Première Partie : Où il est parlé des lettres et des caractères de
l’écriture
CHAPITRE VI. - D’une nouvelle manière pour apprendre à lire facilement en toutes
sortes de langues.
Cette méthode
regarde principalement ceux qui ne savent pas encore lire.
Il est certain
que ce n’est pas une grande peine à ceux qui commencent, que de connaître
simplement les lettres ; mais que la plus grande est de les assembler.
Or, ce qui
rend maintenant cela plus difficile, est que chaque lettre ayant son nom, on la
prononce seule autrement qu’en l’assemblant avec d’autres. Par exemple, si l’on
fait assembler fry, à un enfant, on
lui fait prononcer ef, er, y
grec ; ce qui le brouille infailliblement, lorsqu’il veut ensuite
joindre ces trois sons ensemble, pour en faire le son de la syllabe fry.
Il semble donc
que la voie la plus naturelle, comme quelques gens d’esprit l’ont déjà
remarqué, serait que ceux qui montrent à lire, n’apprissent d’abord aux enfants
à connaître leurs lettres, que par le nom de leur prononciation ; et qu’ainsi
pour apprendre à lire en latin, par exemple, on ne donnât que le même nom d’e à l’e simple, l’æ et l’œ, parce qu’on les prononce d’une même
façon ; et de même à l’i et à l’y ; et encore à l’o et à l’au, selon qu’on les prononce aujourd’hui en France; car les
Italiens font l’au diphtongue.
Qu’on ne leur
nommât aussi les consonnes que par leur son naturel, en y ajoutant seulement l’e muet, qui est nécessaire pour les
prononcer : par exemple, qu’on donnât pour nom à b, ce qu’on prononce dans la dernière syllabe de tombe ; à d celui de la dernière syllabe de ronde ; et ainsi des autres qui n’ont qu’un seul son.
Que pour
celles qui en ont plusieurs, comme c,
g, t, s, on les appelât par
le son le plus naturel et plus ordinaire, qui est au c le son de que, et au g le son de gue, au t le son de la
dernière syllabe de forte, et à l’s celui de la dernière syllabe de bourse.
Et ensuite on
leur apprendrait à prononcer à part, et sans épeler, les syllabes ce, ci,
ge, gi, tia, tie, tii.
Et on leur ferait entendre que l’s, entre
deux voyelles, se prononce comme un z,
miseria, misère, comme s’il y avait mizeria,
mizère, etc.
Voilà les plus
générales observations de cette nouvelle méthode d’apprendre à lire, qui serait
certainement très utile aux enfants. Mais pour la mettre dans toute sa
perfection, il en faudrait faire un petit traité à part, où l’on pourrait faire
les remarques nécessaires pour l’accommoder à toutes les langues.
FIN DU CHAPITRE VI
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* Voir aussi l’article
« Pascal » du Dictionnaire
Buisson 1911 : http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3336
** Voir aussi, dans le même
ouvrage, l’article « Port-Royal
(petites écoles de) » : (extrait) « pour partir de l'a b
c, on avait été frappé à Port-Royal du temps que les enfants mettaient à
apprendre à lire et de la peine que leur donnaient ces premiers commencements.
Pascal crut en trouver la principale cause dans ce fait, que la méthode suivie
d'ordinaire n'était rien moins que rationnelle, et il inventa la méthode qui
porte son nom. Sa sœur Jacqueline, qui, sous le nom de sœur Sainte-Euphémie,
s’était faite religieuse à Port-Royal des Champs et y enseignait à lire, en fit
l'essai : Voir l'article Pascal. Plus tard Arnauld en donna une exposition
méthodique dans le sixième chapitre de la Grammaire générale. (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6117192g/f281.image.r=Arnauld+grammaire+g%C3%A9n%C3%A9rale.langEN)
L'usage était d'apprendre à lire dans
des livres latins, et voici la singulière raison qu'en donnait encore, en 1686,
Fleury, dans son Traité des études : « On fait lire d'abord en latin,
parce que nous le prononçons plus comme il est écrit que le français ». Il est
vrai qu'il n'approuve qu'à demi cet usage, et qu'il ajoute : « Mais je crois
que le plaisir qu'aurait un enfant d'entendre ce qu'il lirait et de voir
l'utilité de son travail l'avancerait bien autant ; c'est pourquoi je voudrais
lui donner bientôt quelque livre français qu'il pût entendre ». On pense bien
qu'ici encore Port-Royal va rompre avec la coutume ; il préférera, pour
l'enseignement de la lecture, les livres français aux livres latins ; car, « comme
les enfants entendent leur langue naturelle, ils comprendront avec bien moins
de peine ce qu'ils liront en cette langue qu'en une autre dont ils n'ont encore
aucune idée ».
Sans attacher une importance exagérée
à la beauté de l'écriture, — « car il ne faut faire état des choses qu'autant
qu'elles peuvent servir à leur fin, et l'écriture n'ayant d'autre fin que la
lecture ne doit être estimée qu'autant qu'elle rend la lecture facile», — on ne
la négligeait pas pourtant. […]"
source de l'image : http://elisabeth.kennel.perso.neuf.fr/pascal.jpg |
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