23 juin 2017

Les sources de l'Etat Islamique

Quelques sauvegardes pour plus tard...


La mosquée Al-Nouri de Mossoul, emblème de la ville mais aussi des djihadistes


La perspective de voir les forces irakiennes parader dans la mosquée a pu paraître insupportable aux yeux de l’EI, qui a détruit le monument mercredi soir.

LE MONDE | 22.06.2017 à 15h39 • Mis à jour le 22.06.2017 à 17h32 |

Par Madjid Zerrouky

En réduisant en poussière la mosquée Al-Nouri et son célèbre minaret incliné datant du XIIe siècle, l’organisation Etat islamique (EI), qui avait certainement miné le monument, aura non seulement détruit un édifice qui a « traversé toutes les guerres et toutes les invasions », selon la formule d’un historien mossouliote, mais également effacer une partie de ses propres références. C’est notamment là que l’autoproclamé calife Abou Bakr Al-Baghdadi avait fait son unique apparition publique, le 4 juillet 2014.


Un choix qui ne doit rien au hasard : d’Al-Qaida à l’Etat islamique, du Jordanien Abou Moussab Al-Zarkaoui, le père fondateur du djihad irakien des années 2000 aujourd’hui vénéré par l’EI, à Al-Baghdadi, bien des chemins mènent à Mossoul et à sa célèbre mosquée.


Plus que la chute de la ville, la perspective de voir les forces irakiennes parader dans la mosquée Al-Nouri, d’où elles auraient pu décréter Mossoul libéré, a pu paraître insupportable aux yeux de l’EI, car elle aurait également signifié l’enterrement symbolique du grand dessein d’Al-Zarkaoui. Le Jordanien, qui souhaitait faire de l’Irak le point de départ d’une offensive djihadiste qui emporterait les Etats de la région, avait érigé au rang de mythe fondateur la reconquête musulmane du XIIe siècle face aux croisés – les Occidentaux d’aujourd’hui étant pour les djihadistes les croisés d’hier.

Parmi les figures de cette reconquête : Saladin et, avant lui, Noureddine Al-Zinki, qui, peu de temps avant sa mort, ordonna la construction de la mosquée Al-Nouri à Mossoul en 1171.

Dans une biographie consacrée à Abou Moussab Al-Zarkaoui, Saif Al-Adel, ancien émir par intérim d’Al-Qaida entre la mort d’Oussama Ben Laden et l’intronisation d’Ayman Al-Zawahiri, avait pointé en juin 2009 l’attrait qu’exerçait Mossoul sur le Jordanien : « Il était fasciné par Noureddine Al-Zinki, un leader islamique distingué qui a dirigé la campagne de libération des terres musulmanes. Une campagne qui a été menée jusqu’à la victoire par Salah-Al-Din Al-Ayyubi [Saladin]. Abou Moussab demandait toujours s’il y avait des ouvrages disponibles qui avaient été consacrés à Noureddine Al-Zinki et à Saladin. Je pense que les livres qu’il a lus sur Al-Zinki, qui a lancé sa campagne à partir de Mossoul, ont influencé son choix de s’établir en Irak après la chute de l’émirat islamique d’Afghanistan [le régime des talibans en 2001]. »

Né à Tikrit, à 200 kilomètres de Mossoul, Saladin, qui reprit Jérusalem aux Francs en 1187, est lui aussi un personnage récurrent de la propagande de l’EI, qui le célèbre en puisant notamment dans des références a priori bien éloignées des canons théologiques du mouvement : Hollywood et le film Kingdom of Heaven, réalisé en 2004 par Ridley Scott, dont l’EI a repris à de nombreuses longues séquences pour les insérer dans ses vidéos de propagande.

Entre 2004 et 2008, au plus fort de l’insurrection anti-américaine en Irak, une grande partie de Mossoul va passer sous le contrôle de facto d’une rébellion à dominante djihadiste qui donnera naissance à l’EI quelques années plus tard.


C’est dire si le lieu choisi par Abou Bakr Al-Baghdadi pour son sermon du 4 juillet 2014 était symbolique. Il annonçait ainsi, tel un Al-Zinki ou un Saladin contemporain, l’imminence d’une réunification de Mossoul et d’Alep sous la bannière de son nouveau califat et parachevait le récent projet d’Al-Zarkaoui, la fonction de calife en plus. En attendant de prendre Bagdad, l’ancienne capitale du califat abbasside et cible ultime de l’EI, lors de son offensive de l’été 2014.


L’Etat islamique fait exploser la mosquée Al-Nouri, emblème historique de Mossoul
Les troupes irakiennes rencontrent une résistance acharnée des djihadistes, retranchés dans le dédale de ruelles de la vieille ville.

LE MONDE | 22.06.2017 à 06h48 • Mis à jour le 22.06.2017 à 15h22 |

Par Hélène Sallon (Mossoul, Irak, envoyée spéciale)
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Un emblème historique est parti en fumée : la mosquée Al-Nouri, du XIIe siècle, avec son célèbre minaret incliné, a été détruite, mercredi 21 juin au soir, à Mossoul. Les forces antiterroristes irakiennes venaient d’atteindre le dernier immeuble faisant face à la mosquée, au cœur de la vieille ville. Une rue – cinquante petits mètres – les séparait du site où le « calife » autoproclamé de l’organisation Etat islamique (EI), Abou Bakr Al-Baghdadi, avait fait son unique apparition publique le 4 juillet 2014.

Guerre de communiqués

Les généraux et les commandants irakiens étaient réunis pour préparer cette bataille tant attendue depuis le début des combats, fin 2016, dans la grande métropole du nord de l’Irak. Elle devait marquer l’effondrement symbolique du califat de l’EI. La nouvelle leur est parvenue peu après 22 heures. Les images, prises par un drone de la coalition, sont sans appel : la mosquée, avec son célèbre minaret, surnommé « Al-Hadba » (« la bossue ») par les Mossouliotes, a été réduite en poussière. L’édifice et son voisinage ont été littéralement rasés, ce qui suggère le déclenchement – voulu ou accidentel – simultané d’explosifs. Les alertes s’étaient multipliées récemment, qui évoquaient la possibilité que la zone eût été minée.

« Daech a commis un nouveau crime historique en faisant exploser la mosquée Al-Nouri et la Hadba », s’est empressé de communiquer le responsable de l’offensive de Mossoul, le général Abdoulamir Yarallah, devançant les accusations de l’EI. Par la voix de son agence de propagande Aamaq, le groupe djihadiste a imputé la responsabilité de ces destructions à l’aviation américaine. « Cette nouvelle destruction creuse les blessures d’une société déjà affectée par une tragédie humanitaire sans précédent », a commenté jeudi la directrice générale de l’Unesco.

 Lire aussi :   Les forces irakiennes ont lancé l’assaut sur la vieille ville de Mossoul

Les responsables de la coalition anti-EI ont dû multiplier les démentis pour tenter de désamorcer une polémique à même de fédérer la colère de millions de musulmans sunnites, au moment même où ils célébraient la nuit du destin, au cours de laquelle, selon la tradition, l’ange Gabriel a révélé le Coran au prophète Mahomet.

« Nous n’avons pas conduit de frappes dans cette zone à ce moment-là », a expliqué le colonel Ryan Dillon, porte-parole de la coalition. « Je peux vous assurer que ce n’est pas une frappe. La mosquée Al-Nouri fait partie des sites désignés par le premier ministre irakien comme ne pouvant pas être ciblés. Même si quinze combattants de Daech s’y trouvent, nous ne pouvons pas opérer sur ce secteur », a abondé auprès du Monde une source au sein de la coalition.

Réactions indignées

Les images de la mosquée détruite ont fait le tour de la Toile, suscitant des réactions indignées. « Elle a traversé toutes les guerres et toutes les invasions, pour être détruite par l’EI… L’EI a tout simplement détruit Mossoul aujourd’hui », a réagi sur Twitter le blogueur anonyme Mosul Eye, un historien mossouliote indépendant.

Du haut de ses 45 mètres, le minaret penché, décoré de motifs géométriques, était le symbole de la ville, imprimé sur les billets de 10 000 dinars irakiens, et le seul vestige de la mosquée construite en 1172 par Noureddine Al-Zinki, l’unificateur de la Syrie et une figure de la résistance aux croisades, contre lesquelles il fut le premier à déclarer le djihad. Le reste du site avait été reconstruit en 1942 après sa destruction.

La grande mosquée Al-Nouri, avec son minaret penché, vue depuis une position avancée des forces spéciales irakiennes, à Mossoul (Irak), le 19 juin.
Après avoir conquis Mossoul en juin 2014, les djihadistes de l’EI avaient envisagé de détruire Al-Hadba, comme de nombreux édifices historiques ou religieux de la ville, jugés « idolâtres ». Les habitants les en avaient empêchés en formant une chaîne humaine. Un drapeau noir flottant à son sommet, le minaret est devenu un symbole de leur règne.

« L’Etat islamique les a détruits par fierté »

Début juin 2017, les djihadistes avaient fait évacuer le site et ses environs pour préparer l’ultime bataille, selon les témoignages d’habitants. Les archéologues craignaient ces combats destructeurs autour de la mosquée Al-Nouri et notamment d’Al-Hadba, déjà menacée d’écroulement. Et ce d’autant plus que l’EI n’a jamais hésité à utiliser les mosquées à des fins militaires lors des précédentes batailles urbaines en Irak ou en Syrie, y aménageant des positions de tir ou y entreposant des munitions.

 Lire aussi :   Les damnés de Mossoul

« L’EI l’a détruite par fierté. Abou Bakr Al-Baghdadi a été le premier chef djihadiste à faire un discours public et médiatisé dans un lieu aussi symbolique. Daech ne voulait pas voir les forces irakiennes reconquérir la mosquée et y parader », analyse le colonel Arkan.

La destruction du site ôte aux forces irakiennes le lieu emblématique où elles entendaient acter leur victoire à Mossoul. Mais, pour le premier ministre irakien, Haïder Al-Abadi, sa destruction n’en est pas moins « une déclaration officielle de défaite » du groupe djihadiste.

La bataille se poursuit pour les différentes forces irakiennes à l’offensive. « On va pouvoir reprendre le reste de la vieille ville sans courir », poursuit le colonel Arkan. Depuis que l’assaut final a été déclenché sur la vieille ville, le 18 juin, les troupes font face à une résistance acharnée de la part des quelques centaines de djihadistes retranchés dans ce dédale de ruelles et de passages, truffé de pièges explosifs, où pourraient encore se trouver, selon les Nations unies, près de 100 000 civils.

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