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Chypre: "Il faut inventer d’autres processus de négociation» pour la paix" (07.07.2017)
Chypre: «Il faut
inventer d’autres processus de négociation» pour la paix
Par Maïder Gérard — 7
juillet 2017 à 20:43
Chypre (carte BiG) BiG
Depuis plus de
quarante ans, l'île est divisée en deux. Vendredi, des négociations pour une
réunification, encadrées par l'ONU, ont de nouveau échoué. Gilles Bertrand,
spécialiste de la question chypriote, revient sur le conflit.
Ce vendredi, au
petit matin, António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a annoncé
l’échec de la réunification de Chypre. «Un accord n’était pas possible»,
a-t-il déclaré depuis la station alpine de Crans-Montana, en Suisse, où avaient
lieu les négociations. Divisé depuis 1974 entre la République turque de Chypre
du Nord (RTCN), reconnue uniquement par Ankara, et la République de Chypre au
sud, l’île n’est pas parvenue à faire la paix. Gilles Bertrand, professeur à
Sciences-Po Bordeaux et spécialiste de la question chypriote, revient sur les
racines du conflit.
Pourquoi Chypre
est-elle divisée en deux ?
Sur l’île, il y
avait plusieurs communautés. Une communauté orthodoxe qu’on a appelée
Chypriotes grecs et une communauté musulmane qu’on a appelée Chypriotes turcs.
Il y avait 80% de Chypriotes grecs et 18% de Chypriotes turcs dans cette
colonie britannique qui gagne l’indépendance en 1960. Or la Grèce et la Turquie
voulaient chacune s’approprier l’île, ce qui a engendré un conflit local. En
1974, la junte militaire grecque, qui voulait annexer Chypre, a fait un coup
d’état. Ils voulaient annexer toute l’île à la Grèce et ils s’en sont pris
violemment aux Chypriotes turcs. A cause de cela, et parce qu’ils ont voulu
changer l’ordre constitutionnel, la Turquie est intervenue militairement, sur
une base légale qui s’appelle le Traité de garantie de 1960. Par ce traité, la
Grèce, la Turquie et le Royaume-Uni étaient les garants de l’indépendance
chypriote. Le problème, c’est que la Turquie aurait dû intervenir, chasser la
junte nationaliste grecque pour rétablir le gouvernement légal puis repartir.
Mais ce n’est pas ce qu’elle a fait. Elle a réglé le problème définitivement en
divisant l’île en deux. Et c’est comme ça depuis 1974. L’île a été divisée par
une intervention militaire unilatérale, ce qui n’est pas légal.
Aujourd’hui,
pourquoi les deux nations ne parviennent-elles pas à un accord ?
C’était déjà mal
parti parce que les bases de négociations sont mauvaises. C’était une
négociation bilatérale entre le président de la république de Chypre et le
président de la République de Chypre du Nord, et derrière, il y a les «deux mères
patries», selon l’expression consacrée, la Grèce et la Turquie. Ce
format-là est un format qui ne fonctionne pas, et pas seulement pour Chypre.
Parce que ces gens sont dans un rapport de force, il n’y a aucune confiance et
ils ont deux obsessions : la souveraineté et la sécurité.
Or le problème
essentiel, c’est de savoir si les Chypriotes grecs et turcs veulent vivre
ensemble et ce qu’ils sont prêts à faire pour vivre ensemble. Il faut qu’il y
ait une réflexion de fond chez les Chypriotes grecs. Ils doivent se demander ce
qu’ils veulent exactement. Est-ce qu’ils veulent la partition ? Ou est-ce
qu’ils veulent la réunification mais en faisant des concessions ? Je pense
qu’il aurait déjà fallu un premier référendum pour poser une bonne fois pour
toutes cette question aux Chypriotes parce que pour l’instant, on n’en sait
rien. La guerre d’Algérie, c’était compliqué jusqu’au moment où le Général
De Gaulle est arrivé et a décidé de soumettre la question au référendum. Les
Français étaient pour l’indépendance de l’Algérie, alors c’est ce qui a été
fait. Je ne dis pas que c’était idéal, mais à un moment il faut que ce soit
clair.
Quels sont les
principaux points de désaccord ?
Les Chypriotes grecs
voulaient que toutes les troupes turques partent, jusqu’au dernier soldat, mais
les Chypriotes turcs ont dit non. Ils veulent garder une présence minimale sur
l’île. La question que ne se posent pas les Chypriotes grecs, c’est pourquoi
les Chypriotes turcs ne se sentiraient pas en sécurité en tête-à-tête avec les
Chypriotes grecs. Là, il faudrait peut-être remettre à plat la période de
conflit intercommunautaire qui a eu lieu de 1963 à 1974. Il y a un peu
d’amnésie. Les Chypriotes turcs manquent de confiance envers les Chypriotes
grecs. Le côté turc ne pense pas que leur voisin du sud soit tout à fait guéri
de son nationalisme.
Après l’absence
d’accord d’aujourd’hui, y aura-t-il d’autres négociations à l’avenir ?
Bien sûr qu’ils
feront d’autres négociations. Ça peut continuer éternellement sauf si à un
moment quelqu’un tape du poing sur la table, comme l’ONU par exemple. Autre
hypothèse, les Chypriotes grecs comme turcs font quelque chose, expriment leur
opinion, font un printemps chypriote par exemple. Mais je suis très pessimiste,
je ne crois guère à l’une ou l’autre hypothèse. Il faut inventer d’autres
processus de négociation. Parce que ce processus en cours depuis mai 2015
n’est que la répétition de processus de paix antérieur. Il y a eu une trentaine
de négociations comme ça depuis 1964 et à chaque fois on retombe sur les mêmes
problèmes. Il faut faire preuve d’innovation, les solutions qui ont échoué dans
l’histoire de Chypre ne peuvent pas réussir maintenant.
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