Lire les évolutions sur le blog L'islam pour les nuls.
Rubriques :
- Islamisation et politique
- L'islam dans le monde (histoire + actualités)
- L'islam dans les textes (que disent le coran, les hadiths, la sira, les tafsirs?)
- Idiots utiles, collabos et islamo-gauchistes (les politiques, juges, journalistes, etc. qui favorisent la propagation de la charia dans le monde)
- Vidéos d'analyse et d'information
******
Pierre Vermeren : «La priorité des Frères musulmans,
l'Europe» (07.07.2017)
Pour Pierre Vermeren, «depuis Sayyed el Qotb, l'objectif de
la confrérie est de détruire les régimes à leurs yeux faussement musulmans pour
imposer le règne direct de Dieu sur terre».
Publié le 07/07/2017 à 17h49
TRIBUNE - En pleine déconfiture dans le monde arabe, les
Frères musulmans concentrent leurs efforts sur l'Europe avec le soutien des
pouvoirs publics turcs, explique l'historien.
Le Centre français du culte musulman (CFCM) est une instance
associative créée en 2003 sous l'égide du ministère de l'Intérieur, instance
qui représente le culte musulman de France, le régit dans ses différents aspects
et constitue l'interlocuteur collectif des pouvoirs publics. En dépit de ses
limites, cette organisation est très importante depuis quelques années. De
facto, un partage à l'amiable de la présidence du CFCM s'est opéré, à tour de
rôle, entre ce qu'il convient d'appeler les représentants de l'islam algérien
et de l'islam marocain de France, les deux États n'étant jamais très éloignés
des scrutins et des mosquées.
Cela a provoqué le courroux de plusieurs composantes du
CFCM, notamment les Frères musulmans de l'UOIF, qui ont parfois boycotté les
élections de l'instance. Dans le cadre de la présidence tournante du CFCM,
l'arrivée à la présidence le 1er juillet 2017 d'Ahmet Ogras, un représentant de
l'islam turc minoritaire, permet aux Frères musulmans de revenir par la grande
porte de manière tout à fait inattendue.
Une hostilité croissante
Depuis que l'Égypte a emprisonné en 2013 la direction mondiale des Frères, de nombreux événements illustrent l'agressivité de cette
organisation passée sous tutelle turco-qatarienne. Cela suscite une hostilité
croissante des États arabes, comme l'atteste le récent embargo imposé au Qatar.
C'est pourquoi les Frères intensifient leur contrôle sur la Turquie, ce que
démontrent les suites du coup d'État de 2016. Et ils se redéploient vers
l'Europe, ce qu'illustre l'activisme d'Erdogan et de son parti (AKP) auprès des
musulmans de France.
L'embargo qatarien est l'ultime avatar de la guerre qui
oppose depuis des décennies les États arabes et l'internationale révolutionnaire
des Frères. Depuis Sayyed el Qotb, l'objectif de la confrérie est de détruire
les régimes à leurs yeux faussement musulmans pour imposer le règne direct de
Dieu sur terre (la hakimiyya), un califat unificateur ou à défaut des
Républiques islamiques.
Face à l'Égypte nassérienne, l'Arabie saoudite est devenue
en 1954 le protecteur des Frères. Des dizaines de milliers de Frères ont
instruit, administré et «ré-islamisé» l'Arabie saoudite, qui a financé en
retour leur développement mondial. Mais en 1990, lors de la guerre du Golfe,
les Frères, dont la direction se trouve en Égypte, prennent fait et cause pour
Saddam Hussein. Les Saoud chassent d'un coup des milliers de Frères, coupent
leur aide financière, puis structurent contre eux des mouvements «salafistes».
Durant deux décennies (1991-2011), les Frères poursuivent
leur expansion mondiale grâce au soutien du Qatar. Ce minuscule et richissime
État devient leur banque mondiale et la diffusion de leur pensée se fait grâce
à la première chaîne de télévision internationale arabe, al-Jezira, même si une
subtile stratégie d'ouverture a pu masquer ce fait.
Quand le printemps arabe
sonne en Tunisie, al-Jezira devient la caisse de résonance et de diffusion de la
révolution en Égypte, en Libye, en Syrie, au Bahreïn puis au Yémen, sous la
tutelle des Frères. Quand les régimes arabes comprennent la manœuvre, ils se
retournent contre la petite chaîne, et les ennuis du Qatar commencent.
Car une fois parvenus au pouvoir, en coalition, en situation
de monopole, ou les armes à la main, les appétences totalitaires des Frères
sèment partout tension, terreur ou division. Profitant de la dynamique arabe,
les Frères intensifient leur contrôle sur la Turquie (via l'AKP et son
président), jusqu'au vrai-faux putsch de l'été 2016. Erdogan offre aux Frères
leur plus grand trophée, la Turquie du honni Kémal Attatürk : armée laïque,
intellectuels de gauche et Kurdes sont mis échec et mat par le néo-islamisme
affairiste et populiste. La Turquie a même rêvé de redevenir la puissance
néo-ottomane de ses anciennes provinces arabes.
L'éradication par la force
Face à ces menaces, élites et régimes arabes reprennent
partout le contrôle de la situation, souvent avec grande brutalité. En juillet
2013, l'armée égyptienne sort les Frères du jeu politique. Les Émirats arabes
unis et l'Égypte décrètent la Confrérie organisation terroriste. Redoutant
l'éradication par la force, les Frères tunisiens, sous la houlette de leur rusé
patron, acceptent un pacte constitutionnel, renonçant à la charia, à
l'inégalité des femmes et acceptant la liberté de conscience. Cela leur a
permis de sauver l'essentiel.
Partout ailleurs, les Frères sont en situation critique. Au
Maroc, ils se heurtent au monarque. En Algérie, les élections de 2017 les ont
confinés à la marginalité. En Libye, malgré leur coup de force post-électoral de
2014, ils ont échoué à s'emparer de l'État et de ses ressources. En Palestine,
Israël et l'OLP ont décidé d'en finir avec la domination du Hamas à Gaza. En
Syrie, leur coalition, écrasée par la guerre civile, est cantonnée à la défense
d'un réduit exsangue au nord du pays.
En 2017, les Frères sont donc bloqués dans le monde arabe.
Leur salut viendra de la Turquie et de l'Europe.
Grâce à sa puissance financière autocratique, Erdogan
finance les organisations nationales des Frères en Europe - surtout si elles
sont turques. La France est une pièce maîtresse dans ce jeu. Personnalités,
associations, médias, entreprises, mosquées et compagnons de route des Frères
sont parfaitement connus, souvent notabilisés. Ils agissent en toute impunité,
comme si le monde arabe était un ailleurs inconnu. Aussi est-il important pour
la Turquie d'entrer dans le dossier de l'islam de France, le principal en
Europe après la Russie.
Les réseaux islamistes français et la Turquie d'Erdogan ontété des acteurs importants du djihad syrien. Après des années de guerre, les
services d'Erdogan sont devenus de fins connaisseurs de l'islam radical
français. Des milliers de jeunes Européens et Maghrébins ont transité par son
pays vers ou en provenance de la Syrie. En dépit des retombées dramatiques sur
Europe, la plupart de nos responsables politiques feignent d'ignorer tout cela.
Mais depuis l'été 2016, la nature autocratique et brutale du pouvoir d'Erdogan
est patente. En 2015, celui-ci a tenu l'Europe à sa merci en ouvrant les vannes
migratoires pour la déstabiliser. En 2017, Erdogan maintient la pression
migratoire grâce à ses amis libyens. Après avoir négocié des milliards d'euros
avec Bruxelles, il a battu la campagne électorale en Europe (attitude contestée
en Allemagne) et réclame la libre circulation pour ses citoyens. Bien qu'il ait
envoyé des dizaines de milliers d'opposants en prison et bombardé les alliés
kurdes des Européens, Erdogan conspue nos alliés germaniques et exige de ses
émigrés qu'ils ne s'intègrent pas en Europe.
L'arrivée d'Ahmet Ogras, un de ses fidèles de l'AKP à la
tête du CFCM, avec le soutien de l'UOIF, a donc peu de chances de résoudre les
problèmes de l'islam de France.
* Pierre Vermeren est professeur d'histoire du Maghreb
contemporain à l'université Panthéon-Sorbonne. Il a récemment publié Le Choc
des décolonisations. De la guerre d'Algérie aux printemps arabes (Odile Jacob,
2015).
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du
08/07/2017.
La rédaction vous conseille :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Aidez-moi à améliorer l'article par vos remarques, critiques, suggestions... Merci beaucoup.