5 juillet 2017

Mali, Sahel, Opération Barkhane

Qui est Iyad Ag Ghaly, le djihadiste qui retient en otage la Française Sophie Pétronin ? (03/07/2017)
Une vidéo de six otages au Sahel, dont une Française, rendue publique (02/07/2017)
Macron adoube une force des pays du Sahel contre le terrorisme (02/07/2017)
Al-Qaeda au Mali rend publique la vidéo de six otages dont une Française (02/07/2017)
Sahel : l'opération «Barkhane» risque-t-elle l'enlisement ? (30/06/2017)
« Macron et le Sahel, c’est par où la sortie ? » (30/06/2017)
Les enjeux cachés d’une lapidation qui n’a jamais eu lieu dans le nord du Mali (27/06/2017)
Les pays du Sahel ambitionnent une force de 10.000 hommes contre le terrorisme (06/06/2017)
Laurent Bigot « Tant qu’on attendra la solution de la France, il ne se passera rien ! » (25.05.2017)
Bernard Cazeneuve sur le front antidjihadiste au Tchad (29/12/2016)


Union africaine : « Nous aurions souhaité une résolution plus forte pour le G5 Sahel » (05.07.2017)
Le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, appelle la communauté internationale à être solidaire dans la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest.

Propos recueillis par Emeline Wuilbercq (contributrice Le Monde Afrique, Addis-Abeba)

LE MONDE Le 05.07.2017 à 11h21 • Mis à jour le 05.07.2017 à 11h46


Ancien chef de la diplomatie tchadienne, Moussa Faki Mahamat a été élu en janvier à la tête de la commission de l’Union africaine, le principal organe de l’organisation panafricaine. Alors que celle-ci est réunie en sommet à Addis-Abeba, en Ethiopie, le dirigeant a accepté de recevoir Le Monde Afrique pour évoquer les sujets clés de la rencontre : création de la Force conjointe du G5 Sahel (FC-G5S), retour du Maroc au sein de l’institution, financement de l’UA, mais aussi manipulations des élections sur le continent.


Les pays du G5 Sahel viennent d’acter la constitution d’une force militaire conjointe antidjihadiste. Pensez-vous que cela va permettre d’en finir avec le terrorisme ?

C’est prétentieux de le dire. Des forces plus importantes n’y sont pas parvenues. Ce dont je suis certain, c’est qu’il y a une réelle volonté de la part des pays du G5 Sahel victimes de ce phénomène. Je salue leur initiative de mettre en commun leurs moyens militaires pour lutter contre ce phénomène qui se répand à grande vitesse et qui remet en cause la paix et la stabilité dans cette région.

Quel est le rôle de l’Union africaine (UA) dans cette initiative ?

Le concept d’opération de cette force a été adopté par le conseil de paix et de sécurité de l’UA. Et c’est l’UA qui l’a transmis au Conseil de sécurité de l’ONU. C’est sur cette base qu’a été élaborée la résolution que nous aurions souhaitée plus forte pour permettre au G5 Sahel de bénéficier du soutien financier du Conseil de sécurité. L’UA essaie également de mobiliser ses propres moyens et ceux de ses partenaires…

Quel soutien financier pouvez-vous apporter ?

Nous sommes dans une phase de réactivation du Fonds de la paix créé il y a une dizaine d’années. Cela fait partie de la décision sur le financement prise lors du sommet de l’UA en juillet 2016 à Kigali. Il a été décidé que les Etats africains contribuent d’ici 2020 à hauteur de 400 millions de dollars [352,6 millions d’euros] pour ce fonds. Une douzaine de pays a commencé à cotiser cette année. Jusqu’au moment où ce fonds soit opérationnel, il faut l’appui de la communauté internationale. Tous les Etats africains ont accepté ce principe. Nous saluons les contributions annoncées de l’Union européenne et de la France. Nous attendons également celle des autres partenaires.

La France, justement, a donné l’impulsion pour la réunion du G5 Sahel. N’était-ce pas plutôt le rôle de l’UA ?

Ces Etats ont des relations particulières avec la France, qui est présente dans la région avec l’opération « Barkhane » et ses 4 000 hommes. Mais le G5 Sahel est une initiative africaine qui a le soutien de l’UA et qui a maintenant celui du Conseil de sécurité des Nations unies. La lutte contre le terrorisme doit être commune. C’est un sujet sur lequel l’ensemble de la communauté internationale doit montrer sa solidarité.

Le roi du Maroc a fait appel durant ce sommet à une gestion africaine de la question migratoire. Quelles mesures pour éviter que les jeunes Africains n’aient qu’un but : rejoindre l’Europe ?

Le phénomène n’est pas nouveau, même s’il s’est amplifié ces dernières années. Il est la conséquence d’un certain nombre de facteurs : les conflits, le sous-emploi, le manque de formation, l’instabilité, la pauvreté. Pour régler un phénomène de cette nature, il faut agir sur ses racines. La solution vient par le développement. Notre thème de l’année, c’est « Investir dans la jeunesse ». C’est justement pour éviter que des phénomènes de cette nature se perpétuent.


Comment un sommet consacré à la jeunesse peut-il accueillir des dirigeants qui manipulent leur Constitution pour se maintenir au pouvoir ?

Il faut distinguer deux choses : s’occuper de la jeunesse n’est pas antinomique de la question de la démocratie, des élections et du respect des Constitutions. Lors de ce sommet, des jeunes nous ont soumis un document. Ils insistent notamment sur la ratification de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. C’est un instrument qui existe mais doit être ratifié par tous les Etats. [En attendant] cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’occuper de la jeunesse, de l’emploi et des migrations. Il faut une amélioration de la gouvernance économique, de la gouvernance politique. Il faut faire en sorte que cette jeunesse africaine se sente à l’aise, qu’elle ait la liberté nécessaire et surtout lui créer les conditions de développement.

Quel est votre regard sur les présidents qui s’accrochent au pouvoir pendant des décennies ?

Les instruments dont dispose l’UA, comme la Charte, demandent à ce qu’on ne modifie pas les Constitutions. Notre souhait, c’est que cette Charte soit respectée. L’élection d’un jeune président en France peut-elle donner des idées à la jeunesse africaine ? La France a son histoire et l’Afrique, la sienne. Dans l’histoire de l’Afrique, il y a eu des présidents plus jeunes que le président Macron.

Il y a eu plusieurs accrochages sur le Sahara occidental depuis le retour du Maroc au sein de l’UA. Quel bilan tirer de ces six premiers mois ?

Tout le monde a salué le retour du Maroc, c’est une très bonne chose. Mais ce sont des parties qui sont en conflit depuis une trentaine d’années. Nous leur avons demandé de s’entendre pour une solution pacifique. Le dossier est également depuis une trentaine d’années sur la table du secrétaire général de l’ONU. Le nouveau secrétaire général Antonio Guterres a affirmé qu’il allait prendre des initiatives. Il a nommé un nouvel envoyé spécial [Horst Köhler, ancien président allemand]. Nous sommes prêts à travailler avec lui. Le dossier est également pendant ici à l’Union africaine. Nous avons convenu, et je crois que nous avons bien géré la question pendant ce sommet, d’interagir avec les Nations unies pour donner un coup d’accélérateur définitif.

La réforme de l’UA était au programme de ce sommet. Elle a été pensée par le président rwandais Paul Kagamé et une troïka composée de lui, du Guinéen Alpha Condé et de votre président tchadien Idriss Déby est chargée d’en superviser la mise en œuvre. Quelle est votre propre marge de manœuvre ?

Un président est chargé de la question de la réforme. Mais c’est le président de la Commission [c’est-à-dire moi-même] auprès de qui sera érigée une unité de mise en œuvre au quotidien de la réforme. C’est elle qui fera le travail que je partagerai avec la troïka et l’ensemble des organes de l’UA.

Quand cette unité sera-t-elle mise en place ?

Incessamment.

L’UA a besoin de financements. Le principe de la taxe « Kaberuka » de 0,2 % sur les importations de produits non africains a été adopté il y a un an au sommet de Kigali, mais ne fait pas consensus…

Un tiers des Etats a déjà accepté le principe. Certains ont même commencé à cotiser sur cette base. D’autres ont besoin de plus de temps pour des arrangements internes en fonction de leur législation et de leurs procédures. Nous avons mis en place un « Comité des dix » composé de dix ministres des finances venant des cinq régions africaines pour accompagner le processus. Nous avons même programmé, peut-être au mois d’août, une réunion de l’ensemble des ministres africains des finances pour étudier les aspects techniques de la mise en œuvre de cette décision. L’année 2017 est considérée comme une année de transition.


Certains Etats ont évoqué une incompatibilité de cette taxe avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce…

Je ne pense pas qu’il y ait incompatibilité. De toute façon, une partie seulement des Etats africains fait partie de l’OMC. Sur le plan technique, tous les arrangements sont possibles. C’est à la portée de tous.

Qui est Iyad Ag Ghaly, le djihadiste qui retient en otage la Française Sophie Pétronin ? (03/07/2017)
Par Tanguy Berthemet Mis à jour le 03/07/2017 à 12:25 Publié le 02/07/2017 à 19:07

À un peu plus de 60 ans, Iyad Ag Ghaly - qui a prêté allégeance au chef d'Aqmi - est une figure des rébellions touaregs.
À un peu plus de 60 ans, Iyad Ag Ghaly - qui a prêté allégeance au chef d'Aqmi - est une figure des rébellions touaregs.

VIDÉO - Des islamistes armés opérant au Mali ont diffusé dans la nuit de samedi à dimanche une vidéo montrant six otages, dont Sophie Pétronin, une médecin d'une soixantaine d'années.
Emmanuel Macron en déplacement à Bamako dimanche a salué cette première «trace de vie». Dans la nuit de samedi à dimanche, une vidéo montrant au total six otages, dont la Française Sophie Pétronin enlevée en décembre 2016 à Gao, a été diffusée par des islamistes opérant au Mali. La vidéo, qui dure un quart d'heure, émane du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (Jabhat Nosrat al Islam wa al Muslimeen, JNIM), alliance formée en mars 2017 par plusieurs mouvements islamistes armés du Mali, dont Ansar Dine, Al Mourabitoune et l'Emirat du Sahara, une émanation d'al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi). À sa tête, Iyad Ag Ghaly, qui revendique la paternité de cette alliance.

L'homme qui incarne de plus en plus le djihadisme au Sahel est un vétéran. À un peu plus de 60 ans, Iyad Ag Ghaly - qui a prêté allégeance au chef d'Aqmi - est une figure des rébellions touaregs. Un temps très proche du gouvernement algérien, cet «homme bleu» a incarné le nationalisme touareg dans les années 1990 avant d'entamer une lente dérive vers l'islamisme radical puis le djihadisme. Cette mue semble s'achever après 2006 quand il est nommé consul du Mali en Arabie saoudite à l'occasion d'un accord de paix. Il est expulsé par Riyad en 2010 pour ses liens avec al-Qaida. De retour au Mali, il fonde finalement son propre groupe, Ansar Dine, les «Défenseurs de l'islam». Issu du clan des Ifoghas, Iyad Ag Ghaly prône un combat total contre le gouvernement de Bamako et noue très vite des liens avec al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi). Charmeur et respecté, cet imposant barbu entraîne à sa suite nombre de combattants touaregs. Quand la guerre éclate au Mali en 2012, ses hommes prennent le contrôle de Kidal, la capitale touareg, et de Tombouctou. Chassé de ses nouveaux fiefs par les troupes françaises début 2013, il se fait depuis invisible.


Selon plusieurs sources, Iyad Ag Ghaly, qui vivrait dans les confins du désert, le long de la frontière algérienne, une zone dont il est natif, conserve une réelle influence et un commandement effectif.

Une vidéo de six otages au Sahel, dont une Française, rendue publique (02/07/2017)
Par Le Figaro.fr avec AFPMis à jour le 02/07/2017 à 08:34 Publié le 02/07/2017 à 08:23

La branche d'al-Qaida au Mali a publié une vidéo de six otages étrangers, dont l'Australien Arthur Kenneth Elliott, âgé de 82 ans, et la Française Sophie Pétronin, indique SITE, un centre américain spécialisé dans la surveillance en ligne de la mouvance djihadiste. La vidéo de 16 minutes et 50 secondes, non datée, a été publiée hier via la messagerie sur internet Telegram par le "Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans", une organisation djihadiste.


Les quatre autres otages sont le Sud-Africain Stephen McGown, enlevé par al-Qaida dans le nord du Mali en novembre 2011, le Roumain Iulian Ghergut, enlevé en avril 2015 au Burkina Faso, la missionnaire suisse Béatrice Stockly, kidnappée en janvier 2016 par le groupe jihadiste al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) et la religieuse colombienne Gloria Cecilia Narvaez Argoti, enlevée en février 2017 au Mali.

La Française Sophie Pétronin, à la tête d'une association d'aide à l'enfance, a été enlevée en décembre 2016 par des hommes armés à Gao, dans le nord du Mali. Aucun groupe n'avait jusqu'à présent revendiqué ce rapt. Le chirurgien Arthur Kenneth Elliott et son épouse Jocelyn Elliott ont été enlevés au Burkina Faso en janvier 2015. Jocelyn Elliott a été libérée en février 2016.

Les otages sont présentés séparément dans la vidéo par un homme qui indique qu'il n'y a pas eu jusqu'à présent de négociations pour leur libération. À la fin de la vidéo, et sans formuler aucune demande, cet homme assure aux familles des otages qu'"aucune véritable négociation n'a commencé" pour leur libération, tout en affirmant que des discussions sont "toujours actives".

Le Sud-Africain Stephen McGown, premier à apparaître dans la vidéo, y déclare: "Maintenant nous faisons une nouvelle vidéo, mais je ne sais pas quoi dire. Tout a été dit par le passé. Tout a été dit dans les vidéos précédentes que j'ai faites", selon le transcript de SITE. Concernant Sophie Pétronin, il est précisé qu'elle espère que le président français Emmanuel Macron, qui est arrivé au Mali dans la nuit de samedi à dimanche pour soutenir la lutte contre les groupes djihadistes, aidera à son retour auprès de sa famille, selon SITE.

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Macron adoube une force des pays du Sahel contre le terrorisme (02/07/2017)
Par Alain Barluet  Publié le 02/07/2017 à 08:40

Emmanuel Macron salue le président malien Ibrahim Boubacar Keita à son arrivée au Mali, dans la nuit de samedi à dimanche.

Emmanuel Macron salue le président malien Ibrahim Boubacar Keita à son arrivée au Mali, dans la nuit de samedi à dimanche.

Le chef de l'Etat participe ce dimanche au Mali à un sommet des cinq pays (G5) du Sahel qui ont décidé de se doter d'une force militaire conjointe de 5 000 hommes pour lutter contre les groupes terroristes. Un projet sur lequel Paris compte pour qu'à terme les Africains assurent eux-mêmes leur sécurité mais qui se heurte d'emblée à de sérieuse difficulté.

De notre envoyé spécial à Bamako.

À la veille de son discours devant le Congrès à Versailles, Emmanuel Macron passera dimanche quelques heures à Bamako, au Mali. Le chef de l'État, qui s'était déjà rendu à Gao auprès des militaires français de l'opération «Barkhane», le 19 mai dernier, participera cette fois aux travaux du sommet qui réunira dans la capitale ses homologues du G5 Sahel. Un déplacement destiné à marquer officiellement le soutien de la France à la force militaire conjointe que ces cinq pays (Burkina-Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad) ont décidé de mettre sur pied pour lutter plus efficacement contre leterrorisme.

Ce «club» du G5 Sahel, auquel la France n'appartient pas formellement mais qu'elle accompagne au plus près, rassemble le Burkinabé Roch Marc Christian Kaboré, le Malien Ibrahim Boubacar Keita, le Mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz, le Nigérien Mahamadou Issoufou et le Tchadien Idriss Deby Itno.

La décision de ces pays de se doter d'une force militaire conjointe a été prise en février dernier mais l'idée remonte en 2015. Elle émane des chefs d'état-major des pays sahéliens qui étaient encore réunis à Bamako, samedi à la veille du sommet, pour peaufiner leur projet. Cette force, prévue pour compter 5000 hommes issus des cinq partenaires, doit théoriquement être opérationnelle à l'automne. Son quartier-général sera à Bamako et elle sera commandée par le général malien Didier Dacko.

Nouvelle étape

Le sommet du 2 juillet «marquera une nouvelle étape avec le lancement effectif de cette force conjointe, qui pourra poursuivre les terroristes de l'autre côté des frontières», indiquait-on cette semaine à l'Élysée. Dans une région sahélienne vaste comme l'Europe, livrée à tous les trafics (drogue, armes, trafics humains…) et où les groupes terroristes se jouent de frontières éminemment poreuses, le droit de poursuite apparaît comme une nécessité majeure. Ce principe doit être pris en compte par cette force conjointe du G5 Sahel. Emmanuel Macron devrait préciser dimanche les modalités exactes de ce soutien qui consistera surtout en équipements, mais pas en troupes supplémentaires pour Barkhane, selon l'Élysée.

Depuis deux ans, des opérations militaires transfrontalières, entre deux, voire trois pays de la région, sont montées en nombre croissant avec le soutien «Barkhane» qui compte 4 000 hommes. L'opération française, qui a succédé à «Serval» en août 2014, joue un rôle moteur pour faire agir ensemble, -sur leurs frontières communes-, des pays qui n'avaient guère l'habitude de coopérer. «L'idée est de rendre ces opérations permanentes», indique un militaire proche du dossier, en confirmant que la France sera fortement impliquée dans la mise en œuvre de la force conjointe.

Soutien a minima de l'ONU

Les attaques djihadistes, qui se déroulaient surtout dans le nord du Mali, se sont multipliées ces derniers mois plus au sud, dans la boucle élargie du fleuve Niger. C'est le cas notamment dans la région appelée le Liptako-Gourma, aux confins du Mali, du Niger et du Burkina-Faso. Une évolution qui a contraint l'opération «Barkhane» à se réorganiser, notamment en déplaçant son centre de gravité vers la région centrale du Mali et à intensifier sa coopération avec le G5 Sahel.

Les difficultés apparaissent toutefois nombreuses. La force conjointe a reçu un soutien a minima du de l'ONU, le 21 juin, mais pas de mandat formel. Au Conseil de sécurité, les États-Unis ont été à la manœuvre pour bloquer la résolution présentée par la France et pour imposer une ligne de grande prudence, notamment d'un point de vue financier. La résolution se «félicite» de la perspective d'une telle force mais souligne que «c'est aux États du G5 Sahel de lui donner les ressources dont elle a besoin». Pour Donald Trump, dont le Sahel est très loin d'être la priorité, il n'est pas question de payer.

La force conjointe nécessitera environ 400 millions d'euros. L'Union européenne n'en a promis que 50 millions. Les pays de la région, qui figurent parmi les plus pauvres du monde, traînent les pieds. «Le Tchad ne peut pas avoir 1400 hommes au Mali -dans la mission des Nations-Unis (MINUSMA)- et en même temps des soldats dans le G5», déclarait récemment le président tchadien Idriss Déby dans une interview à des médias français. «Même si les financements arrivaient, il y a un choix à faire», ajoutait-il. Côté français, on espère que certains pays européens déjà impliqués au Sahel, en premier lieu l'Allemagne mais aussi les Pays-Bas et la Belgique, apporteront leur soutien.

Emmanuel Macron pourra préciser sa «vision»

A Paris, on n'évoque en rien la perspective d'un retrait. La France accompagnera la future force régionale «dans la durée» jusqu'à ce que «la situation soit pacifiée», indiquait récemment le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, dans une interview au Monde. Toutefois, l'enjeu d'une telle force conjointe africaine -un concept maintes fois évoqué- vise, à terme, à passer aux Africains le flambeau de leur propre sécurité que Paris tient jusqu'à présent à bout de bras.

La visite éclair d'Emmanuel Macron lui permettra peut-être de préciser sa «vision» de l'Afrique et de sa politique vis-à-vis du continent, peu discernable jusqu'à présent. Hormis la réaffirmation du soutien militaire de la France, les propositions du président de la République pour remédier à la déshérence économique du Nord Mali et pour relancer l'application de l'accord d'Alger sont très attendues.

L'absence de développement, la mauvaise gouvernance, la corruption sont parmi les causes profondes d'une crise dont la solution «ne sera pas militaire», soulignent les experts. Autant de sujets qu'Emmanuel Macron pourrait évoquer sans détour avec ses homologues, notamment lors de son entretien en tête à tête avec le Malien «IBK».

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Al-Qaeda au Mali rend publique la vidéo de six otages dont une Française (02/07/2017)
Par AFP — 2 juillet 2017 à 06:47 (mis à jour à 07:29)

Un militaire français de l'opération Barkhane, à Gao au Mali, le 19 mai 2017Un militaire français de l'opération Barkhane, à Gao au Mali, le 19 mai 2017 Photo CHRISTOPHE PETIT TESSON. AFP 

Al-Qaeda au Mali rend publique la vidéo de six otages dont une Française

La branche d’Al-Qaeda au Mali a publié une vidéo de six otages étrangers, dont l’Australien Arthur Kenneth Elliott, âgé de 82 ans, et la Française Sophie Pétronin, a annoncé SITE, un centre américain spécialisé dans la surveillance en ligne de la mouvance jihadiste. La vidéo de 16 minutes et 50 secondes, non datée, a été publiée samedi via la messagerie sur internet Telegram par le «Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans», une organisation jihadiste.


Les quatre autres otages sont le Sud-Africain Stephen McGown, enlevé par Al-Qaeda dans le nord du Mali en novembre 2011, le Roumain Iulian Ghergut, enlevé en avril 2015 au Burkina Faso, la missionnaire suisse Béatrice Stockly, kidnappée en janvier 2016 par le groupe jihadiste Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) et la religieuse colombienne Gloria Cecilia Narvaez Argoti, enlevée en février 2017 au Mali. Le chirurgien Arthur Kenneth Elliott et son épouse Jocelyn Elliott ont été enlevés au Burkina Faso en janvier 2015. Jocelyn Elliott a été libérée en février 2016. La Française Sophie Pétronin, à la tête d’une association d’aide à l’enfance, a été enlevée en décembre 2016 par des hommes armés à Gao, dans le nord du Mali. Aucun groupe n’avait jusqu’à présent revendiqué ce rapt.

Les otages sont présentés séparément dans la vidéo par un homme qui indique qu’il n’y a pas eu jusqu’à présent de négociations pour leur libération. A la fin de la vidéo, et sans formuler aucune demande, cet homme assure aux familles des otages qu'«aucune véritable négociation n’a commencé» pour leur libération, tout en affirmant que des discussions sont «toujours actives».

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Le Sud-Africain Stephen McGown, premier à apparaître dans la vidéo, y déclare: «Maintenant nous faisons une nouvelle vidéo, mais je ne sais pas quoi dire. Tout a été dit par le passé. Tout a été dit dans les vidéos précédentes que j’ai faites», selon le transcript de SITE.

Concernant Sophie Pétronin, il est précisé qu’elle espère que le président français Emmanuel Macron, qui est arrivé au Mali dans la nuit de samedi à dimanche pour soutenir la lutte contre les groupes jihadistes, aidera à son retour auprès de sa famille, selon SITE.


Le nord du Mali était tombé en mars-avril 2012 sous la coupe de groupes jihadistes liés à Al-Qaeda. Les jihadistes ont été en grande partie chassés de cette région par une intervention militaire internationale, lancée en janvier 2013 à l’initiative de la France, et qui se poursuit actuellement. Mais des zones entières échappent au contrôle des forces maliennes et étrangères, régulièrement visées par des attaques meurtrières malgré la signature en mai-juin 2015 d’un accord de paix, censé isoler définitivement les jihadistes.

« Macron et le Sahel, c’est par où la sortie ? » (30/06/2017)
Notre chroniqueur s’interroge sur la volonté de Paris de déléguer la difficile tâche de stabilisation de la zone sahélienne à des pays qui n’en ont vraiment pas les moyens.
Par Thomas Hofnung (chroniqueur Le Monde Afrique)
LE MONDE Le 30.06.2017 à 09h20 • Mis à jour le 30.06.2017 à 09h30

Des soldats de l’opération « Barkhane » à Inat, au Mali, en mai 2016.Des soldats de l’opération « Barkhane » à Inat, au Mali, en mai 2016.

Les présidents passent et le dossier de la sécurité en Afrique reste en bonne place sur leur bureau à l’Elysée. Depuis le départ de Jacques Chirac, en 2007, ses successeurs ont affiché leur détermination à transmettre le témoin de la sécurité aux Africains le plus tôt possible… Sans résultat. Bien au contraire : après une ébauche de retrait, dans les années 1990, l’armée française est revenue en force sur le continent, principalement dans le Sahel, où plus de 4 000 hommes tentent d’endiguer la montée en puissance des djihadistes dans la région.

Mais on pourrait tout aussi bien citer l’exemple de la Côte d’Ivoire où, au plus fort de la crise des années 2000 dans le pays alors dirigé par Laurent Gbagbo, la France ne cessait de clamer sa volonté de fermer définitivement la base d’Abidjan sitôt les élections organisées. Avant de se raviser.

Une impulsion décisive

Après Nicolas Sarkozy et François Hollande, c’est donc au tour d’Emmanuel Macron de sacrifier à un exercice convenu, et pourtant nécessaire : celui où l’ancienne puissance coloniale affirme vouloir agir « en soutien » aux pays africains, « les premiers concernés » par la sécurité de leur continent.

Dimanche 2 juillet, le président Macron accomplira ainsi un geste fort en participant à Bamako au sommet du G5 Sahel aux côtés de ses homologues du Mali, de la Mauritanie, du Niger, du Burkina Faso et du Tchad.


L’Elysée veut donner une impulsion décisive à la formation de cette coalition militaire qui doit rassembler 5 000 hommes et vise à combattre les groupes armés de la région. L’enjeu est d’importance pour Paris : plus vite cette force sera sur pied, plus vite Paris pourra, sinon mettre un terme, du moins réduire le format de l’opération « Barkhane », qui lui coûte au bas mot 600 millions d’euros chaque année.

Or le G5 Sahel est mal parti. En cette veille de sommet à Bamako, seule l’Union européenne a promis de débloquer 50 millions d’euros pour faciliter son envol. C’est peu, très peu même, « à peine 10 % » de la somme nécessaire pour son fonctionnement, selon un bon connaisseur du dossier. Sur le terrain politique, la situation n’est guère plus brillante : à l’ONU, Washington a bloqué le vote d’une résolution rédigée par la France et Paris a finalement dû se contenter d’une maigre déclaration de soutien.


Et ce n’est pas tout. Il y a quelques jours, le président tchadien, Idriss Déby, a fait monter les enchères, laissant planer la menace d’un retrait de ses troupes déployées dans le cadre de la force de l’ONU au Mali, la Minusma. Le dirigeant tchadien a expliqué au Monde que ses troupes ne pouvaient pas être partout, et suggéré fortement que la communauté internationale, à commencer par la France, mette davantage la main au portefeuille si elle voulait réellement soutenir la mise en place du G5 Sahel.

Critiques acerbes de Washington

Cette succession de mauvais signaux n’est pas sans rappeler le scénario qui avait prévalu dans le dossier du Sahel au lendemain de l’arrivée au pouvoir de François Hollande. A peine installé à l’Elysée, le tombeur de Nicolas Sarkozy avait retroussé ses manches pour aider à l’émergence d’une force ouest-africaine chargée de partir à la reconquête du nord du Mali.

Paris avait également conçu et fait voter, après avoir surmonté les critiques acerbes de Washington, une résolution de l’ONU autorisant cette force à utiliser tous les moyens nécessaires pour vaincre les groupes djihadistes et restaurer la pleine souveraineté de Bamako sur l’ensemble du territoire malien. Quelques semaines plus tard, en janvier 2013, Paris lançait dans l’urgence l’opération « Serval » pour stopper net une soudaine offensive des groupes armés en direction du Sud.


Aujourd’hui, qui pourrait décemment s’opposer à l’idée que les pays situés aux premières loges sont les mieux à même d’assurer leur propre sécurité, avec le soutien de puissances extérieures ? Mais, comme en 2012, cette volonté de mobiliser les acteurs locaux se heurte à de graves problèmes de financement, et au manque chronique de moyens des États sahéliens.

Les pays du G5 Sahel, combien de divisions ? Quelques milliers d’hommes chacun, qui ont déjà fort à faire. Qu’on songe seulement au cas du Niger, qui partage des frontières communes avec la Libye, le Mali et le Nigeria. Et la principale puissance militaire de la région, l’Algérie, n’entend rien faire qui puisse aider la France, malgré les pressions d’Emmanuel Macron.

Dans ces conditions, la fraîcheur et l’habileté du nouveau président français ne seront sans doute pas des qualités suffisantes pour résoudre la difficile équation sahélienne qui se pose à Paris et qu’on pourrait résumer en ces termes : comment stabiliser durablement cette zone sensible de l’Afrique sans se substituer à des pays qui n’en ont pas les moyens ?


Sahel : l'opération «Barkhane» risque-t-elle l'enlisement ? (30/06/2017)

Par Tanguy Berthemet  Publié le 30/06/2017 à 17:32

Sahel : l'opération «Barkhane» risque-t-elle l'enlisement ?
VIDÉO - Emmanuel Macron assistera, dimanche au Mali, à un sommet G5 Sahel réunissant les chefs d'État de la région.

Le président Emmanuel Macron se rend dimanche à Bamako pour un sommet du G5 Sahel. Cette organisation, qui regroupe cinq pays (Mali, Niger, Tchad, Mauritanie et Burkina Faso), officialisera la création d'une force militaire pour lutter contre les terroristes. Cette annonce arrive alors que «Barkhane», l'opération militaire française déployée dans le Sahel, rencontre des difficultés et que les djihadistes se réorganisent.

Opération exigeante

Plus personne ne nie que la force française «Barkhane» est confrontée à une situation délicate. Les difficultés sont de plusieurs ordres et François Hollande l'a reconnu avant son départ de l'Élysée: «Nous sommes au Sahel pour longtemps.» Il y a d'abord une dimension purement financière. «Barkhane» est une opération exigeante, tant pour les hommes que pour le matériel. Les officiers se plaignent de manquer de moyens, notamment d'hélicoptères. Très sollicités, ils sont souvent indisponibles et parfois seul un appareil sur quatre est à ...

Les enjeux cachés d’une lapidation qui n’a jamais eu lieu dans le nord du Mali (27/06/2017)
Des chercheurs mettent en garde les médias qui ont annoncé à tort en mai l’exécution d’un couple malien pour adultère par les islamistes de la région de Kidal.

Par Collectif

LE MONDE Le 27.06.2017 à 15h39 • Mis à jour le 29.06.2017 à 12h02

Jeunes femmes sur la butte de l’aéroport de Kidal en février 2015.
Jeunes femmes sur la butte de l’aéroport de Kidal en février 2015.

Le 17 mai, l’AFP annonce qu’un couple non marié vient d’être lapidé par des islamistes près d’Aguelhok, dans le nord du Mali. La dépêche originelle indique qu’entre onze et vingt et une personnes ont assisté à l’événement, que quatre bourreaux ont jeté des pierres jusqu’à ce que mort s’en suive, que « les islamistes ont filmé la scène ». « Tout le monde était calme », ajoute le témoin cité. Le lendemain, RFI reprend la nouvelle.

L’AFP et RFI appuient leurs annonces sur les témoignages de « notables » et d’« élus » du nord du Mali, où l’activité djihadiste demeure intense malgré la présence de forces internationales. La nouvelle de la lapidation circule vite. Elle est reprise par d’importants organes de presse, dont Le Monde ou le Guardian.

Rapidement, cependant, des journalistes locaux ou des ressortissants de la zone actifs sur Twitter mettent en doute la nouvelle. Ils s’accordent pour dire qu’une jeune femme accusée d’entretenir une relation non maritale a bien été enlevée le 16 mai, mais disent ne pas disposer des preuves de sa lapidation. En tant que chercheurs travaillant sur la région depuis plusieurs années, nous mobilisons aussi nos réseaux de connaissances et d’amis sur place, généralement bien informés. Personne ne confirme la lapidation.

Une affaire révélatrice

Pour certains observateurs, la lapidation pour affaire de mœurs apparaît d’autant plus plausible qu’un cas similaire a eu lieu à Aguelhok en 2012. Pourtant, rien de tel ne s’est produit cette fois. Une semaine après la première dépêche AFP, diverses sources indiquent que la jeune femme a finalement été libérée et renvoyée chez elle. Dans un communiqué, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Jama’ah Nusrat Al-Islam wal-muslimin, JNIM), le principal mouvement djihadiste dans la région, nie qu’une lapidation a eu lieu et met en garde contre la diffusion de fausses informations. Le 29 mai, l’AFP revient sur son annonce initiale. La peine n’a pas été exécutée, précise-t-elle. Peu après, RFI lui emboîte le pas.

Cette affaire n’est pas qu’un cas malheureux. Elle est révélatrice des conditions spécifiques de fabrication de l’information dans une zone de guerre, le nord du Mali, où les activités des groupes djihadistes font l’objet de représentations très particulières et de la difficulté à la vérifier. L’AFP et RFI travaillent depuis Bamako et Paris, respectivement situés à 1 500 km et 4 500 km de Kidal, où se produisent les événements. Les chercheurs sont soumis aux mêmes limites d’accès, pour des raisons sécuritaires évidentes. Le résultat est que journalistes et chercheurs s’appuient par défaut sur des sources indirectes qu’il s’agit de trianguler. Et il est parfois très difficile de savoir si deux informations identiques que l’on reçoit proviennent de sources réellement différentes.

Des simplifications abusives

Ces contraintes devraient donc inviter à d’extrêmes précautions dans le traitement des témoignages, une prudence qui a fait défaut à l’AFP et RFI.

C’est d’autant plus problématique que, dans le nord du Mali, les rivalités communautaires abondent et brouillent souvent à dessein les informations. Un clivage majeur oppose, notamment dans la zone d’Aguelhok, des membres des communautés Imghad, généralement alliés au camp gouvernemental, à ceux des Ifoghas, tribu d’où provient le chef du JNIM, Iyad Ag-Ghali. Par ailleurs, l’affaire de la lapidation survient au moment où des segments de la société civile et politique malienne lancent des appels au dialogue avec Iyad Ag-Ghali, une démarche que refusent en bloc les autorités et les forces internationales. L’affaire d’Aguelhok précède également de peu la visite d’Emmanuel Macron aux troupes françaises à Gao, au cours de laquelle il a réaffirmé l’engagement anti-terroriste de la France au Sahel. Dans ce contexte saturé d’enjeux politiques locaux et internationaux, les propos des témoins sont très probablement biaisés. Il est donc impératif de multiplier les sources le long d’un spectre politique aussi large que possible.


Cet épisode malheureux n’illustre pas seulement les difficultés pratiques du métier de journaliste en situation de guerre mais aussi les simplifications abusives des médias au sujet du quotidien des populations maliennes vivant sous occupation ou influence djihadiste. Les principaux médias occidentaux, mais aussi africains, ont beaucoup de difficultés à rendre compte des relations complexes qui s’établissent entre groupes radicaux et populations.

La plupart de médias dépeignent la gouvernance des zones djihadistes dans le nord du Mali comme un règne de terreur sans équivoque. Pourtant, depuis 2012 déjà, les enquêtes de terrain mettent au jour une situation plus nuancée où l’utilisation de la menace et de la violence chez les groupes radicaux coexiste avec des modalités moins coercitives de gouvernance et une volonté réelle de fournir des services aux populations afin d’implanter leur modèle.

Au centre du Mali, les mouvements djihadistes contraignent les populations à écouter les prêches publics. Ils recourent régulièrement à l’élimination de personnes soupçonnées de collaborer avec l’Etat ou les forces armées étrangères. Mais, dans le même temps, ils fournissent aux populations des formes de justice de proximité adaptées dans des régions désertées par les magistrats depuis le début de la guerre. Ils encouragent également la suppression de droits fonciers contestés qui bénéficient à des minorités ou à de vieilles aristocraties déclinantes. Ils offrent une protection indispensable aux éleveurs nomades durant les périodes de transhumance. Et, là où les médias ne retiennent que l’interdiction de la musique et des fêtes pendant les mariages par des éléments radicaux obtus, bien des jeunes de ces régions sont séduits par les règles simplifiées d’union matrimoniale que leur proposent les djihadistes. Celles-ci leur permettent en effet de s’émanciper plus facilement du contrôle qu’exercent les aînés sur les choix matrimoniaux des cadets.

Les femmes

Il ne s’agit pas ici de nier le recours à la violence contre des civils, et les femmes en particulier. Même si la très grande majorité des gens tués par les djihadistes sont des hommes, les violences à l’encontre des femmes – à l’exemple des enlèvements et des mariages forcés pratiqués à Gao en 2012 – ne doivent pas être sous-estimées.

Les femmes ont d’ailleurs parfois résisté à ces formes d’oppression. Ainsi, à Kidal, en 2012, certaines ont protesté contre la décision d’Ansar Eddine, l’ancien groupe d’Iyad Ag-Ghali, d’imposer de fortes restrictions sur leurs mouvements dans l’espace public ou sur la pratique de la musique traditionnelle (tendé). Dans le même temps, d’autres femmes ont soutenu, voire adhéré à Ansar Eddine. Là encore, la relation des femmes sahéliennes aux mouvements djihadistes ne cadre pas avec un récit univoque fait exclusivement de violence et de domination.


Dans la région du lac Tchad, plusieurs organisations – y compris International Crisis Group – ont révélé qu’un nombre non négligeable de jeunes femmes kanuri avait délibérément rejoint l’organisation Boko Haram dans l’espoir d’y trouver un « bon mari » et de bénéficier d’opportunités économiques créées par la présence du groupe. Aux yeux de certaines femmes vivant dans des zones particulièrement appauvries, rejoindre une insurrection djihadiste peut être, au départ du moins, un choix plus attractif que de demeurer soumises à un ordre patriarcal villageois particulièrement strict.

Alors que nous interrogions nos amis et contacts locaux sur l’affaire d’Aguelhok, leurs récits sombraient rarement dans l’émotionnel ou l’indignation. Ils s’interrogeaient plutôt sur la logique de ceux qui avaient enlevé la jeune femme et sur les risques que celle-ci encourait, selon la charia, la loi islamique.

De multiples récits nous ont été rapportés à son sujet. Ils ont tous deux éléments en commun : le mari de la femme enlevée est détenu en Algérie pour un crime indéterminé ; elle a eu un enfant de son amant. Voici les questions précises de nos interlocuteurs : la femme enlevée était-elle divorcée de son époux devant la loi ? Et allaitait-elle son enfant ?

Charia et traditions locales

Dans un cas d’adultère, un juge islamique doit tenir compte de ces questions avant de prononcer une peine éventuelle. Infliger une punition corporelle à une femme ne relève pas du caprice de sociopathes sanguinaires, mais fait l’objet d’un débat juridique.

Ces points de droit s’inscrivent dans des discussions plus larges sur les peines relatives à l’application de la charia, et particulièrement celles dites de had (pluriel hudud) considérées comme fixées par Dieu, applicables dans les cas de fornication, d’apostasie, de meurtre, etc. Cette question des hudud a été largement débattue en 2012, lorsque l’alliance des mouvements djihadistes occupait les trois régions du nord du Mali : Al-Qaida au Maghreb islamique à Tombouctou, le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) à Gao ; et Ansar Eddine à Kidal.


A ce moment, les décisions de justice furent confiées aux juges islamiques (cadis) locaux. L’application des hudud connut des différences significatives d’une région à une autre. Par exemple, il y eut de multiples cas d’amputation pour vol à Tombouctou et à Gao. Mais à Kidal, le mouvement Ansar Eddine décida avec les cadis locaux que les peines légales seraient « suspendues », et que les sanctions s’inscriraient dans la continuité des traditions locales qui ont toujours privilégié la détention sur les châtiments corporels.

En dépit de cela, un cas de lapidation eut bien lieu dans la localité d’Aguelhok en 2012. Comment cela a-t-il pu se produire ? Selon nombre de témoignages recueillis localement, y compris parmi des personnes opposées à Iyad Ag-Ghali, ce cas de lapidation fut validé par un cadi mauritanien, sans qu’Iyad Ag-Ghali n’en ait été informé. Selon les mêmes sources, Iyad Ag-Ghali aurait désapprouvé la sanction. La question de savoir qui le cadi reconnaissait comme son chef légal n’a pas de réponse claire, particulièrement à un moment où le nord du Mali était sous le contrôle de différents émirs.

Projet de gouvernance

Pourquoi de telles variations entre des régions supposées régies par les mêmes dispositions dérivant de la charia ? Pourquoi les hudud, piliers de légitimation politique et sociale des mouvements djihadistes, seraient-ils suspendus dans certains endroits et pas dans d’autres ? Est-ce le fait de la structuration des mouvements, de la capacité des populations à se faire entendre ou d’autre chose ? Quoi qu’il en soit, l’occupation djihadiste en 2012 fut une expérience sociale à grande échelle qui a suscité un débat intense sur l’usage de la violence comme instrument de gouvernance.

Le portrait horrifique des groupes djihadistes au Sahel offert par les médias est une arme à double tranchant dans la lutte contre ces mouvements. D’un côté, ce traitement est une forme classique et probablement efficace de propagande, qui appelle à l’unité contre « l’ennemi commun ». D’un autre côté, présenter la présence islamiste et son influence politique sous un jour strictement répressif pose question. Précisément, cette vision ne renseigne ni sur l’aspiration des djihadistes à réguler l’usage de la coercition, ni sur leur ambition de gouverner les aspects de la vie quotidienne à travers des moyens violents et non violents, et cela parfois en accord avec les coutumes locales.

Évacuer le projet de gouvernance promu par les islamistes interdit de comprendre les raisons pour lesquelles un nombre croissant de Sahéliens, particulièrement chez les jeunes, est prêt à soutenir ces groupes, et parfois à les rejoindre, dans un contexte ou les autorités officielles échouent à jouer leur rôle.

Les récits unidimensionnels servent des projets de guerre. La recherche de solutions politiques exige, quant à elle, une réflexion plus complexe.

Ferdaous Bouhlel est doctorante à l’Université de Tours.
Yvan Guichaoua est enseignant-chercheur à la Brussels School of International Studies, Université de Kent.
Jean-Hervé Jézéquel est directeur adjoint du Bureau Afrique de l’Ouest d’International Crisis Group.
Ce texte est paru originellement sur le site African Arguments


En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/06/27/les-enjeux-caches-d-une-lapidation-qui-n-a-pas-eu-lieu-dans-le-nord-du-mali_5151878_3212.html

Les pays du Sahel ambitionnent une force de 10.000 hommes contre le terrorisme (06/06/2017)
Par Alain Barluet Mis à jour le 06/06/2017 à 15:55 Publié le 06/06/2017 à 14:54
L'Italienne Federica Mogherini, cheffe de la diplomatie de l'Union européenne.

La cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, a annoncé lundi à Bamako une aide de 50 millions d'euros pour permettre aux pays du G5 Sahel de créer une force conjointe destinée à lutter contre la menace djihadiste.

L'idée, déjà relativement ancienne, de créer une force conjointe des pays du Sahel pour lutter contre le terrorisme, fait lentement son chemin. La cheffe de la diplomatie de l'Union européenne, Federica Mogherini, qui assistait en début de semaine à Bamako à la réunion des ministres des Affaires étrangères du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad), a annoncé à une aide de 50 millions d'euros pour la création de cette force.

Celle-ci devrait compter 10.000 hommes, a précisé à cette occasion le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, soit le double de ce qui était prévu initialement. En mars, les chefs d'état-major des pays du G5 Sahel avaient approuvé un plan prévoyant des effectifs de 5000 militaires, policiers et civils, dont sept bataillons de 650 soldats chacun. La décision initiale de création de cette force conjointe remonte au sommet du G5 Sahel en novembre 2015 à N'Djamena, au Tchad. Sa «création immédiate» avait été validée, au dernier sommet de l'organisation, le 6 février à Bamako.

Cette initiative ne sera pas aisée à concrétiser. Appuyés par la France, les pays de la région se sont efforcés de développer leurs efforts conjoints pour lutter contre les groupes armés terroristes (GAT). La force française Barkhane (4000 hommes environ) soutient ces efforts en participant à des opérations transfrontalières avec ces partenaires. C'est notamment le cas avec le Mali, le Niger et le Burkina dans la région du Liptako-Gourma - une zone à cheval sur ces trois pays - où l'activité des GAT est forte. La décision de créer une force de sécurisation du Liptako-Gourma - qui serait une des composantes de la force du G5 Sahel - a été prise en janvier, mais tarde à se mettre en place.
Des zones entières du Mali échappent à tout contrôle

Fin mai, à Taormine, en Sicile, au sommet du G7, le président du Niger, Mahamadou Issoufou a appelé les grandes puissances et l'ONU à «doter de moyens nécessaires» la force conjointe du G5 Sahel. Quelques jours plus tôt, en visite à Bamako, le président Emmanuel Macron a rappelé l'engagement de la France, à travers le maintien de l'opération Barkhane, tout en insistant sur la nécessité pour le G5 Sahel d'accroître ses efforts communs contre le terrorisme djihadiste.
«Ce sont les Maliens qui ont la solution et tant qu'ils attendront la solution de la France, il ne se passera rien !»

Laurent Bigot, ancien diplomate et consultant indépendant

Au Mali, où se situe le centre de gravité de la crise, des zones entières échappent encore au contrôle des forces nationales, françaises et de l'ONU, régulièrement visées par des attaques meurtrières, malgré la signature en mai-juin 2015 d'un accord de paix censé isoler définitivement les djihadistes. Depuis 2015, ces attaques se sont étendues au centre et dans le sud du pays et le phénomène déborde de plus en plus souvent sur les pays voisins, en particulier le Burkina Faso et le Niger.

Pour Laurent Bigot, ancien diplomate et consultant indépendant, «le nord du Mali est hors contrôle, plongé dans une spirale de violence comme jamais il n'en a connu». «On peut toujours renforcer Barkhane mais quand comprendra-t-on que la solution n'est pas là? Regardez l'Afghanistan et l'Irak! Ce sont les Maliens qui ont la solution et tant qu'ils attendront la solution de la France, il ne se passera rien!», poursuivait récemment cet expert connu pour son franc-parler, dans une récente interview au Journal du Mali.

Laurent Bigot « Tant qu’on attendra la solution de la France, il ne se passera rien ! » (25.05.2017)

Publié le 25.05.2017 à 09h02 par Moussa MAGASSA

Ancien diplomate français et consultant indépendant, Laurent Bigot, connu pour ses analyses sur la politique sécuritaire en Afrique, revient sur les enjeux de la visite d’Emmanuel Macron à Gao.

Lors de sa visite à Gao, Macron a appelé l’Algérie à arrêter le double jeu avec Iyad Ag Ghaly. Est-ce à dire que la politique entre la France et le Mali prend une nouvelle tournure ?

Je ne crois pas aux postures et je me méfie des discours. Dans ces sujets sensibles, la discrétion est de mise. Je ne suis pas certain qu’en interpellant publiquement l’Algérie, on obtienne de meilleurs résultats. Si la France a des choses à dire à Algérie, il y a une relation bilatérale pour cela.

N’est-il pas trop tard pour que la France et ses alliés africains cessent de payer le lourd tribut de leurs compromissions passées avec le terrorisme ?

Il n’est jamais trop tard, c’est un principe de l’action politique ! Quant aux compromissions auxquelles vous faites allusion, je ne sais pas de quoi vous parlez. En revanche, je peux dire qu’il est temps que la complaisance avec la mauvaise gouvernance cesse, car c’est bien cela le cœur du problème. À toujours désigner les terroristes comme coupables, on oublie que le problème structurel est la mauvaise gouvernance des élites politiques.

« L’opération Barkhane ne s’arrêtera pas avant que l’ensemble des groupements terroristes n’aient été éradiqués », a annoncé Emmanuel Macron. Quelle peut être sa nouvelle politique sécuritaire pour les années à venir en rapport avec Barkhane ?

Avec une telle annonce, on signe un bail de cent ans pour Barkhane ! Les dirigeants politiques sont obsédés par la communication. Il serait temps d’arrêter les roulements de tambour, de s’asseoir et d’écouter, humblement, ceux qui souffrent de cette situation et à qui on ne donne jamais la parole.

Quid des engagements du président français pour renforcer le dispositif sécuritaire de la force Barkhane ?

Le Nord du Mali est hors contrôle, plongé dans une spirale de violence comme jamais il n’en a connu. On peut toujours renforcer Barkhane mais quand comprendra-t-on que la solution n’est pas là? Regardez l’Afghanistan et l’Irak! Ce sont les Maliens qui ont la solution et tant qu’ils attendront la solution de la France, il ne se passera rien!

« Agir vite, fort et de manière déterminée sur le plan politique et militaire ». Comment cette déclaration d’Emmanuel Macron pourrait se concrétiser sur le terrain ?


Posez-lui la question ! Tout ça c’est de la communication. Ce sont des lieux communs.

Bernard Cazeneuve sur le front antidjihadiste au Tchad (29/12/2016)
Le premier ministre est arrivé jeudi à N’Djamena pour une visite aux forces françaises déployées au Sahel et afficher son soutien au président tchadien.

Le Monde.fr avec AFP Le 29.12.2016 à 12h29 • Mis à jour le 29.12.2016 à 15h26

Le premier ministre français Bernard Cazeneuve rencontre le président tchadien Idriss Déby Itno, à N’djamena, le 29 décembre 2016.
Le premier ministre français Bernard Cazeneuve rencontre le président tchadien Idriss Déby Itno, à N’djamena, le 29 décembre 2016.

Le premier ministre français Bernard Cazeneuve a assuré jeudi 29 décembre à N’Djamena du soutien de la France au Tchad face à la crise économique et sociale qu’il traverse, en soulignant l’importance de ce pays pour la lutte contre le djihadisme au Sahel.

« La lutte contre le terrorisme c’est une lutte qui doit se mener à l’intérieur de nos frontières mais aussi à l’extérieur », a déclaré Bernard Cazeneuve qui, pour son premier déplacement hors de France depuis sa nomination le 6 décembre, avait opté pour des enjeux sécuritaires dans la continuité de ses précédentes fonctions au ministère de l’intérieur.

« Pour que cette lutte se mène de façon efficace à l’extérieur, il faut que nous ayons des partenariats avec des pays amis qui s’inscrivent dans la durée et qui permettent de réussir cette guerre qui sera un combat de longue haleine », a-t-il ajouté à l’issue d’un entretien avec le président Idriss Déby Itno.


Bernard Cazeneuve était accompagné du ministre de la défense Jean-Yves Le Drian, qui a été chaleureusement salué par le chef de l’Etat tchadien avec lequel il fait régulièrement le point sur la lutte régionale contre le terrorisme.

Allié stratégique de l’Occident, à la jonction entre Afrique du Nord et Afrique noire, le Tchad est en première ligne dans la lutte contre le groupe islamiste nigérian Boko Haram et contre les djihadistes au Mali. Mais il se débat aussi dans une crise profonde qui secoue le régime autoritaire d’Idriss Déby, au pouvoir depuis 1990 et réélu en avril pour un cinquième mandat à l’issue d’un scrutin contesté par l’opposition.

Ce pays pauvre de 12 millions d’habitants pâtit de la chute des recettes tirées de la production de pétrole, qui plombent son économie et ses finances, au moment où il est engagé dans de coûteuses opérations contre Boko Haram. La France s’est dans ce contexte engagée à soutenir le pays financièrement et à appuyer les plans d’aide du Fonds monétaire international (FMI) et de l’Union européenne. « La France est au côté du Tchad sur la crise économique et sociale », a souligné le chef du gouvernement français.


Aide militaire

Elle lui a accordé une aide budgétaire de cinq millions d’euros ainsi qu’un soutien humanitaire d’urgence de trois millions d’euros en 2016, précise-t-on à Matignon.

La France soutient aussi l’armée tchadienne, une des plus solides de la région, en lui fournissant renseignement, appui logistique et matériel.

Paris plaide aussi activement pour que l’UE verse les 50 millions d’euros promis à la Force multinationale mixte (FMM) opérant contre Boko Haram dans la région du lac Tchad et composée de 8 500 hommes originaires du Nigeria, du Niger, du Tchad, du Bénin et du Cameroun.

Sur ce total, « 30 millions ont été décaissés en août pour de l’appui au transport et l’équipement de la force en systèmes d’information et de communication. Mais 18 millions doivent encore être débloqués pour la mise en place du QG de la force à N’Djamena », a-t-on précisé de source diplomatique française.


Bernard Cazeneuve a aussi rendu visite à la force française antidjihadiste Barkhane, dont le QG est également basé dans la capitale tchadienne et qui mobilise près de 4 000 hommes dans cinq pays du Sahel (Mali, Tchad, Niger, Burkina Faso et Mauritanie). « Nous savons ce que la lutte contre le terrorisme [vous] doit », a-t-il salué en exprimant son « immense gratitude » aux militaires présents. « Vous exposez vos vies pour sauver celle des autres », a-t-il remercié.

Barkhane a pris la suite de l’opération « Serval » qui a mis en déroute en 2013 les islamistes armés ayant conquis une grande partie du nord du Mali sans toutefois en éradiquer la menace.


Les forces maliennes, onusiennes (Minusma) et françaises restent régulièrement visées par des attaques meurtrières dans le nord du pays. Depuis 2015, ces attaques se sont en outre étendues à d’autres régions du Mali. Quatre soldats français ont été tués au Mali en 2016. Une humanitaire française, Sophie Pétronin, a également été enlevée samedi 24 décembre à Gao (nord) où près d’un millier de soldats de la force Barkhane sont pourtant stationnés.

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