David Wood en francais.
Traduction de la vidéo originale: https://www.youtube.com/watch?v=2Jg6M...
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Saint-Etienne-du-Rouvray, les cauchemars restent, la solidarité aussi
http://www.liberation.fr/france/2017/06/09/saint-etienne-du-rouvray-les-cauchemars-restent-la-solidarite-aussi_1575724
Entre eux, des liens invisibles - et improbables - se sont tissés. De loin, du maire communiste à l’archevêque catholique pro-vie, ils veillent l’un sur l’autre. «On a entamé un dialogue que je n’aurais pas imaginé», avance, dans sa mairie de Saint-Etienne-du-Rouvray, Hubert Wulfranc. Il sourit, accueillant, mais sa gorge se noue souvent. Le maire s’autorise à griller une cigarette, chasse un peu d’émotion. «On se soutient, oui», répond, en écho, la sœur Danielle. La septuagénaire énergique était là, dans l’église, quand, le 26 juillet 2016, deux jeunes jihadistes ont fait irruption pour assassiner le père Jacques Hamel. Avant le troisième coup de couteau, elle s’est enfuie et a donné l’alerte, laissant derrière elle deux autres religieuses et un couple âgé. «Une fois dehors, j’ai arrêté un camion. Le chauffeur a été formidable mais je n’ai jamais eu l’occasion de le remercier», regrette-t-elle. Sœur Danielle ne le connaissait pas et il n’a pas laissé son nom.
Depuis l’attentat, il y a eu moralement des hauts et des bas. En ce moment, c’est plutôt un gros bas. La religieuse, ancienne éducatrice, s’accroche, touchée par les témoignages de soutien, surtout de jeunes dont elle s’est occupée par le passé. Quant aux deux jeunes jihadistes, elle s’interroge encore sur ce qui les a conduits à une telle violence. «Ce ne sont pas les seuls responsables», dit-elle, invoquant le contexte social et ceux qui les ont manipulés. Il y a de la lassitude mais pas de ressentiment. Notamment vis-à-vis des musulmans de la commune.
L’église Sainte-Thérèse se situe près d’un lieu de culte musulman. Photo Cyril Zannettacci pour Libération
A la mosquée, dans la ville haute, celle qui a poussé dans les années 70, Mohammed Karabila, son responsable, rappelle volontiers que «les sœurs catholiques ont fait du soutien scolaire dans le quartier». Une manière de souligner qu’ici, les liens entre musulmans et chrétiens sont anciens. Il aime aussi à dire qu’il a la clé qui ouvre le lourd portail du jardin, séparant les terrains du lieu de culte musulman, bâti dans les années 90, et ceux de la paroisse catholique du Madrillet, érigée dans les années 70. Vieux bourg agricole, Saint-Etienne-du-Rouvray, entre ville haute et ville basse, est «bipolaire», comme le dit son maire. Très étendue, elle a grandi au fil des vagues successives d’immigration, d’abord espagnole et portugaise puis maghrébine. «Dans les années 70, avec le regroupement familial, des ouvriers qui vivaient dans des foyers en région parisienne se sont installés ici», explique le leader musulman. Chacun a appris à vivre en bonne entente. Y compris politique… «Une partie de ma cellule fréquente la paroisse. Et ici, le Secours catholique et le Secours populaire travaillent main dans la main», souligne le maire communiste. Cruciale dans les jours qui ont suivi l’attentat, la solidarité a tenu bon. «Il y a eu juste une poignée de catholiques intégristes à manifester, raconte Hubert Wulfranc. On les a virés et puis c’est tout.»
«Assez miraculeux»
Dans un contexte français très à vif, une dizaine de jours après l’attentat de Nice, le brutal assassinat d’un prêtre catholique aurait pu dangereusement dégénérer, être instrumentalisé à la manière d’un affrontement entre islam et christianisme. A Saint-Etienne-du-Rouvray, la réponse a été exemplaire. «Il y a eu sans doute un concours de circonstances assez miraculeux. La convergence s’est faite en quelques heures et la présence du chef de l’Etat a été décisive», relève le maire. A Hubert Wulfranc, François Hollande a promis qu’il reviendrait. L’athée a aussi marché de concert avec l’archevêque de Rouen, Dominique Lebrun. «Le soir de l’attentat, il était dans mon bureau à 23 heures», se souvient le maire. «Assommé par la nouvelle», le prélat est rentré d’urgence de Cracovie où se tenaient les Journées mondiales de la jeunesse, pressé de rentrer à Saint-Etienne-du-Rouvray. Il a d’abord dû faire un crochet par l’Elysée. «C’était un traumatisme, reconnaît-il. Il y avait à la fois ce sentiment d’être attaqué et en même temps la vision immédiate qu’il fallait aller vers la fraternité et le pardon. Je savais que cela allait être dur pour la communauté musulmane.» «On s’est senti salis. Un acte pareil, cela ne ressemble pas à l’islam, atteste en écho Mohammed Karabila. C’est seulement à la rentrée scolaire qu’on a commencé à être rassurés.» Quand les enfants ont repris l’école, il n’y a eu ni rejet ni amalgame. Pourtant il reste des traces, un malaise diffus, des marques à retrouver. Des regrets aussi ? «La mosquée, c’est un rempart contre le terrorisme, soutient le responsable musulman. Adel Kermiche [l’un des deux assaillants, ndlr], si on l’avait connu, peut-être qu’on aurait détecté quelque chose.» Dans sa mosquée, Mohammed Karabila a mesuré l’impact planétaire de l’attentat. Il y a reçu, dans les mois qui ont suivi, des imams d’Angleterre, du Québec, une délégation égyptienne d’Al-Azhar, l’une des grandes autorités de l’islam sunnite. Il a dû en rassurer certains. «Ils pensaient trouver des gens en guerre», dit-il.
La famille d’Adel Kermiche a quitté Saint-Etienne-du-Rouvray et le pavillon où elle vivait. Les uns et les autres parlent de gens sans problème à la réussite sociale certaine et le parcours brillant des deux aînés, devenus l’une chirurgienne et l’autre ingénieur. Il y a quelque temps, sœur Huguette, l’une des trois religieuses présentes lors de l’attentat, a reçu un coup de téléphone d’une intermédiaire. «La mère d’Adel Kermiche voulait savoir si, pendant la prise d’otages, il avait parlé de ses parents», explique-t-elle. Non, le terroriste n’a pas évoqué son père et sa mère. L’amorce de dialogue s’est arrêtée là, laissant des regrets à sœur Huguette.
Bouquet de jonquilles
Les trois religieuses vivent dans une modeste maison de plain-pied qui appartient à la paroisse. «Depuis les événements, racontent-elles, nos voisins sont attentifs à ce qui se passe autour de chez nous.» Elles ne le diront pas comme ça, mais elles en sont rassurées. Les images de l’attentat les hantent encore. Et une peur impalpable s’est installée. Chez elles, les sœurs accueillaient souvent Jacques Hamel. «C’était un solitaire, Jacques. Il aimait cette solitude mais quand on sentait qu’il déprimait un peu, nous l’invitions.» Spontanément, dans son bureau, le maire Hubert Wulfranc évoque, lui aussi, le prêtre comme quelqu’un «de la famille». «C’était une silhouette connue, un vieux monsieur comme beaucoup, simple et sans chichi, dit l’élu. Je le croisais quand il achetait son pain. Il se sentait bien parmi la population de Saint-Etienne.» «Ici, tout le monde le connaissait, dit aussi cette jeune femme qui attend son fils à la sortie de l’école, jouxtant l’église, dans la ville basse, où a eu lieu l’attentat. Il a baptisé ma mère et il a marié ma sœur.» Par son parcours (il a toujours œuvré dans les paroisses ouvrières), par ses choix (il a refusé d’être officier pendant la guerre d’Algérie), le prêtre était une figure difficilement enrôlable dans un «clash des civilisations».
Le curé Auguste Moanda, arrivé du Congo il y a cinq ans, a perdu un père spirituel. Photo Cyril Zannettacci pour Libération
Il y a peu, sa sœur Roselyne est venue trier quelques affaires dans le presbytère où Jacques Hamel vivait, une jolie bâtisse de briques de la ville basse. Elle est aussi passée à la mairie, impressionnante de dignité. Lors des obsèques de son frère à la cathédrale de Rouen, elle lui a rendu un hommage simple et vibrant qui a bouleversé l’assistance. Discrète et effacée au moment du drame, la famille du prêtre a fortement marqué l’archevêque. «Jamais, elle n’a réclamé vengeance», pointe Dominique Lebrun. Du prêtre, il dit qu’il «revient souvent dans les conversations et qu’il place chacun devant l’essentiel».
Au cimetière de Bonsecours, près de Rouen, la tombe de Jacques Hamel devient un lieu de pèlerinage. Il y a quelques semaines, les fidèles de la paroisse s’y sont rendus ensemble. «La blessure est encore là», dit le père Auguste Moanda, le curé de Saint-Etienne-du-Rouvray, arrivé du Congo il y a cinq ans. Lui a perdu une sorte de père ; c’est Jacques Hamel qui l’a accueilli à son arrivée en France. «Après l’attentat, la première fois, je n’ai pas pu entrer seul dans l’église», raconte-t-il. Depuis, il trouve «apaisant de s’y recueillir». Cet après-midi, il y a un modeste bouquet de jonquilles, au pied de l’autel, là où le prêtre a expiré. A la paroisse, le père Moanda a reçu des appels de personnes du monde entier souhaitant venir dans le lieu de culte. L’église a rouvert quelques semaines en octobre, puis à Noël, pour la messe de minuit. Elle sera bientôt à nouveau accessible au public, ce qui a fait débat parmi les fidèles, inquiets de la sécurité. En juillet, à l’occasion du premier anniversaire de l’attentat, la municipalité inaugurera, tout près de là, une stèle. Sur le buffet de leur salle à manger, les religieuses ont posé la photo de Hamel. Devant l’image, une bougie se consume lentement. «On la laisse jusqu’au 26 juillet», dit sœur Hélène.
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