1 juillet 2017

Contre-propagande face à l'islamisme

Face à l'État islamique, l'enjeu vital de la contre-propagande (12/05/2017)
Par Myriam Benraad Mis à jour le 12/05/2017 à 16:50 Publié le 12/05/2017 à 16:49

Face à l'État islamique, l'enjeu vital de la contre-propagande
Face à l'État islamique, l'enjeu vital de la contre-propagande

FIGAROVOX/ANALYSE- Pour la spécialiste du Moyen-Orient Myriam Benraad, la lutte contre l'État islamique et le terrorisme, qui sera un enjeu majeur du quinquennat d'Emmanuel Macron, ne peut pas seulement être une question de sécurité et de politique mais doit délégitimer dans la culture l'énoncé djihadiste lui-même.

Myriam Benraad est spécialiste du Moyen-Orient et maître de conférences en science politique à l'Université de Limerick (Irlande). Elle est l'auteur, entre autres publications, de L'État islamique pris aux mots, à paraître le 17 mai aux éditions Armand Colin.

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Au soir de son élection, Emmanuel Macron annonçait l'ouverture d'une «nouvelle page» pour la France et ses citoyens, synonyme d'espoir et de confiance retrouvés. Parmi les dossiers les plus sensibles auxquels va devoir se confronter le président fraîchement élu figure évidemment la problématique djihadiste qui a ensanglanté le mandat de son prédécesseur et profondément meurtri, autant que divisé, la nation. Le nouveau chef de l'État n'est pas sans savoir qu'il hérite de cette lourde et sombre page de notre Histoire commune et a symptomatiquement déjà prévu la tenue d'un débat parlementaire relatif au prolongement de l'état d'urgence (en place depuis les attentats du 13 novembre) et promis une mise à niveau des dispositifs et opérations du renseignement et de sécurité. Celle-ci verra notamment la création d'une cellule spéciale consacrée au groupe État islamique.

Sur le plan de la politique étrangère, l'Élysée entend recentrer la défense autour des enjeux associés au terrorisme et faire de la lutte anti-jihadiste un pilier de son action, poursuivant les opérations militaires déjà en cours (Chammal au Moyen-Orient et Barkhane au Sahel) et renforçant la coopération stratégique avec nos proches alliés, plus particulièrement les États-Unis de Donald Trump. Dans les grandes lignes, cette présidence trace donc une continuité assumée avec celle de François Hollande, avec une nuance sans doute : Emmanuel Macron a pris la pleine mesure de la nécessité d'adapter le combat actuellement livré à l'État islamique au-delà du tout-militaire et du tout-sécuritaire (l'opération Sentinelle a montré ses limites), et d'un rehaussement des moyens de dissuasion en place.

Le président s'était illustré lors de sa campagne en s'attaquant frontalement aux géants de la Toile et au chiffrement des données, tactique utilisée par les terroristes sur certaines messageries privées (WhatsApp, Telegram…) pour prendre des contacts, donner des ordres et rendre leurs communications indéchiffrables par la police et le renseignement. Il avait appelé à une régulation accrue de l'Internet, où s'écoulent sans discontinuer les contenus djihadistes, de même qu'à l'adoption de mesures plus adéquates pour contrer la radicalisation passant par la manipulation digitale des aspirants au djihad puis leur basculement violent. En réalité, des progrès notables ont déjà été réalisés concernant la suppression des contenus illicites en ligne, même partielle. Toutes les grandes entreprises (Twitter, Facebook, Google…) sont conscientes des enjeux présents et conduisent leurs propres politiques. Des codes de bonne conduite et législations sont également en vigueur, telles les deux lois sur la confiance dans l'économie numérique (LCEN) de 2004 et sur le terrorisme de 2014 qui permettent les déréférencements et blocages.

L'accent placé par Emmanuel Macron sur une obligation de résultat et le lancement d'une initiative majeure à l'échelle européenne est une bonne nouvelle. Son ambition de raffermir les discussions avec les principaux acteurs de l'Internet l'est tout autant. Dans les deux cas de figure néanmoins, supprimer (ou à défaut réduire au maximum) la propagande terroriste ne réglera pas la question, pour plusieurs raisons. D'une part, les djihadistes trouveront constamment de nouveaux canaux d'expression et de diffusion. Ainsi, pour contourner la surveillance des services de renseignement, ces derniers auraient établi leur propre réseau social, comme le découvrait récemment l'office de police intergouvernemental Europol. D'autre part, l'existence même de la propagande djihadiste ne se voit pas encore fondamentalement remise en cause, dans la narration délétère du monde qu'elle véhicule. S'attaquer à ses fondements devrait constituer la pierre angulaire de toute action fondée sur la reconnaissance que le récit djihadiste est devenu global et ne s'éteindra pas avec la perte de Mossoul ou d'autres fronts de guerre. L'ensemble des attentats déjoués sur la période récente le prouvent. Les menaces réitérées de l'État islamique lors du dernier scrutin, toutes disponibles, indiquent de surcroît quelle reste la détermination des jihadistes à frapper la France dans le temps long.


Une révision stratégique des politiques existantes ne peut en conséquence se passer d'une réflexion plus profonde et multiforme quant aux moyens de délégitimation de l'énoncé djihadiste lui-même. L'armée américaine l'a compris et traque sans relâche tous les architectes et idéologues du «cybercalifat», éliminés un à un. La stratégie des «contre-messages» (counter-messaging) étant loin d'avoir produit les résultats escomptés, Washington tente par ailleurs de repenser ce volet de manière plus claire et coordonnée. Sophistiquer une contre-propagande n'est pas un exercice aisé en soi (et pour l'heure encore largement confiné aux cercles de spécialistes) et suppose une déconstruction critique et systématique de l'idéologie djihadiste qui demeure au cœur de la lutte. Si cette idéologie mortifère n'est pas détricotée et discréditée auprès du plus grand nombre, alors elle continuera de mobiliser les plus crédules.

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