Face à l'État islamique, l'enjeu vital de la
contre-propagande (12/05/2017)
Par Myriam Benraad Mis à jour le 12/05/2017 à 16:50 Publié
le 12/05/2017 à 16:49
Face à l'État islamique, l'enjeu vital de la
contre-propagande
FIGAROVOX/ANALYSE- Pour la spécialiste du Moyen-Orient
Myriam Benraad, la lutte contre l'État islamique et le terrorisme, qui sera un
enjeu majeur du quinquennat d'Emmanuel Macron, ne peut pas seulement être une
question de sécurité et de politique mais doit délégitimer dans la culture
l'énoncé djihadiste lui-même.
Myriam Benraad est spécialiste du Moyen-Orient et maître de
conférences en science politique à l'Université de Limerick (Irlande). Elle est
l'auteur, entre autres publications, de L'État islamique pris aux mots, à
paraître le 17 mai aux éditions Armand Colin.
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Au soir de son élection, Emmanuel Macron annonçait
l'ouverture d'une «nouvelle page» pour la France et ses citoyens, synonyme
d'espoir et de confiance retrouvés. Parmi les dossiers les plus sensibles
auxquels va devoir se confronter le président fraîchement élu figure évidemment
la problématique djihadiste qui a ensanglanté le mandat de son prédécesseur et
profondément meurtri, autant que divisé, la nation. Le nouveau chef de l'État
n'est pas sans savoir qu'il hérite de cette lourde et sombre page de notre
Histoire commune et a symptomatiquement déjà prévu la tenue d'un débat
parlementaire relatif au prolongement de l'état d'urgence (en place depuis les
attentats du 13 novembre) et promis une mise à niveau des dispositifs et
opérations du renseignement et de sécurité. Celle-ci verra notamment la
création d'une cellule spéciale consacrée au groupe État islamique.
Sur le plan de la politique étrangère, l'Élysée entend
recentrer la défense autour des enjeux associés au terrorisme et faire de la
lutte anti-jihadiste un pilier de son action, poursuivant les opérations
militaires déjà en cours (Chammal au Moyen-Orient et Barkhane au Sahel) et
renforçant la coopération stratégique avec nos proches alliés, plus
particulièrement les États-Unis de Donald Trump. Dans les grandes lignes, cette
présidence trace donc une continuité assumée avec celle de François Hollande,
avec une nuance sans doute : Emmanuel Macron a pris la pleine mesure de la
nécessité d'adapter le combat actuellement livré à l'État islamique au-delà du
tout-militaire et du tout-sécuritaire (l'opération Sentinelle a montré ses
limites), et d'un rehaussement des moyens de dissuasion en place.
Le président s'était illustré lors de sa campagne en
s'attaquant frontalement aux géants de la Toile et au chiffrement des données,
tactique utilisée par les terroristes sur certaines messageries privées
(WhatsApp, Telegram…) pour prendre des contacts, donner des ordres et rendre
leurs communications indéchiffrables par la police et le renseignement. Il
avait appelé à une régulation accrue de l'Internet, où s'écoulent sans
discontinuer les contenus djihadistes, de même qu'à l'adoption de mesures plus
adéquates pour contrer la radicalisation passant par la manipulation digitale
des aspirants au djihad puis leur basculement violent. En réalité, des progrès
notables ont déjà été réalisés concernant la suppression des contenus illicites
en ligne, même partielle. Toutes les grandes entreprises (Twitter, Facebook,
Google…) sont conscientes des enjeux présents et conduisent leurs propres
politiques. Des codes de bonne conduite et législations sont également en
vigueur, telles les deux lois sur la confiance dans l'économie numérique (LCEN)
de 2004 et sur le terrorisme de 2014 qui permettent les déréférencements et
blocages.
L'accent placé par Emmanuel Macron sur une obligation de
résultat et le lancement d'une initiative majeure à l'échelle européenne est
une bonne nouvelle. Son ambition de raffermir les discussions avec les
principaux acteurs de l'Internet l'est tout autant. Dans les deux cas de figure
néanmoins, supprimer (ou à défaut réduire au maximum) la propagande terroriste
ne réglera pas la question, pour plusieurs raisons. D'une part, les djihadistes
trouveront constamment de nouveaux canaux d'expression et de diffusion. Ainsi,
pour contourner la surveillance des services de renseignement, ces derniers
auraient établi leur propre réseau social, comme le découvrait récemment
l'office de police intergouvernemental Europol. D'autre part, l'existence même
de la propagande djihadiste ne se voit pas encore fondamentalement remise en
cause, dans la narration délétère du monde qu'elle véhicule. S'attaquer à ses
fondements devrait constituer la pierre angulaire de toute action fondée sur la
reconnaissance que le récit djihadiste est devenu global et ne s'éteindra pas
avec la perte de Mossoul ou d'autres fronts de guerre. L'ensemble des attentats
déjoués sur la période récente le prouvent. Les menaces réitérées de l'État
islamique lors du dernier scrutin, toutes disponibles, indiquent de surcroît
quelle reste la détermination des jihadistes à frapper la France dans le temps
long.
Une révision stratégique des politiques existantes ne peut
en conséquence se passer d'une réflexion plus profonde et multiforme quant aux
moyens de délégitimation de l'énoncé djihadiste lui-même. L'armée américaine
l'a compris et traque sans relâche tous les architectes et idéologues du
«cybercalifat», éliminés un à un. La stratégie des «contre-messages»
(counter-messaging) étant loin d'avoir produit les résultats escomptés,
Washington tente par ailleurs de repenser ce volet de manière plus claire et
coordonnée. Sophistiquer une contre-propagande n'est pas un exercice aisé en
soi (et pour l'heure encore largement confiné aux cercles de spécialistes) et
suppose une déconstruction critique et systématique de l'idéologie djihadiste
qui demeure au cœur de la lutte. Si cette idéologie mortifère n'est pas
détricotée et discréditée auprès du plus grand nombre, alors elle continuera de
mobiliser les plus crédules.
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