FIGAROVOX/TRIBUNE - Le Monde et Médiapart ont publié des enquêtes sur Tariq Ramadan qui vient de demander la nationalité française. Céline Pina et Fatiha Boudjahlat dénoncent les positions du théologien.
Céline Pina est militante et essayiste. Elle vient de publier Silence Coupable aux Editions Kero
Fatiha Boudjahlat est Secrétaire Nationale du MRC à l'Education, engagée pour la laïcité et l'égalité homme-femme.
Tariq Ramadan ne doit pas être privé de parole, mais bien de la nationalité française: Il ne mérite pas d'être des nôtres. Rejeter avec éclat sa demande de nationalité poserait un acte politique fort.
Monsieur Ramadan est un rhétoricien de talent, sa stratégie réside dans une duplicité qui ne trompe plus guère que les accommodants. Présenté par eux comme islamologue, il n'est qu'islamiste. Il ne produit pas du sens, ne restitue pas le contexte historique mais il produit de la norme religieuse et fige l'islam dans un passé mythifié. Au nom de cette conception archaïque de l'islam, la lapidation ne lui pose aucun problème moral, tout juste consent-il, du bout de sa foi et des lèvres, à proposer un moratoire, mais il n'arrive pas à condamner cet acte barbare. Il n'est ni Charlie, ni Paris, ni Bruxelles, ni Islamabad, ni Grand-Bassam mais perquisitionnable (note bas de page: un tweet qu'il a envoyé juste après les massacres du 13 novembre disait clairement: «je ne suis ni Charlie, ni Paris mais perquisitionnable»)
Quand des djihadistes tuent 148 des nôtres, lui participe à un meeting «contre les dérives racistes et islamophobes de l'état d'urgence» et tandis que nous sommes attaqués pour ce que nous sommes, il exhorte les jeunes frères musulmans à «faire que la culture française soit considérée comme une culture musulmane parmi les cultures musulmanes».
Quand des djihadistes tuent 148 des nôtres, lui participe à un meeting «contre les dérives racistes et islamophobes de l'état d'urgence» et tandis que nous sommes attaqués pour ce que nous sommes, il exhorte les jeunes frères musulmans à «faire que la culture française soit considérée comme une culture musulmane parmi les cultures musulmanes».
Cet homme, pour notre plus grande fierté, n'est pas français. Cet homme, pour notre plus grand malheur, pourrait le devenir. Peu avare de provocation, il en a fait la demande. Notre pays s'illustrerait à lui refuser un tel honneur. Car Tariq Ramadan n'en est pas digne. Il ne pourrait intégrer un pacte Républicain sur lequel il ne cesse de cracher: Tariq Ramadan ne peut s'intégrer à notre belle Nation. Il refuse d'accorder aux femmes l'égalité des droits, dénigre la laïcité et combat toute forme d'émancipation. Ce qu'il prône est tout simplement incompatible avec la dignité humaine. Il n'est pas là pour devenir des nôtres, mais pour islamiser la France, pour faire en sorte que les lois que se donnent les hommes soient soumises à un ordre religieux impossible à contester. Son projet est la soumission de notre libre arbitre aux pseudos vérités immanentes de la vision la plus obscurantiste et archaïque de l'islam et il s'en cache à peine, adaptant son discours à son auditoire. Or notre République n'est pas plus à «islamiser» qu'à «catholiciser» ou à «judéiser». La Constitution que nous nous sommes donnés en tant que peuple souverain dispose que la France est un République démocratique, laïque, indivisible et sociale. La religion n'a pas sa place comme principe d'organisation de notre sphère politique et refuser de l'entendre c'est être incapable de s'élever jusqu'à la citoyenneté. Notre République émancipe. Elle pose que l'identité première d'un individu n'est pas communautaire, religieuse ou ethnique. Elle est politique, ce qui pose le citoyen comme sujet autonome. Elle permet le commun, elle dépasse les particularismes sans les abolir ou les avilir en une haine des autres.
Tariq Ramadan sait cela. Mais s'il se permet de se moquer ainsi de nous, c'est qu'il compte sur la faiblesse de nos représentants et de notre Régime. Il s'estime vainqueur dans tous les cas de figure, soit qu'il obtienne la nationalité française, soit qu'elle lui soit refusée, auquel cas il en prendra prétexte pour se poser en victime du blanc, de l'Occident, de la République, de la France. Il faut donc motiver ce refus indispensable et l'assumer politiquement, sans le déléguer à l'Administration préfectorale. Par ce refus, la France se protège. Par ce refus, la République définit le pacte Républicain. Monsieur Ramadan n'a que trop joué de la lâcheté des politiques, comme de leur incapacité à faire respecter les principes de notre République, car Tariq Ramadan n'est qu'un tigre de papier. Il ne tire son pouvoir que de l'incapacité de ceux qui nous dirigent à donner sens aux idéaux qui nous ont construit en tant que peuple, en tant que nation, en tant que pays.
Car, dans le cadre d'une demande de naturalisation, la nationalité d'un pays n'est pas de droit. Certains éléments sont appréciés en opportunité comme le fait de prôner des valeurs incompatibles avec celles du pays auquel on souhaiterait appartenir. A ce titre, refuser la nationalité française à Tariq Ramadan est une évidence et relève de l'instinct de survie de notre régime démocratique et républicain ; donner le plus d'éclat et assumer publiquement possible à ce refus, feront de cette évidence un acte politique.
Pour devenir Français, il est demandé de maîtriser la langue, des rudiments d'histoire. Monsieur Ramadan réussira ces épreuves scolaires, mais il faut également être capable de s'intégrer à notre monde commun. Posons-lui alors des questions plus politiques et simples. Reconnaît-il comme préalable non négociable l'égalité femme-homme? Reconnaît-il comme préalable la liberté de croire et de ne pas croire? Reconnaît-il la préséance du Droit territorial sur la loi religieuse? Reconnaît-il que l'Islam ne relève pas de la vérité révélée, mais qu'il est une croyance parmi tant d'autres, honorable autant que les autres ou que l'athéisme, ces autres ayant droit de cité dans les mêmes conditions? Condamnera-t-il enfin les terroristes et le terrorisme islamiste, sans astuce et sans détour? Enfin, le cas Ramadan est l'occasion de dépasser la définition technique intelligente que Patrick Weil donne de la nationalité: ce qui «relie en droit un Etat à sa population.» Cette définition est technique, pas politique. Or, face aux attaques des religieux, c'est de politique dont nous avons besoin. Posons à Monsieur Ramadan la question de son allégeance. Va-t-elle à la confrérie des Frères Musulmans ou à d'autres internationales de la violence religieuse? Va-t-elle aux pétro-dollars à qui il doit tant, dont son pseudo statut universitaire (sa chaire universitaire est intégralement financée par le Qatar et Tariq Ramadan n'a pas de publication scientifiquement reconnues)?
La nôtre va à la République Française, or monsieur Ramadan n'est pas un ami de la France et il ne lui veut pas du bien. Nous proposons de renouer avec une disposition du Code pénal: l'article 411-4 sur l'espionnage et la trahison: «Le fait d'entretenir des intelligences avec une puissance étrangère, avec une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou avec leurs agents, en vue de susciter des hostilités ou des actes d'agression contre la France, est puni de trente ans de détention criminelle (…)» la même peine s'appliquant dans le cas ou la personne incriminée fournirait «les moyens d'entreprendre des hostilités ou d'accomplir des actes d'agression contre la France». Quand Monsieur Ramadan rosit de fierté de rejoindre l'Union mondiale des savants musulmans, sous la tutelle de Youssef Al Qaradawi, il montre son soutien à ceux qui préconisent l'élimination physique des homosexuels, des juifs, des mécréants. Ce sont là des ennemis de la France, de la démocratie, du pluralisme. De plus, Monsieur Ramadan fournit «les moyens d'entreprendre des hostilités ou d'accomplir des actes d'agression contre la France» quand il présente cet Etat comme raciste, islamophobe, quand il nourrit la haine de la France et de ses valeurs, quand il incite à la désobéissance sur le principe de la laïcité, quand il méprise les victimes des attentats en ne plagiant que les terroristes et en faisant reposer la responsabilité des tueries de masse, sur l'Etat. Il fournit les armes sémantiques et intellectuelles aux tueurs de Français, d'Ivoiriens, de Nigérians, de Belges, de Pakistanais, de Chrétiens, de Yézidis…
S'intégrer à une Nation demande d'en partager l'âme, l'esprit et les lois, à tout le moins de respecter son histoire, sa culture, son fonctionnement. On ne demande pas la nationalité d'une culture que l'on méprise, d'une histoire que l'on caricature et d'un humanisme que l'on rejette. Sauf à réclamer d'intégrer la nation pour mieux dynamiter notre commun de l'intérieur. A ce titre, cette demande n'est pas seulement une provocation mais une insulte. En remettant Tariq Ramadan à sa juste place, donc en le laissant à la porte, nous indiquerons clairement à tous ce que représente concrètement le fait d'être français, pourquoi certains ne méritent pas de le devenir et pourquoi leurs idéologies n'ont pas leur place chez nous, en Europe, et en fait nulle part ailleurs. La loi prévoit la déchéance de la nationalité française pour les naturalisés convaincus d'actes terroristes. Il serait incompréhensible de donner la nationalité à un tel adversaire de la République et ennemi de la France
Donner de la publicité à ce refus, c'est réaffirmer qu'il y a aujourd'hui en France un gouvernement capable de protéger ce que nous sommes, de l'incarner et de le défendre. Cela sonnerait concrètement le début d'un réveil républicain qui ne se paye plus de mots et qui poserait enfin des actes. La France se protégera en refusant à ce Iago la nationalité Française. Ce faisant, nous nous rappelons que la citoyenneté Française ne s'épuise pas dans le vote, dans la défense de nos droits, mais qu'elle se réalise dans l'accomplissement des devoirs qui nous rendent, selon Lévinas, «responsables les uns des autres». Monsieur Ramadan, lui, n'est responsable que de désordres, d'imposture et de haine.
La rédaction vous conseille
- Tariq Ramadan se rêve-t-il en héros de Houellebecq?
- Un intégriste sur le plateau de Canal +: Céline Pina interpelle Najat Vallaud-Belkacem
Ce que révèle le discours de Tariq Ramadan sur l'excision
- Par Alexandre Devecchio
- Publié
FIGAROVOX/ ENTRETIEN- «L'excision fait partie de nos traditions» a déclaré Tariq Ramadan appelant à un discution interne à «la communauté musulmane». Caroline Valentin décrypte la rhétorique sécessionniste du prédicateur.
Caroline VALENTIN est coauteur d' Une France soumise, Les voix du refus (éd. Albin Michel, 2017).
FIGAROVOX. - Aux États-Unis, l'imam Shaker Elsayed du centre islamique de Falls Church, près de Washington DC, a recommandé au début du mois de juin de pratiquer l'excision pour éviter «l'hypersexualité» chez les femmes, avant de se rétracter devant le tollé suscité. En France, Tariq Ramadan est venu à son secours dans une vidéo publiée sur internet. «C'est controversé, mais il faut en discuter. Nous ne pouvons pas nier le fait que [l'excision] fait partie de nos traditions», a-t-il déclaré dans la vidéo. Et de poursuivre: «Il ne faut pas exposer un de nos leaders qui a servi la communauté pendant plus de trente ans. Il faut nous lever pour défendre nos opinions, et avant de réagir de manière précipitée sur quelconque sujet, nous devons avoir une discussion interne. (...)». Que cela vous inspire-t-il?
Caroline VALENTIN. - Qu'a dit M. Ramadan dans cette vidéo? Que l'excision et les mutilations génitales font partie «des traditions» de la communauté musulmane. Que ces mutilations sont illégales «comme elles sont illégales aux États-Unis» - M. Ramadan s'adresse alors aux musulmans américains qui se sont insurgés contre le prêche de l'iman Elsayed -, c'est être «infidèle à la tradition islamique».. Que ces musulmans qui ont demandé le renvoi de l'imam Elsayed l'ont fait par peur d'être stigmatisés par les non musulmans, non par conviction. Et ces non musulmans, dit Monsieur Ramadan, «on sait qui ils sont, on sait ce qu'ils veulent faire, on sait la manière dont ils veulent faire de l'islam un problème non seulement aux USA mais dans le monde entier». Ce sont des «racistes», des «islamophobes», et vous, musulmans américains qui critiquez l'imam Elsayed, vous faites le jeu de nos ennemis et vous n'êtes pas des «musulmans dignes». Enfin, que la question de la légitimité des mutilations génitales mérite d'être discutée, mais discutée «en interne», au sein de la communauté musulmane, sans influence ni a fortiori injonction du «contexte», des «racistes», des «islamophobes», des autres en somme qui «ont un agenda politique»; ce n'est au demeurant pas vraiment un débat impliquant tous les musulmans que prône M. Ramadan puisque précisément, il reproche aux musulmans américains d'avoir pris l'initiative de contester les propos de l'imam Elsayed et donc d'être entrés dans le débat ; non, c'est un débat qui doit avoir lieu entre les docteurs de la foi et les intellectuels, les savants en somme, avec éventuellement, et si besoin était, des questions à des médecins musulmans. Il sera possible de soulever des arguments pendant ce débat mais en l'occurrence, in fine, ce sont les docteurs de la foi qui doivent déterminer si, du point de vue de l'islam, l'excision doit être considérée comme condamnable … ou acceptable.
Non pas que M. Ramadan soit personnellement en faveur de l'excision. À y regarder de plus près, il indique même qu'il ne l'est pas, mais sans trop insister sur le point, en utilisant une formulation floue, une expression faible. Aucune indignation, rien de la véhémence que l'on aurait pu espérer s'agissant de pratiques internationalement reconnues comme des mutilations sauvages et des sévices corporels pénalement répréhensibles dans tout État de droit. Il aurait pu être en faveur de l'excision mais il se trouve qu'il est contre; on ne saura toutefois pas vraiment pourquoi. Car là n'est pas le cœur du message de M. Ramadan. Son message, c'est avant tout celui d'une injonction à la solidarité communautaire, à la soumission au groupe, d'autant plus impérative, dit le «savant» Ramadan à ses «frères» et «sœurs», qu'il y a conflit entre l'islam et l'occident. L'occident et les Occidentaux, l'ouest, les «sionistes» pour reprendre une terminologie que l'on retrouve dans les commentaires des sites communautaristes musulmans et sous la vidéo de M. Ramadan sur Facebook. L'occident qui veut la perte de l'islam. Vous vivez en occident mais l'occident vous déteste, sachez-le. Chaque Occidental, tous ceux qui vous entourent là où vous vivez, sont des racistes et des islamophobes. Chaque Occidental tient chaque musulman pour son ennemi personnel. Et quand l'Occidental critique les paroles de l'imam, c'est vous qu'il critique, c'est vous qu'il agresse, c'est vous qu'il entend détruire. Dès lors, vous, «frères» et «sœurs» musulmans américains (mais le message s'adresse vraisemblablement à tous les musulmans vivant dans des pays occidentaux), vous devez être conscients de ceci: votre devoir, c'est de soutenir votre communauté. Même si cela passe par accepter des pratiques, des diktats qui heurtent profondément votre sensibilité et votre éthique personnelle. Vous êtes avec nous ou contre nous, votre devoir est d'être avec nous, et si pour y parvenir, vous devez vous taire, eh bien, taisez-vous.
«Il ne faut pas laisser les autres décider pour nous quelles sont nos priorités. Nous devons dire avec dignité et confiance: c'est à nous de décider, pas aux islamophobes ni aux racistes», explique Ramadan dans sa vidéo. Encore une fois toute critique de l'islam est assimilé au racisme ou à l'islamophobie…
Exactement. Sauf que les critiques qui se sont élevées contre l'imam Elsayed ne sont pas une critique de l'islam. Ces critiques ont d'abord été formulées par des Américains musulmans, et par-dessus le marché par des musulmans fervents: il s'agit de fidèles fréquentant la mosquée de l'imam en question. Mais M. Ramadan opère un glissement sémantique tout à fait intentionnel. Si l'on attaque les paroles d'un imam, on attaque l'islam. Si cette critique vient de musulmans, elle fait le jeu de vos ennemis donc elle vise l'islam. Donc elle vise tous les musulmans. Donc elle est raciste ou elle fait le jeu des racistes. Ou plutôt des islamophobes, c'est-à-dire les racistes envers l'islam et les musulmans. C'est là qu'on voit toute la perversité du concept d'islamophobie créé par les têtes pensantes de l'islam politique. L'islamophobie n'est rien d'autre qu'une arme, un instrument de conquête. L'islamophobie est une mystification qui vise à réduire au silence tous ceux qui voudraient voir progresser l'islam vers un islam éclairé, un islam réformé, une religion de paix et d'amour qui deviendrait alors insusceptible d'être invoqué par des ennemis de l'Occident pour justifier le djihad. L'islamophobie, c'est le rétablissement du délit de blasphème. Et nous, nous nous laissons faire: ce concept est repris par des responsables politiques, par des organisations internationales, par des intellectuels occidentaux. Ceux-là ont-ils oublié ce que nous a coûté la répression du blasphème en France avant son abrogation, sous l'influence des Lumières, dans le Code pénal de 1791? Ont-ils oublié cette histoire de feu et de sang qui nous a permis de comprendre que réprimer le blasphème, c'est rester dans l'obscurantisme et dans la haine de l'autre? Ont-ils perdu de vue que là où le blasphème est encore réprimé, les pays musulmans en grande majorité, il est souvent utilisé par un islam majoritaire pour persécuter les minorités religieuses, par exemple au Pakistan avec les minorités chrétiennes?
Le discours de M. Ramadan est tragique. Il est tragique pour nous en tant que nations occidentales, il est tragique pour les musulmans. Tragique pour la cohésion nationale car c'est un discours destiné à alimenter la peur de l'autre, le repli communautaire, c'est un discours défensif, sécessionniste et in fine agressif. Tragique pour les musulmans car il leur commande de barrer la route à toute évolution hors de l'obscurantisme religieux où la résurgence fondamentalisme du XXème siècle les replonge petit à petit. Il les prive de tous les acquis humanistes des Lumières, en termes de liberté, d'égalité, d'émancipation, de respect de la dignité humaine. Car si l'on suit le raisonnement de M. Ramadan, c'est très simple: tout musulman doit s'envisager avant tout comme un membre de la communauté des musulmans, et en tant que membre de cette communauté, il doit préférer la règle de l'islam aux droits et libertés fondamentales que lui garantit la constitution nationale. Concernant les mutilations sexuelles féminines, le bon musulman devra s'en remettre à la décision des savants de l'islam. Décident-ils que cette pratique est obligatoire, alors, si l'on suit la logique de M. Ramadan, les bons musulmans devront s'y soumettre et y soumettre leurs enfants. Ils auront le devoir de violer sciemment une loi nationale destinée à les protéger contre des sévices corporels épouvantables pour se montrer «dignes d'être musulman», pour reprendre les termes de M. Ramadan. Or les savants de l'islam auxquels fait référence M. Ramadan ont déjà une position sur cette question: ils les considèrent, selon les différents courants de l'islam sunnite, soit comme honorifique, soit comme recommandée, soit comme obligatoire …
L'injonction à la solidarité communautaire quel que soit son prix se retrouve dans l'enthousiasme manifesté par Houria Bouteldja, dans son livre Les Blancs, les juifs et nous , devant la réaction de cette femme noire qui expliquait qu'elle préférait ne pas porter plainte après avoir été violée par un homme noir car elle ne pouvait pas «supporter de voir un homme noir en prison». Pour reprendre le commentaire de Jack Dion, «un Blanc qui viole une Noire, c'est un crime raciste. Un Noir qui viole une Noire, c'est une affaire de famille». Ces discours sécessionnistes, de peur et de repli, sont remarquablement efficaces pour bien fédérer un groupe ; et surtout pour bien le fédérer derrière celui qui tente de leur insinuer cette peur. Car tel est l'objectif de M. Ramadan: fédérer une communauté musulmane qui aujourd'hui ne l'est pas, qui est éclatée en sous-communautés selon (notamment) les pays d'origine des fidèles, et la fédérer autour d'un projet politique fondamentaliste qui doit non seulement la conduire à faire prévaloir la Charia sur les règles du pays où ces musulmans vivent mais à le faire dans une démarche défensive et donc en définitive agressive. C'est la démarche typique de l'islam politique des Frères Musulmans qui, pour reprendre l'expression de l'ex-Frère Farid Abdelkrim, prétend servir Dieu et les hommes mais entend surtout «se servir de Dieu et se servir des hommes». Et ne nous y trompons pas, cette stratégie, qui vise à ce que chaque musulman considère chaque non musulman comme un ennemi personnel, a déjà commencé à porter des fruits et risque fort, sur le temps long, d'être redoutablement efficace et délétère.
«Nous ne pouvons pas nier le fait que [l'excision] fait partie de nos traditions». En arrière-plan de cette polémique se pose la question de la compatibilité de l'islam avec les valeurs et le mode de vie occidentale?
Pour être tout à fait précis, l'imam Elsayed a indiqué qu'était recommandée la circoncision des filles qui ne consisterait qu'à enlever «la pointe de la partie sexuelle sensible du clitoris» et non pas le clitoris en entier. M. Ramadan apporte la même précision: il indique en effet que certains docteurs de la foi - car effectivement, l'imam Elsayed reprend une position doctrinale - recommandent dans la tradition musulmane que l'excision ne recouvre pas les pratiques mutilantes allant jusqu'à l'infibulation (suture des grandes et petites lèvres) qui sont pratiquées dans les pays d'Afrique. Toutefois, l'imam Elsayed précise que cette «circoncision» ne doit avoir pour objectif que d'empêcher «l'hypersexualisation» de la femme, sans toutefois lui ôter son plaisir sexuel. Si l'imam Elsayed met sur le même plan circoncisions masculines et féminines, il admet néanmoins que, contrairement à la circoncision masculine, la «circoncision féminine» a bien vocation à influencer la sexualité de la femme. Or si elle influe sur sa sexualité, c'est qu'elle est mutilante. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle elle est fermement condamnée, quel que soit son degré, y compris au stade de l'ablation partielle ou totale du clitoris ou du prépuce entourant le clitoris, par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et est sévèrement réprimée dans tous les pays occidentaux et dans un nombre croissant de pays non occidentaux. Malgré cela, M. Ramadan, le savant, le philosophe qui a fait sa thèse sur Nietzsche et étudié Kant, estime qu'il faut «discuter du point en interne». Voilà aussi toute l'habileté d'un certain discours fondamentaliste musulman, rodé à marginalement revisiter et habiller de relativisme les préceptes et pratiques les plus rigoristes de l'islam pour ne pas trop choquer l'opinion occidentale majoritaire (non musulmane): on ne dit pas que l'excision c'est bien, mais on suggère qu'il serait possible, voire opportun, de débattre de la question et d'en accepter à tout le moins les formes les moins extrêmes ; et ce alors même qu'il s'agit d'un délit pénal! C'est un peu comme si l'on prétendait débattre du point de savoir si arracher un œil à quelqu'un pourrait, dans certaines circonstances, être acceptable, aujourd'hui et dans une société occidentale avancée, au motif que cela ferait partie d'une tradition immémoriale sur un continent dont sont originaires certains membres de la société. Ajoutons que l'imam Elsayed précise également que dans les pays musulmans où cette circoncision n'est plus réalisée, il existerait des problèmes d'hypersexualisation de la femme. Pour le dire plus simplement, pour l'imam, la femme musulmane - et toutes les autres aussi bien sûr - non excisée une nymphomane en puissance.
Quelle est la position de l'occident dans tout cela? M. Ramadan a un point, et un seul. Oui, effectivement, l'occident porte des valeurs qui s'opposent frontalement à celles des fondamentalistes musulmans. Mais l'occident en porte une autre, qui domine toutes les autres: celle du rejet total et absolu de l'essentialisation. Pour le dire plus simplement, l'occident est sans aucun doute en conflit avec le fondamentalisme musulman qui veut qu'un individu ne soit pas libre mais soumis, à Dieu, à l'islam, à la communauté. Qui veut que la femme ne soit pas considérée comme l'égale de l'homme. Qui estime que le non musulman est un mécréant qui doit être combattu, quel qu'il soit, même celui qui vous a tendu la main, qui vous a donné son amitié, son estime, un travail. Qui prévoit des peines de lapidation pour les femmes adultères, qui en arrive à enjoindre la femme victime de viol d'épouser son violeur pour éviter le déshonneur d'arriver vierge au mariage. Qui doit encore réfléchir au point de savoir si les mutilations sexuelles féminines n'auraient pas en définitive quelques inconvénients. Mais l'occident ne considère pas les musulmans comme ses ennemis. Dans les pays occidentaux où certains d'entre eux se sont installés, ils jouissent des mêmes droits et libertés que tous leurs concitoyens. Des politiques de lutte contre les discriminations sont mises en œuvre, les manifestations de racisme sont non seulement sévèrement réprimées mais déclenchent de surcroît une opprobre publique systématique. M. Ramadan, dont l'audience, la notoriété et l'influence dans les pays musulmans est négligeable, ne s'adresse d'ailleurs qu'aux musulmans vivant en occident et, il faut bien le dire, avec un certain succès. Or à ces derniers, nous devons le dire: méfiez-vous du chant de la sirène Ramadan. M. Ramadan n'est pas votre ami. Vos amis, ce sont les gens qui sont autour de vous, les occidentaux. Ce sont eux qui vous ont accueillis, nourris, soignés, éduqués avec autant de soin qu'on a pu le faire avec n'importe lequel de vos concitoyens. Ce sont eux qui sont ou seront vos amis, vos amours, vos clients, vos employeurs, vos médecins, vos enseignants. C'est eux, ce n'est pas Frère Tariq et ce n'est pas les pays musulmans que vous avez quitté car précisément, ils n'ont pas été capables de vous donner ce que l'occident vous a fourni. Vous êtes les bienvenus, sans que cela implique d'abandonner la religion qui est la vôtre, dès lors bien sûr que vous la tenez pour un message de paix et d'amour et que vous la pratiquez dans le respect de la religion - ou de l'absence de religion - des autres.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Aidez-moi à améliorer l'article par vos remarques, critiques, suggestions... Merci beaucoup.