Après Alep, Mossoul a été libérée du joug de l’Etat
islamique, du moins l’essentiel de la ville. Le bilan des morts civils et des
destructions matérielles s’annonce tragique, qu’il soit dû à la barbarie
islamiste ou à l’âpreté des combats. Mais la libération de Mossoul reste une
victoire, et une étape majeure de la guerre contre l’EI, pas seulement sur le
front irakien.
Par ailleurs, ces derniers jours, certains ont annoncé la
mort d’Abu Bakr Al Baghdadi, calife de l’Etat Islamique. Difficile aujourd’hui
de savoir ce qu’il en est vraiment, tant les sources fiables restent prudentes
et tant les déclarations contradictoires se sont succédé.
Ces récents événements confirment que la chute du califat
sous sa forme actuelle est inévitable.
Dans ce contexte, on peut spéculer longuement sur ce que
cache le flou autour du sort d’Al Baghdadi. Est-il mort ? Caché pour se
protéger d’autres tentatives d’exécution ? Passé en clandestinité ? A-t-il fui
une « révolution de palais » qui voudrait le remplacer par un nouveau calife
pour redynamiser l’EI ? Ou a-t-il été tué par un rival ? Veut-il laisser planer
le doute ?
La défaite de l’Etat islamique n’est pas celle de son
idéologie
Mais l’essentiel n’est pas là. Les fidèles de l’EI ne sont
pas rassemblés autour d’une personne concrète, mais d’une croyance, d’une
doctrine et de la volonté de concrétiser à tout prix un fantasme dont ils
partagent les grands traits.
L’essentiel des entretiens conduits par des journalistes,
des universitaires ou des services de renseignements avec des « repentis » de
l’Etat islamique montre que, sauf rares exceptions, ceux-ci n’ont pas renoncé à
leur idéologie. Ils en sont venus à considérer que l’EI n’était pas la
meilleure solution pour faire advenir leur désir, ou que le prix exigé d’eux
était trop élevé, mais ils n’ont pas changé de désir. Certains vont chercher un
nouveau groupe djihadiste qu’ils estimeront plus efficace, ou qui leur semblera
mieux reconnaître leurs mérites, d’autres vont se détourner au moins temporairement
des actions violentes pour propager leur doctrine ou la faire gagner en
influence. On les retrouvera dans les rangs d’Al Qaïda, parmi les salafistes
dits quiétistes, chez les affidés de l’Arabie saoudite ou dans des groupes
comme les Frères Musulmans, dont il ne faut jamais oublier qu’ils sont tous, à
moyen et long terme, au moins aussi dangereux que les djihadistes.
Donald Trump n’est pas un allié fiable
Dès lors, que faire ? En Irak et en Syrie, un rapprochement
avec la Russie, l’Iran et Bachar el-Assad est indispensable. De tous les
acteurs de la région, Vladimir Poutine est probablement le plus fiable. Ses
intérêts ne sont pas tous les nôtres, mais sa position est toujours restée
cohérente et il n’a jamais eu la naïveté de croire à la « modération » de
groupes comme Ahrar al-Cham, ou Tahrir al-Cham et les autres prête-noms d’Al
Qaïda… contrairement à certains ministres français. On peut dire sensiblement
la même chose de l’Iran, et quels qu’aient été les crimes commis par Bachar
el-Assad il est à la tête de la seule chose en Syrie qui ressemble à un Etat
structuré, capable d’éviter un chaos à la libyenne.
A contrario, l’imprévisibilité de Donald Trump impose de
garder nos distances et une totale autonomie par rapport aux Etats-Unis.
Impératif renforcé par leur proximité avec l’Arabie saoudite, qui n’est guère
qu’un jumeau un peu plus présentable de l’Etat islamique, préservant une façade
de respectabilité tout en empoisonnant le monde avec le wahhabisme. Détruire
l’EI pour livrer son territoire à Al Qaïda ou aux séides de Riyad n’aurait rien
d’un progrès.
Pour mémoire, évoquons aussi le long double-jeu de la
Turquie, qui est bien plus soucieuse d’anéantir les Kurdes que de combattre les
djihadistes. Et rappelons qu’Erdogan a maintes et maintes fois rappelé son
mépris envers l’Europe et sa conviction qu’elle n’est qu’un fruit mûr prêt à
tomber.
Déraciner le mal
Plus généralement, et en particulier sur notre territoire
national, il faudra bien se résoudre à traiter le mal à sa racine. Or, en
disant qu’on ne peut combattre le djihadisme sans combattre le réchauffement
climatique, Emmanuel Macron oublie l’essentiel du problème.
On sait depuis Ibn Khaldun que les mouvements djihadistes
naissent de la rencontre entre un islam conquérant et violent, qui puise sa
légitimité dans les textes sacrés, et un mécontentement social. A moins de
croire sérieusement à l’établissement rapide d’une société idéale où chacun
trouvera sa place et s’épanouira dans tous les aspects de son existence, force
est d’admettre qu’il y aura encore longtemps des mécontents, des déçus, des
frustrés.
L’un ne manquera de rien, mais estimera injuste d’avoir
moins qu’un autre, et son amertume prendra la forme d’une piété ostentatoire et
arrogante. Celui-ci sera ravi de proclamer que les femmes doivent rester
cachées, furieux de n’avoir pas su plaire à la femme qu’il désirait. Celui-là
se laissera convaincre par la cohérence interne des textes et se persuadera
qu’il est effectivement de son devoir sacré d’imposer la charia au monde entier.
Paix et tolérance, où ça?
Plus généralement, le progrès social, même si je l’appelle
de mes vœux, ne doit pas être pris pour une panacée. Chaque individu doit, à un
moment ou à un autre de son existence, faire le deuil de ses fantasmes et
accepter que même un monde imparfait peut être beau et bon. Qu’on peut vouloir
que l’Humanité se rapproche du meilleur de ce qu’elle pourrait être, sans
pourtant la mépriser ni la haïr pour ce qu’elle est. Faute de quoi, il sera une
proie facile pour une doctrine qui lui promet que l’absolu peut devenir
concrètement réel, et que tout est permis pour atteindre ce but puisque rien en
dehors de cet absolu, c’est-à-dire rien, n’a de valeur.
Et quelle est donc cette racine du mal ? La définir avec
précision demandera une analyse plus fine, et plus longue. Mais succinctement,
toute lecture littérale du Coran, surtout associée à la règle des versets
abrogeants/abrogés, conduit à faire de l’islam un totalitarisme conquérant. Se
disant « de paix et de tolérance », il ne connaît de paix que celle de l’ordre
obsessionnel qu’il impose. Sa tolérance n’est que condescendance vis-à-vis
d’inférieurs qu’il domine, et encore se limite-t-elle à ceux qui pratiquent ce
qu’il considère comme une version abâtardie de lui-même.
Distinguer les différents islams
Toutefois, contrairement à d’autres, je ne crois pas que
l’islam soit condamné à n’être que cela. J’ai la chance de connaître et de
côtoyer des musulmans dont la foi est sincère, et dont l’attachement à la
démocratie, à l’esprit critique, à la pensée rationnelle ou à la liberté des
femmes est tout aussi sincère. D’après le désormais célèbre rapport de
l’Institut Montaigne, ils représenteraient en France 18 % des musulmans
(catégorie 1 du rapport). C’est peu, et ce faible pourcentage indique l’ampleur
du défi à relever. Mais c’est trop pour qu’on les oublie, qu’on les dédaigne.
Trop pour nier que leur islam est aussi un islam, et que c’est justement
celui-là qui est compatible avec la République.
Reste que les autres islams soutiennent des visions
politiques ou communautaristes de la religion, et préparent leurs fidèles à
avoir une lecture littérale du coran, impossible à critiquer car parole divine
à la virgule prêt et texte de loi incréé, quand ils ne les y incitent pas
clairement.
Avoir la lucidité de distinguer les islams et la
détermination de combattre ceux qui nous menacent sont parmi les premiers
devoirs de tous nos gouvernants, tout comme il est de leur devoir de soutenir
les voix courageuses qui s’élèvent pour la vérité, de Kamel Daoud à Henda
Ayari.
Lutter partout, tout le temps
Quoi qu’il arrive en Syrie, que le calife vive ou meure, que
l’Etat islamique se replie longuement sur ses dernières positions ou s’effondre
rapidement, croire que la paix et la prospérité suffisent à garantir le
triomphe de nos valeurs serait arrogant et irresponsable.
La bataille de Mossoul était indispensable, la bataille des
idées l’est tout autant, et elle est mondiale. Elle se livre à l’ONU, contre
les tentatives d’interdire toute critique de l’islam sous couvert d’empêcher le
blasphème. Elle se livre en Afrique, où la pauvreté et l’absence d’Etats
stables facilitent le travail de propagande des salafistes et wahhabites. Elle
se livre dans nos tribunaux, lorsque le politiquement correct tente de prendre
le pas sur la vérité, comme pour Sarah Halimi. Elle se livre dans nos écoles,
quand on insiste sur les défauts de l’Occident alors que l’on n’ose pas même
évoquer ceux des autres civilisations. Elle se livre dans nos associations
sportives, où de faux éducateurs mais vrais prédicateurs veulent gagner en
influence sur la jeunesse. Elle se livre dans les centres d’accueil de
migrants, où les femmes subissent des pressions quotidiennes pour se plier à
des coutumes obscurantistes. Elle se livre aussi, déjà, dans les urnes puisque,
même en France, des partis islamistes ont présenté des candidats aux
législatives.
Réjouissons-nous de chaque victoire, mais ne nous y trompons
pas. L’heure où nous pourrons baisser la garde est encore lointaine.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Aidez-moi à améliorer l'article par vos remarques, critiques, suggestions... Merci beaucoup.