élargir graduellement, méthodiquement le cercle, en prenant garde de rien froisser. Je ne puis m’empêcher de vous faire part d’une comparaison qui naît sous ma plume.

Jetez un objet dans l’eau : il se produit un cercle qui se multiplie en s’élargissant toujours. Venons au cerveau : de l’enfant l’idée première est lancée par la mère, par la directrice de l’école maternelle, par le premier venu; elle est le résultat d’un des mille incidents fortuits de la vie quotidienne,… puis le travail intellectuel ne s’arrête plus.
Livrée à ses propres forces, l’intelligence irait lentement, payant sans doute très cher chacune de ses conquêtes, mais elle irait sûrement. Le rôle de l’éducation est seulement un rôle d’aide. Elle doit d’abord étudier les manifestations spontanées de cette intelligence naissante, pour la suivre dans la voie où elle vient d’entrer, puis, une fois que l’intelligence est en route, la soutenir, la redresser délicatement, respectant toujours la personnalité latente, qui a le droit de se produire et de se développer.
Encore une comparaison.
         Voici un rosier, à la fois parfumé et charmant. Interrogez l’horticulteur qui lui a donné ses soins. Lui a-t-il distribué la même quantité d’eau en toute saison et par toute température ? a-t-il forcé toutes les branches à prendre absolument la même direction, tous les boutons à éclore le même jour, toutes les corolles à s’épanouir de la même manière ? Non ! il a proportionné la nourriture aux besoins de chaque heure : si une branche prenait une direction contraire à son développement normal ou à l’harmonie de la forme de l’arbuste, il plaçait auprès de lui un tuteur, et puis il laissait la nature faire son œuvre, œuvre aujourd’hui d’autant plus parfaite que l’harmonie est née de la variété.
Combien plus délicate encore est la plante qui est confiée à la directrice de l’école maternelle ! Parfois, hélas ! les familles ne s’en doutent pas ; c’est aux directrices de ne jamais l’oublier.
Nous allons donc procéder par le respect de la personnalité intellectuelle et de l’enfant. Nous nous demanderons d’abord quelles sont les facultés auxquelles s’adressait, naguère, la salle d’asile, et ensuite s’il n’est pas urgent d’adopter à l’école maternelle un ordre plus logique.
Entrons dans la salle d’asile en même temps que les enfants. Nous assisterons d’abord à un exercice de lecture. Chaque caractère de l’alphabet étant un signe conventionnel, une abstraction qui n’a pour l’enfant aucun rapport avec une idée quelconque, à quoi s’adresse ce premier exercice, sinon à la mémoire ?
Montons au gradin. Nous y entendrons une leçon sur la division du temps en siècle, année, mois, jour, heure, etc. Quelle opération intellectuelle fait le petit élève pour retenir cette énumération ? C’est une opération de la mémoire, de la mémoire encore !
Choisirons-nous le moment où l’on récitera les divisions de la terre, celles de l’Europe, celles de la France ? ou bien celui où la leçon de choses sera faite, souvent sans préparation sérieuse, sans musée méthodiquement rassemblé, sans expériences pratiques destinées à frapper les sens?
N’est-ce pas de la mémoire encore, de la mémoire toujours?

Mais, la mémoire, elle reçoit justement, pour les conserver, les idées toutes faites ; placée au début, elle exclut par conséquent toutes les autres opérations de l’esprit, les plus élevées, les plus nobles : l’observation, la comparaison, la réflexion, le jugement ; elle exclut aussi l’imagination.
La mémoire, c’est, j’oserais presque le dire, la partie matérielle de l’intelligence ; c’est un outil, un outil merveilleux, qu’il faut exercer, de crainte qu’il ne se rouille; mais c’est par elle qu’il faut finir, parce qu’elle n’est que la trésorière de l’intelligence ; les facultés intellectuelles dont nous parlions tout à l’heure amassent, la mémoire garde.
Or ce que la mémoire de l’enfant doit garder, ce sont les notions qu’il aura acquises et non celles quẽ nous lui aurons imposées. L’enfant est un être pensant ; c’est une lourde faute de penser pour lui, car penser pour lui équivaut à l’empêcher de penser.
Mais l’instruction, entrant dans l’école maternelle comme élément éducatif, est extrêmement difficile à donner, et ce qu’il y a de triste, c’est qu’on n’a pas l’air de s’en douter. Comment procéder pour ne pas dépasser la mesure, pour ne rien gêner, froisser, étioler, étouffer ; pour ne rien surexciter non plus dans ce petit monde de germes d’une si exquise délicatesse ? Tout est dans la mesure ; mais, pour mesurer l’enseignement à l’aptitude, il faut connaître, et, pour connaître, il faut étudier. Il faut étudier l’enfant.
L’étude générale de l’enfance ne suffit pas, car les règles sont faites d’exceptions. Les enfants, tout en se ressemblant tous au fond, sont si différents les uns des autres, et parfois si différents d’eux-mêmes, qu’il faut sans cesse, dans la pratique, modifier la règle qui avait d’abord paru s’adapter à la plupart des cas.
         C’est ce qui rend si délicate la tâche de ceux qui réglementent et de ceux qui conseillent. C’est ce qui fait que telle décision, excellente en elle-même, est parfois contestable dans l’application ; c’est ce qui rend absolument nécessaire l’intelligente initiative des personnes chargées d’exécuter les règlements, de suivre les conseils.
Ces idées me sont suggérées non seulement par le programme du 2 août 1881, mais aussi par les journaux qui le commentent et qui insèrent des leçons à la mesure de son cadre.
Plus j’étudie ces programmes, plus je lis les journaux, plus je me tiens au courant de leurs leçons, plus j’en fais moi-même, plus je suis convaincue qu’il faut agir avec la plus grande circonspection. Programme officiel, commentaires, leçons – quelque élémentaires qu’elles soient – doivent toujours être considérés comme la partie des directrices, partie dont elles ne doivent donner aux enfants que ce qu’ils en peuvent prendre. Ce sont autant de sujets sur lesquels ils questionneront très probablement un jour ou l’autre, et il faut que les directrices soient armées pour répondre ; mais de là à faire des leçons spéciales sur des sujets notoirement difficiles, la distance est grande.

Un jour de tempête, un jour d’orage, un enfant curieux de savoir demandera : « Pourquoi y a-t-il du vent ? Qu’est-ce que le tonnerre ? » Il est indispensable que la directrice soit assez cultivée pour faire une réponse très simple. Mais il faut qu’elle se garde de dire : « Aujourd’hui nous allons faire une leçon sur le vent, une leçon sur le tonnerre ». Il n’y a pas à l’école maternelle de leçons dans le sens strict du mot. Les enfants s’occupent, et de leurs occupations naissent les prétextes à la culture intellectuelle. En choisissant et en surveillant les occupations, la directrice trouvera toujours un sujet d’enseignement.
Un de mes amis, qu’en toute sincérité je considère comme l’un des premiers instituteurs de notre pays, et dont l’école est fréquentée par des enfants qui sont tous fils de lettrés et d’artistes, ce qui implique une culture native, de plus tous Parisiens, ce qui est une présomption de développement précoce ; cet ami me disait : « Voilà dix ans que, chaque année, je simplifie mon programme, et que je prends pour devise « élaguer ». Et, à l’appui de sa thèse, il me montra son programme de leçons de choses pour l’avenir. Ce programme est absolument simple : quelques animaux et quelques fleurs, les vêtements de l’enfant et puis son habitation. Le petit élève n’est appelé à s’occuper que des choses qui lui sont à peu près familières ; aussi en parle-t-il avec facilité ; peu à peu, sans secousse, sans fatigue d’esprit surtout, il agrandit le cercle de ses connaissances, et ce n’est que beaucoup plus tard qu’il fait ce qu’on peut appeler de la science.
Si, dans une école exceptionnelle de Paris, un éducateur sérieux procède avec cette prudence et cette délicatesse, combien doit-on être plus circonspects, plus délicats encore dans des écoles où les conditions sont loin d’être les mêmes, et quel précieux exemple donne aux directrices écoles leur collègue de Paris !
A cet enseignement prématuré, où la mémoire seule est en jeu, les facultés les plus nobles et les plus charmantes de l’enfant s’émoussent. Habitué à ne pas comprendre, il ne cherche pas à se rendre compte de ce qu’on lui dit ; engagé sur une route monotone, lassé dès les premiers pas, il ne se sent pas porté à plonger son regard en avant ; en proie à un enseignement ardu, desséchant, il végète sans ressentir ces émotions douces qui sont le plus sûr levier de la vie morale… Intelligence, imagination, sentiment, tout s’étiole…
Oh ! mes chères lectrices, ne vous rendez pas complices de ce meurtre !
L’enfant apprend-il à connaître un animal ? c’est bien qu’il sache son nom et qu’il puisse le décrire ; c’est bien qu’il sache quels services, mort ou vivant, cet animal rend aux hommes ; mais ce qu’il importe bien plus qu’il sache, c’est que, puisque cet animal vit, il jouit et souffre ; ce qui est de toute nécessité, c’est que cet enfant aime à le faire jouir et déteste de le faire souffrir.
Etudie-t-il une plante ? il apprend son nom, le genre de culture qui lui convient, l’usage qu’on en fait ; c’est bien encore ; mais qu’il admire aussi la sveltesse de sa forme, la délicatesse de son tissu, la richesse de ses couleurs ! qu’il savoure la suavité de son parfum !
Que l’étincelle qui jaillit du feu lui rappelle, grâce à la direction que l’on donnera à ses idées, l’étoile qui scintille le soir dans le ciel !
Qu’il en vienne à se figurer des pays couverts de fleurs plus belles et plus parfumées que les nôtres, des cieux aux constellations plus brillantes ; qu’il rêve d’animaux bienfaisants, d’enfants sans défaut, de divinités toujours propices.
Les contes dont on a bercé notre enfance avaient du bon, et je les regrette.
L’enfant est à l’école maternelle pour développer ses facultés et non pour apprendre. Il faut que les directrices en soient convaincues ; il faut que les parents en prennent leur parti.
Malheureusement, les directrices ne sont pas encore convaincues ; elles ne sont pas encore imprégnées de l’esprit de la remarquable circulaire ministérielle qui accompagne le décret de réorganisation de l’école maternelle. La voici, cette circulaire :
« L’école maternelle a pour but de donner aux enfants au-dessous de l’âge scolaire « les soins que réclame leur développement physique, intellectuel et moral » (décret du 2 août 1881), et de les préparer ainsi à recevoir avec fruit l’instruction primaire.
« L’école maternelle n’est pas une école au sens ordinaire du mot : elle forme le passage de la famille à l’école ; elle garde la douceur affectueuse et indulgente de la famille, en même temps qu’elle initie au travail et à la régularité de l’école.
« Le succès de la directrice d’école maternelle ne se juge donc pas essentiellement par la somme des connaissances communiquées, par le niveau qu’atteint l’enseignement, par le nombre et la durée des leçons, mais plutôt par l’ensemble des bonnes influences auxquelles l’enfant est soumis, par le plaisir qu’on lui fait prendre à l’école, par les habitudes d’ordre, de propreté, de politesse, d’attention, d’obéissance, d’activité intellectuelle qu’il y doit contracter pour ainsi dire en jouant.
« Eh conséquence, les directrices devront se préoccuper beaucoup moins de livrer à l’école primaire des enfants déjà fort avancés dans leur instruction, que des enfants bien préparés à s’instruire. Tous les exercices de l’école seront réglés d’après ce principe général : ils doivent aider au développement des diverses facultés de l’enfant sans fatigue, sans contrainte, sans excès d’application ; ils sont destinés à lui faire aimer l’école et à lui donner de bonne heure le goût du travail, en ne lui imposant jamais un genre de travail incompatible avec la faiblesse et la mobilité du premier âge.
« Le but à atteindre, en tenant compte des diversités du tempérament, de la précocité des uns, de la lenteur des autres, ce n’est pas de les faire tous parvenir à tel ou tel degré de savoir en lecture, en écriture, en calcul c’est qu’ils sachent bien le peu qu’ils sauront, c’est qu’ils aiment leurs tâches, leurs jeux, leurs leçons de toute sorte c’est surtout qu’ils n’aient pas pris en dégoût ces premiers exercices scolaires qui seraient si vite rebutants, si la patience, l’enjouement, l’affection ingénieuse de la maîtresse ne trouvaient le moyen de les varier, de les égayer, d’en tirer ou d’y attacher quelque plaisir pour l’enfant.
« Une bonne santé ; l’ouïe, la vue, le toucher déjà exercés par une suite graduée de ces petits jeux et de ces petites expériences propres à faire l’éducation des sens ; des idées enfantines, mais nettes et claires sur les premiers éléments de ce qui sera plus tard l’instruction primaire ; un commencement d’habitudes et de dispositions sur lesquelles l’école puisse s’appuyer pour donner plus tard un enseignement régulier ; le goût de la gymnastique, du chant, du dessin, des images, des récits ; l’empressement à écouter, à voir, à observer, à imiter, à questionner, à répondre ; une certaine faculté d’attention entretenue par la docilité, la confiance et la bonne humeur ; l’intelligence éveillée enfin et l’âme ouverte à toutes les bonnes impressions morales : tels doivent être les effets et les résultats de ces premières années passées à l’école maternelle, et, si l’enfant qui en sort arrive à l’école primaire avec une telle préparation, il importe peu qu’il y joigne quelques pages de plus ou de moins du syllabaire. »
Quand les directrices auront compris, elles prendront à cœur, malgré les parents, l’intérêt des parents eux-mêmes ; n’est-ce pas, en effet, travailler pour les parents que développer les enfants d’une façon rationnelle ? Pour complaire aux parents, on soumet les pauvres petits à un travail prématuré qui paralyse l’essor de leurs facultés, arrête leur développement, tue leur curiosité intellectuelle et les condamne fatalement à une espèce de rachitisme moral.
Les parents, eux, ont une excuse. Ignorants presque tous, – les mères surtout, – ayant souffert, souffrant encore de ne savoir ni lire ni écrire, ayant vu ceux qui lisaient et écrivaient arriver presque toujours – s’ils avaient de la conduite – à une somme de bien-être qu’eux-mêmes étaient impuissants à atteindre, ils se sont promis – les meilleurs, ceux qui ont conscience de leurs devoirs – de ne pas laisser leurs enfants dans cette ignorance funeste.
D’autre part, comme, naguère encore, lire,– matériellement, sans intelligence et par conséquent sans attrait, – écrire – c’est-à-dire copier – et quelque peu calculer étaient regardés comme un bagage d’instruction suffisant pour les enfants du peuple, et que, dès qu’ils avaient chargé ce bagage, ils sortaient de l’école et étaient utilisés par leurs parents, ceux-ci avaient hâte de les voir lire, écrire et compter tant bien que mal ; disons plutôt tant mal que bien ; ils assiégeaient les instituteurs de leurs demandes pressantes, de leurs plaintes ; l’instituteur qui mettait le plus tôt ses élèves en possession du mécanisme était réputé le meilleur ; les autres restaient en butte à mille tracasseries.
Ces mêmes parents ont-ils pu se convaincre que l’instruction primaire réduite à ses limites les plus étroites n’a été une aide que pour ceux qui avaient pu se l’assimiler ? Se sont-ils interrogés plus tard avec inquiétude, en voyant leurs enfants se désintéresser complètement de ce qu’ils avaient appris sans goût et péniblement à l’école ? Ont-ils constaté que, malgré le sacrifice de temps qu’ils s’étaient imposé, leurs enfants n’étaient cependant ni plus habiles, ni plus zélés au travail, ni plus intelligents, ni plus moraux que ceux qui n’étaient jamais allés à l’école ? Oui, ils l’ont souvent constaté ; et ils ont fait le procès à l’enfant et à l’école, au lieu d’accuser leur ignorante précipitation.
Comment s’en étonner ? Peut-on demander la clairvoyance à ceux qui ont vécu dans les ténèbres ? Un peuple sans écoles, ou laissé libre de dédaigner un trésor qu’il ignore, peut-il être un peuple lettré ? Les parents d’autrefois, ceux de naguère, la plupart, hélas ! de ceux d’aujourd’hui ne peuvent être rendus responsables de leurs préjugés, et, si les difficultés que ces préjugés nous créent sont affligeantes, elles ne sont pas désespérantes, puisque le remède est là : l’instruction obligatoire et gratuite. Dans vingt ans les parents trouveront excellentes les choses qu’ils contestent aujourd’hui, à la condition pourtant que dès aujourd’hui nous préparions une génération non surchauffée, vraiment intelligente, ayant des idées et non des notions indécises, une génération ayant appris à réfléchir, à apprécier la supériorité des jouissances intellectuelles sur les plaisirs grossiers, une génération curieuse de savoir et jalouse de faire usage aux champs, à l’atelier, au régiment, dans la famille, des plus nobles facultés humaines.
Pour cela il faut avoir le courage de rompre avec les préjugés des parents ; à plus forte raison faut-il lutter contre leur vanité coupable et se faire un devoir de ne pas chercher à les éblouir par des résultats de mauvais aloi.
Ce ne sont pas des mots que j’aligne ici ; je n’invente pas des arguments pour une thèse imaginaire : le mal existe, je le rencontre tous les jours, j’en ai le cœur serré, et il faut que je le dise !
Ce que j’appelais tout à l’heure une « tendance à abonder dans les préjugés des parents » est, malheureusement, plus qu’une tendance : c’est un principe. Pour contenter les parents, non seulement on surchauffe les enfants pendant les heures de classe, mais, de plus, ils emportent un devoir à faire chez eux le soir. Oui ! un devoir du soir à des enfants de six et sept ans, qui devraient être au lit à la nuit tombante ! un devoir du soir ! et dans quelles conditions aggravantes ! Tout le monde connaît les installations des ménages d’ouvriers : la place est exiguë, la table et les chaises sont à hauteur d’homme et non à hauteur d’enfant, l’éclairage est défectueux… L’enfant, non surveillé ou mal surveillé, prend des attitudes funestes, il se gâte la vue, il dort sur son cahier. De sorte que cette chose insensée : faire travailler un petit enfant le soir, devient une chose coupable.
« Les parents le veulent. »
Le devoir de la directrice est de protester contre cette volonté et, en tout cas, de repousser toute complicité : « Puisque vous le voulez et que vous êtes les maîtres, faites travailler votre enfant le soir ; mais je ne verrai jamais son travail, et en aucun cas il ne lui constituera un privilège à l’école. »
Parmi les parents qui insistent pour que leurs enfants travaillent à la maison, quelques-uns sont mus par le désir insensé de « les faire arriver plus vite». Ce désir est le résultat de leur ignorance, nous l’avons déjà dit. Mais la plupart veulent surtout être tranquilles, avoir la paix. Ils n’aiment pas le bruit ; la mobilité du petit être les agace, ses questions incessantes les embarrassent… Ils n’ont pas compris, les malheureux, qu’il y a, dans cette vitalité enfantine, des trésors de délassement pour celui qui est harassé par le combat pour l’existence…
« Les parents le veulent », m’a-t-on dit. Et l’on m’a dit pis encore « Il y a une petite fille à laquelle le désespoir d’être considérée comme trop jeune ou trop frêle pour avoir des devoirs à faire chez elle a donné des attaques de nerfs!»
Érigez ceci en principe, et, pour lui épargner des attaques de nerfs ou simplement des larmes, on mettra sur les épaules de l’enfant de six ans le poids que peut à peine porter celui de quinze ans ; ce même enfant de six ans mangera et boira autant que son père ; pour peu qu’il le demande, il le suivra en voyage, au café, au théâtre,… cela ne souffre pas la discussion ; je suis désolée d’être forcée de dire ces choses. Oh ! que je voudrais faire passer dans l’esprit de ceux qui me lisent la conviction qui m’anime que je voudrais éveiller sur ce point la conscience des éducatrices, des mères
La même faiblesse coupable excite la vanité des parents par des travaux intellectuels et matériels, offerts au nom de l’enfant et dans lesquels celui-ci n’entre que pour une faible part. Ces travaux ont le tort grave de tromper les parents, de fatiguer l’enfant et de concentrer l’activité de la directrice auprès de quelques privilégiés, au détriment du plus grand nombre.
J’ai encore mes preuves en main, une entre autres qui m’a affligée autant qu’elle m’a doucement émue. Elle m’a émue, parce qu’elle émane d’un sentiment élevé ; affligée, parce qu’elle présente les inconvénients que je signalais plus haut.
Voici la chose :
Une directrice que je voudrais nommer, parce qu’elle est soucieuse de son devoir, désireuse de le connaître chaque jour davantage pour le mieux remplir, enfin parce qu’elle a du cœur ; mais une directrice que je ne puis nommer, parce qu’elle n’a pas encore compris que certains succès sont la condamnation du système suivi dans une école maternelle ; cette directrice a joint, le 1er janvier, à une lettre charmante qu’elle m’a écrite, la lettre suivante, que je reproduis textuellement. L’original est écrit en demi-fin.

« Madame l’Inspectrice,

« Il me tardait beaucoup de voir arriver le jour de l’an, parce que mademoiselle nous avait dit que ce serait celui qui s’appliquerait le mieux qui ferait la lettre pour vous souhaiter la bonne année. J’ai fait tous mes efforts, et c’est moi qui viens vous dire combien nous vous aimons et nous vous remercions d’être venue nous voir. Quand viendrez-vous encore ? Nous prions le bon Dieu pour qu’il vous donne une bonne santé et tout ce que vous pouvez désirer. Adieu, madame l’Inspectrice ! n’oubliez pas les enfants de l’école maternelle de X*** qui vous aiment de tout leur cœur et vous présentent, avec leurs vœux, leur amour et leur respect.

Signé « X…, âgé de six ans. »

Certes la bonne pensée de la directrice, l’effort du pauvre petit qui a copié cela très proprement, très lisiblement, sans faute, sans défaillance de bonne volonté d’un bout à l’autre, cette bonne pensée et cet effort méritent autre chose que mes critiques ; aussi j’envoie de tout mon cœur l’expression de mon affectueuse estime à la directrice et mes tendresses à l’enfant. Mais cette lettre m’a fait beaucoup de peine : d’abord elle exprime des sentiments factices ; mon petit correspondant m’a vue une fois ; j’ai sans doute excité sa curiosité pendant quelques minutes ; si je lui ai fait quelques caresses, ce dont je suis bien capable, il a eu un instant de plaisir, un peu gâté sans doute par la timidité, inhérente aux enfants qui sont rarement en relation avec des étrangers ; je parierais qu’il m’a complètement oubliée ; en tout cas, il ne m’aime pas. Donc il n’a pas pensé sa lettre. L’eût-il pensée, il ne se serait pas exprimé avec cette simplicité, cette limpidité (car la lettre est remarquablement faite) ; enfin le résultat matériel implique des heures et des heures employées à la calligraphie, des leçons spéciales, individuelles ; si bien que la lettre de mon petit ami me trompe sur ses sentiments et sur son développement intellectuel, et me prouve, en outre, que l’esprit de la circulaire ministérielle que j’ai citée plus haut est absolument faussé à l’école maternelle de X***.
Si j’avais eu besoin d’être convaincue de l’impossibilité qui existe pour un enfant de six ans – élevé avec une centaine d’autres – d’écrire cette lettre irréprochable, je l’aurais été sur l’heure par la réception d’une seconde lettre d’un enfant du même âge, élevé dans sa famille, fils de parents très lettrés, de plus un enfant intelligent.

« Ma chère tante,

« Je te remercie bien des jolis livres ques tu ma envouyés. Je les li tous les jours et ils m’amusent beaucoup. Je te prie Danbrasser mon oncle et mes cousin, et je suis bien pressés de les voir. Ton neveu qui tambrasse

                                                                           « SAMUEL. »

« Je n’ai pas besoin de vous dire, ajoute la mère, que Samuel a écrit cela tout seul. Il est plus fort, jusqu’ici, en gymnastique qu’en littérature, et use plus de souliers que de plumes et d’encre. »
Comme résultat intellectuel, que reste-t-il de ces travaux à grand effet, de ces lettres, de ces compliments ? Dans les écoles primaires, dans les écoles normales, aux diverses sessions d’examens, les devoirs de style sont, en général, d’une faiblesse désespérante. Plusieurs directeurs d’écoles supérieures nous ont raconté les difficultés qu’ils ont à vaincre pour obtenir de leurs élèves des pages écrites avec correction et surtout avec simplicité. Le mal part du début : on a voulu faire exprimer par les enfants des sentiments factices dans un langage d’hommes faits ; ils n’ont pas appris à regarder en eux-mêmes et à dire simplement ce qu’ils y voyaient ; ils sont à la fois paresseux d’esprit et emphatiques.
Au point de vue moral, les résultats des concessions faites aux parents, des satisfactions de vanité qu’on leur procure sont déplorables. D’une part, l’enfant, complice d’une fraude, reçoit des leçons tacites de déloyauté de ceux-là même qui ont pour mission de développer sa moralité ; d’autre part, les parents exigent d’autant plus qu’on leur donne davantage (c’est logique, il faut bien faire des progrès!), si bien que les enfants sont de plus en plus entraînés, puis maintenus dans un milieu détestable pour leur corps, leur esprit et leur conscience.
Pour faire plaisir aux parents ! on a méconnu et l’on méconnaît tous les jours davantage l’esprit de l’institution. Le règlement des salles d’asile prévoyait les distributions de vêtements aux enfants nécessiteux, et, par des raisons de haute convenance, de délicatesse, il recommandait de ne pas donner à ces distributions le caractère d’une cérémonie. Ces vêtements, en somme, c’était une aumône, et le règlement n’entendait pas que l’on humiliât les parents et que l’on habituât les enfants à recevoir la charité.
         Cependant, presque partout, la cérémonie avait lieu à grand renfort de récitations, de comédies et de chants.
Aujourd’hui il y a un progrès moral. Quand l’aumône est indispensable, elle se cache ; le sentiment de dignité des parents et des enfants est respecté ; malheureusement, l’école maternelle est entrée dans la voie des distributions de prix, des vraies distributions de prix, avec discours enguirlandés de fleurs de rhétorique, avec listes copiées sur beau papier, – le  « palmarès » des lycées. N’a-t-on pas lieu de se croire au lycée, en effet, lorsqu’on entend annoncer des prix d’honneur, de lecture, d’écriture, de calcul, de géographie, d’histoire naturelle et de style ?
         Si l’on veut donner des prix, qu’on récompense au moins toutes les bonnes dispositions dont parle la circulaire ministérielle ! que l’on donne des prix de bonnes influences, d’activité intellectuelle (par exemple le prix de « pourquoi » ? le seul qui eût sa raison d’être), le prix de bonne santé, le prix d’oreilles, d’yeux, de mains… Vous voyez que nous sommes loin de la liste de tout à l’heure.
Il est impossible, de méconnaître d’une manière plus déplorable les idées qui ont amené la réorganisation de nos écoles qu’on ne les méconnaît le jour de la distribution des prix.
Admettons un instant que les enfants aient mérité les prix qu’on leur décerne. En ce cas, ils ont été surmenés, ils ont subi, au préjudice de leur intelligence et de leur santé, un enseignement prématuré, disproportionné. C’est de la détestable hygiène. Mais, pour charger ce bagage, quelques enfants ont accaparé le temps des maîtresses au détriment de la masse ; ils constituent alors une espèce d’aristocratie, un groupe privilégié. C’est une injustice, car les maîtresses se doivent également à tous, et, si les parts devaient être inégales, il faudrait que ce fût à l’avantage des petits.
Donc, mauvaise hygiène intellectuelle et matérielle, injustice : tel est le bilan des prix, en admettant qu’ils soient mérités.
Mais ils ne le sont pas (la preuve, c’est que chacun en a au moins un). Tous pourraient se réduire à un seul : le prix de mémoire, car, dans toutes les écoles maternelles qui, oublieuses de leur but, sont devenues des écoles primaires, les enfants répètent des mots vides d’idées. On récompense donc des mérites illusoires, et l’objet donné en récompense, le livre, est, pour la plupart de ceux qui le reçoivent, du papier blanc plus ou moins maculé de noir, recouvert de carton plus ou moins doré, car on donne des livres aux enfants de deux ans, et quelquefois ces livres ne sont pas même illustrés !
Un enfant de deux ans, de quatre ans, en possession de sa couronne et de son livre, s’occupe de sa couronne d’abord ; il la met sur sa tête, l’enlève, la remet ; puis, comme l’ennui naît bientôt de l’uniformité, il arrache feuille après feuille, porte chacune à sa bouche, et bientôt ses lèvres, son visage, ses mains sont teints en vert. Quant au livre, il l’ouvre, le ferme, le tourne, le retourne, lui fait faire « dodo », le met sur le bout de ses bottines et tâche de le faire sauter en l’air, en fait, en un mot, un jouet, puis en arrache les pages, et, lorsqu’il y a entente entre voisins, on se fait des libéralités de fragments de livres. Avant que la séance soit levée, il n’y a plus ni volumes, ni couronnes.
Cela ne souffre pas la discussion. On doit inculquer à l’enfant le respect du livre ; il ne le respecte que quand il en a compris le charme et l’utilité.
Traitons les questions à un autre point de vue. Les distributions de prix ont lieu, en général, dans la première quinzaine d’août, c’est-à-dire à l’époque la plus chaude de l’année.
Les enfants, frisés, pomponnés, gênés par une toilette inusitée, – quelques-uns ont des gants, les malheureux ! – sont assis au gradin. La salle est comble ; on étouffe. Les pauvres tout petits, que la cérémonie n’intéresse pas du tout, se roulent, se battent ; beaucoup tombent endormis ; quelques-uns, apercevant leurs mères, veulent aller à elles, tendent leurs bras et crient (j’en ai vu une fendant péniblement la foule et venant administrer le fouet à son bébé dont la tenue ne faisait pas honneur au costume qu’elle lui avait confectionné) ; d’autres veulent les couronnes dorées des prix d’honneur et « font des scènes ». Quant aux qui savent ce qu’ils doivent à la solennité, ils ruissellent de sueur.
Ce supplice dure, au moins, deux heures.
J’ai vu beaucoup de distributions de prix. Ma raison et mon cœur en ont été également révoltés.
« Mais les parents y tiennent ! » répète-t-on en chœur. Il faut les amener à des idées sensées ; les instituteurs ont autre chose à faire que d’entretenir les préjugés des ignorants.
D’ailleurs on peut tout concilier.
J’en reviens à mes jouets. A la fin de l’année, la municipalité ayant 100 fr. à dépenser pour les prix (je dis 100 fr. comme je dirais 500 fr. ou 30 fr.), la municipalité achètera des jouets solides, jusqu’à concurrence de 75 francs par exemple. A un jour déterminé, les enfants seront réunis à l’école, en toilette, si les parents y tiennent ; avec leurs parents, si ceux-ci le désirent, et l’on fera la fête des jouets neufs. Il y aura des chariots, des seaux, des pelles, des poupées, des boîtes de constructions, des boîtes à couleurs, etc. Les deux heures employées naguère à souffrir au gradin, on les emploiera à jouer.
Le moment de cesser les jeux arrivé, on distribuera aux enfants les gâteaux achetés avec les 25 francs mis en réserve. Tout le monde sera content, et la raison sera sauve.
Les petits succès de famille ne suffisent déjà plus aux directrices d’écoles maternelles, elles recherchent maintenant les applaudissements du grand public et font travailler les enfants pour les expositions scolaires.
Certes, l’exposition scolaire a du bon (j’allais dire qu’elle pourrait en avoir). Que les exposants soient agriculteurs, industriels, artistes, instituteurs, toute exposition est incontestablement une cause d’émulation. Or l’émulation est féconde, dans les écoles surtout. Quels que soient les objets exposés, ils forment une collection où les intéressés viennent étudier, comparer, puiser, avec l’intuition du mieux, des idées nouvelles. Une collection de livres, de cahiers, de dessins, d’ouvrages manuels est, à ce point de vue, aussi utile qu’une collection d’instruments aratoires, de produits manufacturés.
Emulation et progrès, tels sont les précieux résultats des expositions scolaires; nous pourrions donc nous féliciter de les voir fréquentes et nombreuses. Mais ces résultats ne seront obtenus que si l’on prépare ces expositions de la manière la plus scrupuleuse ; et quand je dis « on », je parle des exposants eux-mêmes, c’est-à-dire des instituteurs, des institutrices, des directrices d’école maternelle.
La première condition pour qu’une exposition scolaire donne les résultats que l’on est en droit d’en attendre, c’est que tous les élèves d’une même classe y prennent part et que les travaux exposés soient faits par eux, aussi strictement que les travaux quotidiens. Ce sont les travaux quotidiens eux-mêmes qui devraient être exposés. Il ne nous convient pas du tout, en effet, de voir ce que pourrait être une école composée d’enfants triés parmi les plus intelligents et ayant travaillé avec l’aide du maître, dans des conditions toutes particulières et impossibles à généraliser. Il ne nous intéresse pas d’étudier les prétendus résultats d’une école factice. Ce qu’il nous importe de savoir, c’est ce que peut donner, dans les conditions normales et au moment actuel, une école dirigée par des maîtres intelligents et dévoués. Nous voulons savoir que non seulement l’élève X... dont nous avons le travail – sous les yeux, a réellement fait ce travail, mais que tous ses camarades de classe peuvent en faire à peu près autant. Nous voulons, en un mot, pouvoir porter un jugement général sur le développement de tous les écoliers d’un âge déterminé. Tous nous intéressent, parce que ce sont eux tous qui vont former la génération dont le pays a besoin, que le pays attend. Pierre et Marguerite, élèves privilégiés, ne nous sont pas indifférents ; mais nous ne les suivons qu’à titre d’exception, de curiosité. Au point de vue du développement de la masse, c’est donc la moyenne de chaque école qui nous intéresse ; c’est le travail de cette moyenne qui doit être exposé.
Ce doit être, mais cela n’est pas. Dans toutes les expositions que j’ai visitées, je me suis trouvée en présence de travaux spéciaux, dans lesquels, trop souvent, la part de l’instituteur était évidente, – pour moi du moins, – ce qui enlevait à mon étude tout son intérêt.
Ces travaux spéciaux sont, en général, d’un niveau plus élevé que celui des travaux ordinaires ; ils ne sont pas assimilés par l’enfant, qui s’est déchargé sur le maître de toute la partie difficile. Ce n’est pas leur seul tort. Ils encouragent, comme je l’ai déjà dit, les parents, si portés à trop exiger de leurs enfants et des maîtres, à en exiger plus encore, ce qui est détestable comme hygiène, ce qui est détestable aussi comme pédagogie. Ils ont des torts encore plus graves : ils trompent le public sur la valeur intellectuelle et sur la valeur morale de l’instituteur ; ils habituent l’enfant à accepter des éloges immérités et le rendent ainsi complice d’un mensonge. Ces travaux spéciaux faussent, en un mot, l’esprit de l’exposition ; ils en paralysent l’action bienfaisante, car il ne saurait y avoir émulation et progrès que s’il y a sincérité.
« Si nous n’exposions que le travail de l’enfant, nous disait une directrice, nous n’exposerions rien du tout. » Cette directrice se trompait ; on trouverait dans les écoles maternelles des éléments pour des expositions de travaux enfantins, et ces expositions seraient extrêmement intéressantes.
Les seuls travaux d’école maternelle susceptibles d’être exposés, les travaux manuels ayant à peine droit de cité dans nos écoles, parce que le matériel manque et aussi parce que les directrices ne sont pas préparées, les travaux manuels figurent en petit nombre aux expositions, et encore ont-ils presque tous été faits par les maîtresses ; quant aux cahiers, très nombreux, ils sont tout à fait désolants, parce qu’ils nous prouvent à quel point est méconnue dans nos écoles la méthode maternelle. L’école primaire envahit chaque jour davantage, la mauvaise école primaire ! Au moment où tous les bons esprits combattent chez cette dernière l’abus des devoirs écrits, le devoir écrit s’implante chez nous. Non seulement l’ardoise ne suffit plus, mais le cahier est plein d’exercices dont nous ne voulons même pas pour des enfants de sept à treize ans !
La page d’écriture, la désespérante page se fait journellement ; l’alphabet à satiété : ce que l’on appelait autrefois « la croix » (sans doute parce que c’était un supplice), puis les syllabes détachées, puis les mots détachés, abstraits, inintelligibles, – la plupart de ceux qui composent les tableaux de lecture ; – puis  des pages entières de chiffres. Après la page, la copie ; après la copie, la dictée ; après la dictée, l’analyse grammaticale ; après l’analyse grammaticale, l’exercice d’invention, exercice écrit par des enfants qui ne savent encore ni penser ni parler ; exercice sur des sujets trop difficiles, résumés de leçons de choses ou descriptions d’images, ou biographie placée sous un portrait. C’est ainsi que j’ai vu tout un album avec des choses de ce genre : Palisie è mor de fin dans saprison; il a invanté l’émail de fleur et de poison ; et ceci encore, au-dessous du portrait de Pestalozzi : J’éme Pestalozzi parce ci a fé du bien aux enfan de la suise ; il a fé une école maternèle. Aimer Pestalozzi à cinq ans! A quel âge permettra-t-on désormais aux enfants d’aimer leur tambour, leur cheval de bois, leur poupée ?
Un enfant pense aux choses qui l’intéressent, et il en parle en termes naïfs qui nous prouvent qu’il comprend. Un petiot de cinq ans peut-il penser à Pestalozzi ? à Charlemagne, à Roland, « qui a coupé les Pyrénées » ? Est-il bon qu’il y pense ? Hélas ! naguère encore l’enfant récitait des choses abstraites ; aujourd’hui, par aggravation, il les écrit ! A ce métier, sa curiosité s’émousse, son imagination s’étouffe, son intelligence s’endort. Il ne parlait pas assez, tantôt il ne parlera plus du tout ; c’est le langage écrit qui tient la corde.
Avec le langage écrit fleurissent les leçons spéciales à un petit nombre d’enfants dont on croit faire des privilégiés, en s’occupant d’eux pendant que les autres sommeillent d’esprit et de corps; on contente ainsi quelques parents qui n’ont pas conscience du véritable intérêt de leurs enfants ; on méconnaît absolument, et de plus en plus, le but éducatif de l’école maternelle.
Le plus douloureux, c’est que la plupart des directrices croient ainsi rehausser l’institution et s’élever elles-mêmes ! Nous ne cesserons de jeter le cri d’alarme ! Il faut absolument sauver nos petits de la pédagogie du livre. A force d’y penser, avec notre cœur surtout, nous finirons bien par trouver la méthode, c’est-à-dire la marche à suivre pour que l’enfant, qui n’est d’abord que germes, arrive enfin à l’épanouissement complet de ses facultés. Cette méthode sera maternelle et non scolaire, et, croyez-le, elle y gagnera en intelligence, en élévation ; elle sera une méthode en vie.
Ah ! si les directrices voulaient faire leur examen de conscience. « Les procédés matériels, se demanderaient-elles, ont-ils toujours répondu à la méthode rationnelle ? Ont-ils été sans cesse modifiés en raison de l’intelligence des enfants auxquels ils s’adressaient ? Les enfants n’ont-ils pas été dressés en bloc, sans égard pour les nombreuses différences de leur tempérament physique et moral ? Ne pourrions-nous pas, en assouplissant le système, individualiser davantage l’éducation ? L’éducation elle-même a-t-elle tenu la place à laquelle elle a droit ? N’a-t-elle pas été trop souvent traitée en accessoire ? L’enfant a-t-il été assez aimé, assez respecté ? a-t-on constamment vu en lui une personnalité à développer, au lieu d’une machine à faire fonctionner ? S’est-on bien pénétré de cette idée, que, pour avoir des hommes à l’âge d’homme, il faut avoir des enfants à l’école maternelle ? S’est-on bien convaincu de cette maxime, que, si les vérités scientifiques ne pénètrent dans l’esprit qu’à l’aide de certains procédés, qui varient d’après la nature de l’enfant, les vérités morales s’inculquent seulement par la persuasion, par la persévérance, par la douceur et la tendresse, et enfin par l’exemple? »
L’examen de conscience doit être minutieux, car le sujet en vaut la peine.
Mais l’examen de conscience n’est pas tout.
Lorsque chaque question aura eu sa réponse, lorsque les directrices se seront fait une conviction, il faudra qu’elles s’arment d’une force nouvelle, peu en honneur, il faut l’avouer : je veux parler du courage moral, que l’on appelle plus généralement le courage de son opinion.
L’éducateur doit avoir sa conviction ; et, pour qu’elle produise les résultats qu’il en attend, il faut qu’il ait en même temps le courage de sa conviction.
Or la conviction fait trop souvent défaut. Elle est le prix de recherches consciencieuses, d’études personnelles, d’observations, de comparaisons d’essais renouvelés avec persévérance. Il faut étudier l’enfant, il faut étudier les méthodes, il faut s’étudier soi-même.
On m’objectera que le temps manque pour cela. Mais le temps n’a, pour ainsi dire, rien à faire avec cette enquête morale ; il n’est pas besoin de s’assigner une heure pour l’entreprendre ; les études qu’elle comporte ne figurent pas sur les règlements mais elles embrassent la journée entière. En descendant en soi-même, on s’aperçoit que l’on s’y livre ; en regardant autour de soi, il semble qu’on la respire. Elle est le prix des habitudes intellectuelles et morales.
Or rien n’est long à prendre comme les habitudes de l’esprit !
Si le personnel enseignant ne s’est pas fait, autant qu’on aurait pu le désirer, la conviction qui décuple les forces, c’est qu’il ne s’est peut-être pas persuadé qu’il avait non seulement le droit, mais le devoir du contrôle. Il nous parait avoir accepté tout d’une pièce les méthodes et les procédés, et, au lieu de les étudier avec l’esprit critique qui leur en eût révélé les qualités et les défauts, un trop grand nombre les ont pratiqués de prime saut dans leurs écoles, sans signaler à qui de droit leurs observations à mesure qu’elles se produisaient.
Les exemples se pressent sous ma plume. Il m’a été dit cent fois « J’ai toujours été opposée à la lecture aux cercles, qui ne me donne aucun résultat ».
« J’ai toujours critiqué, à part moi, la séparation des sexes au gradin, et surtout à la récréation ; le moindre désagrément que j’aie trouvé à cette séparation, c’est d’enlever à nos écoles leur caractère d’écoles maternelles. » Et cependant ces mêmes directrices pratiquaient la lecture dans les conditions mêmes qu’elles désapprouvaient, et aussi la séparation des sexes, sans avoir jamais fait part de leurs scrupules aux inspecteurs de tout ordre qui avaient visité leur école. On dirait qu’elles se croient enserrées dans le règlement comme dans un cercle de feu.

Elles avaient tout à gagner cependant à transmettre leurs doutes à l’inspection. L’inspecteur, l’inspectrice à qui elles se seraient adressées, les auraient certainement exhortées à modifier peu à peu d’elles-mêmes ce qui leur paraissait défectueux, et à les tenir au courant des résultats ainsi obtenus. Ils auraient rassuré leurs craintes en leur disant que les programmes et les procédés ne sont pas immuables, et que leurs auteurs, eux-mêmes, attendent des instituteurs qui les mettent en œuvre autre chose qu’une obéissance servile. Les instituteurs sont les meilleurs juges,… pourvu que leur jugement soit fondé sur l’étude, sur la comparaison, pourvu qu’il soit, enfin, intelligent et consciencieux.
Je ne croirai jamais, pour ma part, qu’aucun cœur de directrice n’ait protesté contre le dressage mécanique auquel les enfants ont été si longtemps soumis dans nos écoles (j’emploie, je l’avoue, le passé avec quelques scrupules). Ce dressage, elles l’ont certainement jugé et condamné dans leur for intérieur ; mais elles ont eu le tort de ne pas croire à leur liberté morale. Nous leur aurions pourtant été bien reconnaissants de leur initiative.
Donc étudier, observer, comparer, arriver à la conviction, la discuter, s’il y a lieu, avec leurs guides, est un devoir pour les directrices d’écoles maternelles, comme pour tous les éducateurs ; un devoir« d’au-dessus », pensera-t-on peut-être ; mais ne devons-nous pas aspirer à l’ « au-dessus » ?
Il y a cependant des directrices qui, ayant étudié et compris, ont manqué de ce courage moral que j’appelais tout à l’heure le courage de son opinion.
Celles-là, malgré les protestations de leur conscience, laissent l’école primaire envahir l’école maternelle, alors que c’est l’école maternelle bien comprise qui doit forcer les portes de l’école primaire ; elles donnent des leçons disproportionnées ; elles trient dans l’école maternelle quelques sujets distingués, comme on en trie trop souvent dans les écoles primaires pour le certificat d’études, et cela non seulement au détriment de l’école entière, qui a été fatalement négligée, mais au détriment même des quelques privilégiés, qui ont été surmenés. Les petits enfants de cinq ans et demi à sept ans font, comme je le disais tout à l’heure, des pages d’écriture, pis que cela : des copies ; pis encore, des analyses grammaticales ; ils font enfin des résumés d’histoire ! Et, quand on représente à leurs maîtresses, qui devraient remplacer leurs mères, ce qu’il y a de dangereux dans cette manière d’agir, quand on leur dit à quel point elles sont coupables envers ce groupe d’enfants et envers tous les enfants qui leur sont confiés, quand on leur répète une fois encore que l’école maternelle type sera l’école où les enfants s’épanouiront en liberté et apprendront bien plus les uns des autres et d’eux-mêmes que de la maîtresse et des livres, celles-ci répondent : « C’est bien vrai ! je comprends parfaitement la justesse des observations qui me sont faites ; j’y pense souvent. Mais les parents y tiennent, et puis,… dans la région, toutes les écoles en font autant; je ne veux pas être la première… la seule peut-être à faire du nouveau ; j’attends… Quand toutes mes collègues s’y mettront, je m’y mettrai aussi. »

Attendre ! mais attendre, c’est d’abord priver une école des progrès qui auraient pu être réalisés ; c’est refuser ensuite un exemple qui eût pu être salutaire à d’autres écoles. L’état stationnaire est toujours causé par ceux qui attendent ; ce sont ceux qui vont en avant qui font le progrès.
Attendre, quand on a sa conviction faite !...
Si Jeanne d’Arc avait attendu que le courage vînt au roi Charles VII, qui peut dire pendant combien d’années encore le roi d’Angleterre aurait ajouté à son titre le titre glorieux de roi de France ? Si Gutenberg avait attendu, au lieu de travailler sans relâche, qui sait à quelle époque le monde aurait appris à lire et à penser ? Si Christophe Colomb avait attendu, l’existence du Nouveau Monde aurait été considérée, pendant des siècles, comme le rêve d’un insensé. Et je pourrais multiplier par milliers tous ces grands exemples.
Pour ne parler que de ce qui nous concerne spécialement, si Oberlin avait attendu pour réunir les enfants qui ne pouvaient être élevés chez eux, les salles d’asile n’auraient pas été créées ; si Mme Mallet et ses amies avaient attendu, l’œuvre d’Oberlin ne se serait pas étendue, généralisée.
Une fois convaincu, on n’a plus le droit d’attendre ; il faut faire preuve de courage moral.
Le courage moral est nécessaire non seulement à ceux qui se trouvent en présence d’actes héroïques à accomplir, d’institutions à fonder, d’idées nouvelles à faire accepter, mais il est nécessaire aussi à tous dans la vie de tous les jours pour obéir aux instigations de la conscience. Il est nécessaire spécialement aux éducateurs pour suivre l’impulsion qui leur a été donnée, pour continuer la marche en avant imprimée par les novateurs. C’est, pour les directrices d’école maternelle le seul moyen d’honorer la mémoire des grands cœurs qui se sont dévoués à l’œuvre de l’éducation de l’enfance.
Je ne cesserai de le dire : les enfants, même les plus grands, ne vont pas à l’école maternelle pour s’instruire. Si en s’amusant, si en se faisant de la santé, si en développant leurs facultés morales, ils happent un peu d’instruction, ce sera une heureuse circonstance mais nous ne pouvons continuer d’accepter que l’accessoire tienne la place du principal.
Il faut y réfléchir ; le cas est beaucoup plus grave qu’on ne le croit ; c’est presque une question de vie ou de mort pour l’institution elle-même ; les plus dévoués champions de l’école maternelle ont fini par s’interroger avec anxiété et par se demander s’ils pourraient engager plus longtemps l’État à favoriser, par une instruction prématurée, l’atrophie des facultés de l’enfant ; tandis qu’ils se sentent des enthousiasmes d’apôtres pour ces établissements où il vivrait heureux pendant que sa mère travaille au dehors, et pour un personnel d’éducatrices assez distinguées pour ne pas amoindrir leur rôle sous le prétexte de l’étendre et de l’élever.
Quand j’ai parlé tout à l’heure de « happer » un peu d’instruction, j’avais surtout en vue les enfants qui composent la section des petits, section qui, en général, devrait garder les enfants jusqu’à cinq ans révolus.
A cinq ans, s’il se porte bien, s’il est suffisamment développé, l’enfant peut apprendre quelque chose pour l’apprendre, à la condition cependant que la leçon soit donnée avec la plus grande délicatesse et à l’aide des procédés les mieux appropriés à sa nature mobile. Un enfant de cinq ans peut commencer à apprendre à lire ; il doit savoir le nom des choses qu’il voit, apprendre en quoi elles sont faites et à quel usage elles servent. Il peut aussi apprendre à compter ces choses, à les grouper de différentes manières ; il peut faire la différence entre la forme d’une boîte et celle d’une orange, entre la couleur des feuilles des arbres et celle de leurs fleurs. Il est en âge de distinguer la plaine de la colline, la montagne de la mer. C’est intéressant pour lui de savoir que le pain qu’il mange est fait avec de la farine, le vin qu’il boit avec du raisin, les souliers qu’il porte avec de la peau de mouton, et sa blouse avec la laine du même animal. Il lui est aussi agréable qu’utile de devenir adroit de ses mains.
Le programme des écoles maternelles répond à ces besoins de l’enfant, et, grâce à ce programme, on arriverait à développer toutes ses aptitudes. Malheureusement, il a quelque chose de trop précis, il affecte une espèce de rigueur mathématique, à laquelle les directrices se sont trompées. Tout son tort consiste à être un programme, alors que, avec des enfants aussi jeunes que ceux qui fréquentent les écoles maternelles, tout le côté instructif devrait être laissé à l’initiative des directrices.
La première année, elles ont pu s’y tromper, et, en lisant par exemple ceci : « Quelques notions sur la terre et les eaux », ou encore « Leçons de choses », elles ont pu se croire forcées d’enseigner à, ces pauvres petits que, la terre est un corps formé de molécules (sic) et que l’eau est un liquide incolore ; elles ont pu se tromper au point de raconter et de faire reproduire aux enfants les guerres d’Italie, et enfin, à propos d’éponges, de décrire les zoophytes. Mais il a été si souvent expliqué et commenté depuis quelques années, ce programme, qu’il doit être enfin compris, et que les directrices savent maintenant dans quel esprit il doit être appliqué. Elles se sont bien convaincues que l’enfant ne peut apprendre fructueusement à lire que s’il sait parler et que s’il comprend ce qu’il lit, et elles se sont promis d’éloigner des tableaux de lecture tous les mots abstraits et tous les noms de choses qu’ils n’ont jamais vues et ne pourront jamais voir ; elles se sont promis, en outre, de ne pas faire lire des mots tout seuls, tout secs, et de composer toujours des groupes capables d’éveiller des idées ou de rappeler des souvenirs. Elles auront pris la résolution de restreindre leur enseignement technique aux choses les plus usuelles et d’attendre que l’enfant demande l’instruction, au lieu de la lui distribuer d’autorité ; elles ont surtout substitué à la leçon… leçon, à la causerie convenue, artificielle, la causerie intéressante, mouvementée, vivante ; elles se rappelleront enfin, pour le commenter et en tirer un enseignement précieux, le mot récent d’un de nos plus éminents pédagogues, M. Félix Pécaut : « L’enfant, avant six ans, n’est pas matière scolaire ». « Matière scolaire », non, en effet ; c’est pourquoi nous ne voulons pas l’astreindre aux leçons proprement dites. Matière développable, oui, et c’est pour les aider à la développer que nous nous associons à l’œuvre des directrices.


Pauline Kergomard - L'éducation maternelle dans l'école

L'ouvrage de Pauline Kergomard, L'éducation maternelle dans l'école, paru en 1886, a contribué à installer définitivement en France l'idée d'école maternelle. 

I- Education
1. L'école maternelle - 2. Le local - 3. Qu'est-ce qu'une école maternelle ? - 4. L'école maternelle éducatrice - 5. L'école maternelle mixte - 6. L'éducation, ensemble de bonnes habitudes - 7. Education morale 

II- La section des petits
8. Eléments éducatifs dont dispose l'école maternelle

9. Le sectionnement

Voir aussi l’article « Maternelles (Ecoles) » de P. Kergomard dans le dictionnaire Buisson de 1911 : http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3142)

III- La section des grands 
10. Encore et toujours l'école maternelle éducatrice 


PAR

Mme P. KERGOMARD

INSPECTRICE GÉNÉRALE DES ÉCOLES MATERNELLES


LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie, PARIS, 1886

  Version complète ou chapitre par chapitre : 

http://michel.delord.free.fr/kergomard-educmater.html

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