6 novembre 2012

Lecture : vrai débat et fausses solutions (Café pédagogique, 2006)



Lecture : vrai débat et fausses solutions

Fin 2005, le ministre de l'Education Nationale lance une polémique qu'on croyait largement dépassée en publiant une circulaire sur l'enseignement de la lecture, assortie d'une campagne médiatique de grande ampleur.
Il s'agit -ni plus ni moins- que de rendre obligatoire une seule méthode d'apprentissage de la lecture, celle qui s'appuie sur l'enseignement syllabique, en s'appuyant sur une prétendue unanimité de la communauté scientifique sur la question.
Ce dossier fait le point sur les réactions suscitées par ce texte, et tente de rappeler le contenu des programmes de 2002, actuellement en vigueur.
…Le malaise dans l'apprentissage de la lecture a été révélé notamment par des rapports de scientifiques qui démontrent que commencer par la lecture globale est un nonsens scientifique. L'apprentissage se fait par l'hémisphère gauche du cerveau, on apprend par séquence et non en globalisant. C'est comme pour apprendre à conduire, on n'apprend pas en même temps à tenir le volant, allumer la radio et caresser éventuellement la cuisse de sa voisine (sic). On apprend d'abord que le volant fait bouger les roues, que le frein sert à s'arrêter et ainsi de suite : on apprend à conduire.
Pour la lecture, il y a aussi un ordre : lettre-sonsyllabe- mot-sens. J'ai d'ailleurs reçu des monceaux de lettres qui me disent : « Merci M. le ministre, on ne savait plus quoi faire". Alors on a clarifié. D'ailleurs, tous les pays européens arrivent à la même conclusion...……" G .De Robien, "La Dépêche du Midi, 15/02/2006 »

Lecture : vrai débat et fausses solutions (2) 

Objectif annoncé


«A la fin du CP, tous les élèves doivent avoir acquis les techniques du déchiffrage et les automatismes qui permettent la lecture autonome et le plaisir de lire.»
G .De Robien
Le texte de la circulaire publiée fin décembre déclenche la polémique. Elle invite à abandonner la méthode globale et s'appesantit sur la découverte des phonèmes et des sons. Elle fixe un objectif qui paraît consensuel.

Texte de la circulaire : http://www.education.gouv.fr/bo/[...]

Beaucoup moins lisse est le discours qui accompagne ce texte de G. de Robien.
Michel Fayol, Alain Bentolila, des orthophonistes cités dans le dossier de presse du ministre (consultable à l'adresse : ftp://trf.education.gouv.fr/pub/[...] )
Michel Fayol
Michel Fayol, directeur du laboratoire de psychologie sociale et cognitive de l'université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand et membre de l'ONL (Observatoire national de la lecture), est l'un des premiers à réagir, fin décembre, en déclarant que «remettre au goût du jour la méthode syllabique n'est qu'une reconstruction idéalisée d'un monde qui n'a jamais existé».

La recherche est loin de donner la clé des pratiques quotidiennes des enseignants. (...) Tout le monde est d'accord pour dire que l'objectif est la compréhension. Mais on parle d'une compréhension qui s'exerce sur l'écrit, même si elle est amodale : savoir lire, c'est savoir identifier et comprendre les mots écrits au point de pouvoir faire, à partir d'un message écrit, ce qu'on sait faire avec un message oral, c'est à dire le comprendre.

(...) Pour l'identification des mots écrits, deux cas de figures sont possibles :

- le mot est déjà connu, fréquenté : on va pouvoir le reconnaître, d'autant plus rapidement que le mot est fréquent (ou fréquenté…). C'est un cycle à enclencher, la lecture s'améliore en lecture au fur et à mesure qu'on lit. - Les mot est inconnu, ce qui est le cas le plus fréquent pour les enfants jeunes. Il va donc falloir le décomposer en " morceaux ", comme fait un adulte lorsqu'il rencontre un mot inconnu. L'un des grands problèmes est la nature de ces "petits morceaux"…(...) Notre système s'est basé sur la différenciation entre graphèmes et phonèmes, et ce n'est pas seulement des lettres et des sons… Dans "BALLON", j'entends deux syllabes, mais aussi des phonèmes qui correspondent chacun à une (/b/, /a/) ou deux (/l/, ) lettres : les graphèmes…

Les élèves ont donc trois problèmes : comprendre, acquérir un système alphabétique et identifier les mots, et intégrer ces trois dimensions au cours de la lecture, de manière de plus en plus rapide et sans effort. (...) Ce serait simple, si on avait des systèmes orthographiques idéaux, qui associent toujours la lettre A avec le phonème [a]. Mais le premier problème vient avec les consonnes, entités abstraites non directement perceptibles, qui doivent être associées à une voyelle. Les enfants ne peuvent pas percevoir directement les consonnes, ils doivent apprendre à les construire, les discriminer, les catégoriser grâce à l'enseignement. Cela a l'air simple, mais c'est loin de l'être.(...) Au Japon, dans un système idéographique où ils avaient appris à lire sans décomposer la parole en " petits morceaux ", même les grands lettrés peinaient à segmenter ou identifier les phonèmes. Les enfants sont dans la même situation, ils doivent le construire, et l'école est là pour trouver les moyens d'intervenir pour éviter au maximum les risques dans l'acquisition du principe alphabétique.

(...) Hélas, ça ne suffit pas en français, qui est une langue à système irrégulier, où un nombre non négligeable de mots ne se prononcent pas comme ils s'écrivent : plus de phonèmes que de lettres, et certains graphèmes qui correspondent à plusieurs phonèmes : "nous mentions" et "des mentions" !

(...) Mais il ne faut pas oublier que l'activité de lecture fait beaucoup référence aux connaissances antérieures et à la culture. Les programmes de 2002 avaient bien vu qu'un des problèmes à anticiper dès la maternelle, c'est la différence de culture entre les enfants. Lire aux enfants des histoires, entrer dans une culture partagée, de manière à ce qu'ils soient capables de bénéficier non seulement de leur capacité à traiter le code, mais aussi de leurs connaissances culturelles.(...)

Si on veut dépassionner les débats, ça vaut la peine de s'interroger sur les aspects sur lesquels on n'a pas de réponse, et plutôt que d'apporter des réponses passionnelles, travailler à développer des travaux empiriques, par exemple sur la place à donner à l'écriture dans l'apprentissage. Il se pourrait que l'écriture soit un moteur pour l'apprentissage du principe alphabétique. Mais c'est encore un conditionnel à confronter sérieusement au réel.

Texte complet sur
http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/contr[...]




Les orthophonistes ?
Fédération Nationale des Orthophonistes Paris, le 8 décembre 2005

COMMUNIQUE DE PRESSE

Dans le débat actuel sur les différentes méthodes de lecture à la fois au sein de l’Education Nationale et à l’Assemblée Nationale, plusieurs interventions font référence à la position « des orthophonistes » à ce sujet.

La Fédération Nationale des Orthophonistes (FNO) tient à préciser de la manière la plus ferme, que les orthophonistes, professionnels de santé, interviennent au niveau du soin dans le domaine des pathologies de la lecture et dans la prévention de ces troubles. En aucun cas leur intervention thérapeutique ne se situe dans le domaine pédagogique qui, lui, relève de la responsabilité des enseignants et de l’Education nationale. Il n’existe à ce jour, aucune étude menée par des orthophonistes, validée scientifiquement, mettant en évidence des liens de causalité entre méthodes de lecture et pathologies du langage écrit.

Les affirmations d’orthophonistes sur les supposés effets de la méthode de lecture dite « globale » n’engagent que ces professionnels, à titre tout à fait individuel, et, ne constituent ni une position de la profession, ni une caution scientifiquement reconnue.

La FNO dénonce toute référence abusive et non fondée à une position des orthophonistes dans ce débat. 
Par fgiroud , le vendredi 03 février 2006. 

Lecture : vrai débat et fausses solutions (3) 

« [...]
On observe sur cette question un consensus remarquable de la communauté scientifique [...]Franck Ramus [...] Liliane Sprenger-Charolles, Johannes Ziegler ou à Stanislas Dehaene,[...] »
G .De Robien

Les chercheurs
Franck Ramus, Chargé de Recherches au CNRS
Séverine Casalis, Maître de Conférences à l'Université Lille 3
Pascale Colé, Professeur à l'Université de Savoie
Alain Content, Professeur à l'Université Libre de Bruxelles
Jean-François Démonet, Directeur de Recherches à l'INSERM
Elisabeth Demont, Professeur à l'Université de Strasbourg
Jean Ecalle, Maître de Conférences à l'Université Lyon 2
Jean-Emile Gombert, Professeur à l'Université Rennes 2
Jonathan Grainger, Directeur de Recherches au CNRS
Régine Kolinsky, Chercheur qualifié du FNRS, Communauté française de Belgique
Jacqueline Leybaert, Chargée de Cours à l'Université Libre de Bruxelles
Annie Magnan, Professeur à l'Université Lyon 2
José Morais, Professeur à l'Université Libre de Bruxelles
Laurence Rieben, Professeur à l'Université de Genève
Liliane Sprenger-Charolles, Directrice de Recherches au CNRS
Sylviane Valdois, Directrice de Recherches au CNRS
Pascal Zesiger, Professeur à l'Université de Genève

... Réagissent également :

Dans le débat sur " les méthodes de lecture ", la Science a bon dos. Invoquée à la fois par le Ministre de l’Education Nationale et par ses opposants, elle semble se plier aux différents points de vue. Pourtant, après maints débats alimentés de citations tronquées, les nuances d’un point de vue qui vise à l’objectivité scientifique n’ont toujours pas réussi à se faire entendre. Il nous paraît donc important de clarifier ce que les recherches scientifiques permettent (ou pas) de dire. [...]
Les mots "syllabique" et "globale" ne font pas partie du vocabulaire scientifique car trop ambigus. Les recherches se sont plus précisément attachées à comparer l’efficacité des méthodes en fonction de l’importance accordée au déchiffrage (des lettres en sons, ou plus précisément des graphèmes en phonèmes) [...]
1.l'enseignement systématique du déchiffrage est plus efficace que son enseignement non systématique ou absent ;
2.l'enseignement systématique du déchiffrage est plus efficace lorsqu'il démarre précocement que lorsqu'il démarre après le début de l'apprentissage de la lecture ;
3.les enfants qui suivent un enseignement systématique du déchiffrage obtiennent de meilleurs résultats que les autres, non seulement en lecture de mot, mais également en compréhension de texte (contrairement aux idées reçues sur les méfaits du déchiffrage qui conduirait à ânonner sans comprendre) ;
4.l'enseignement systématique du déchiffrage est particulièrement supérieur aux autres méthodes pour les enfants à risque de difficultés d'apprentissage de la lecture, soit du fait de faiblesses en langage oral, soit du fait d'un milieu socio-culturel défavorisé ;
5.du moment que le déchiffrage est enseigné systématiquement, il importe peu que l’approche soit plutôt analytique (du mot ou de la syllabe vers le phonème) ou synthétique (du phonème vers la syllabe et le mot). [...]

Y a-t-il donc lieu de décréter l’état d’urgence ?
Probablement pas. Il semble qu’une grande majorité de professeurs des écoles enseignent effectivement le déchiffrage dès le début du CP, et la plupart des manuels publiés respectent l’esprit des programmes. Néanmoins, il faudrait à tout prix éviter que dans
une minorité de classes les enfants perdent les premières semaines voire les premiers mois du CP à faire semblant de lire en devinant les mots. Pour cette raison, une clarification des programmes serait utile, tout comme le suivi de leur mise en application effective, en relation avec les personnels des IUFM et des différents corps d’inspection.

Faut-il donc revenir aux vieilles méthodes enseignant exclusivement le B-A-BA de manière répétitive et dénuée de sens ?
Certainement pas. Sur ce point nous rejoignons largement l’avis du monde enseignant pour dire que les méthodes qui, dans l’état actuel de l’art, semblent optimales, initient l’enfant non seulement au déchiffrage, mais également à la morphologie, à la syntaxe, à la compréhension de textes ayant un sens, ainsi qu’à l’écriture. Simplement, le déchiffrage doit être présent dès le début du CP.

Peut-on espérer d’une telle réforme l’éradication de l’illettrisme ? L’obligation d’enseigner le déchiffrage dès le début du CP serait un net progrès pour la minorité d’enfants qui actuellement n’en bénéficieraient pas. Cela réduirait sans doute marginalement l’illettrisme, sans pour autant l’éradiquer. Les causes de l’illettrisme sont multiples, incluant de nombreux facteurs socio-culturels et une faible maîtrise de la langue orale. L’école (notamment maternelle) a un rôle important à jouer à ces niveaux aussi. Quant à la dyslexie, elle concerne un groupe très minoritaire d’enfants souffrant d’un trouble spécifique de l’apprentissage de la lecture, pour qui l’enseignement précoce du déchiffrage est aussi bénéfique, à défaut d’être réellement curatif.

Texte complet sur
http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/contribs_ramus.aspx




« Je pourrais également vous parler de la Finlande, toujours classée première dans les comparaisons internationales en lecture, et qui applique depuis longtemps des méthodes phono-synthétiques. »
G .De Robien
La Finlande ?
Ce n’est pas ce qui fait la différence pour les finlandais eux-mêmes. A la journée de convention de l’UMP, au cours de laquelle Nicolas Sarkozy présentait son projet pour l’école, Kristina Kaihari-Salminen, conseillère au National board of education de Finlande, décrivit ce qui, d'après elle, fait la réussite du système finlandais : aucune sélection, proximité du domicile, scolarité unique de neuf ans, beaucoup de soutien, pas de redoublement, pas de classement. Et pour les enseignants : large autonomie, recrutement local, formation sur 5 ans, liberté des méthodes, travail collectif, "social-constructivisme" en pédagogie, évaluation permanente, feedback- positif des élèves [...]

A noter également que le système linguistique finlandais est très “transparent” entre l’oral et l’écrit...

Page publiée le 03-02-2006

Par fgiroud , le vendredi 03 février 2006.


Lecture : vrai débat et fausses solutions (4) 

« [...]
« En revanche, des méthodes « à départ global » continuent d'exister : j'entends par là, avec les chercheurs (comme Franck RAMUS par exemple), toutes les méthodes qui font commencer l'apprentissage de la lecture par une approche globale, et font intervenir trop tard l'apprentissage syllabique. Ces méthodes à départ global, sous les noms de «semi-globales» ou «mixtes», sont très couramment utilisées encore aujourd'hui. »
G .De Robien
Méthodes utilisées
Roland Goigoux (Directeur du laboratoire PAEDI - IUFM d'Auvergne)

L'ignorance du ministre sur la réalité des pratiques pédagogiques est un autre signe du manque de considération pour le métier des enseignants. Comment faire confiance à quelqu'un qui croit que les méthodes dominantes ont «un départ global très long» alors que Ratus et Gafi, les manuels les plus vendus et les plus utilisés au cours préparatoire, organisent l'étude des correspondances entre les lettres et les phonèmes dès le premier jour de la rentrée des classes ? Comment faire confiance à un ministre qui s'apprête à obliger tous les instituteurs à procéder de manière identique, quels que soient leur expérience et leurs savoir-faire ? Un ministre qui remet en cause leur responsabilité pédagogique et prétend imposer à tous une méthode syllabique en parfaite contradiction avec les programmes actuels .. qu'il a luimême préfacés !

Une telle ignorance du métier ne peut être qu'un déni du métier. «Parlez-en à votre instit !» Ce slogan doit être compris comme une revendication professionnelle : il faut faire confiance aux instituteurs et renoncer à instaurer le couvrefeu pédagogique.

[...]une grande méconnaissance de la réalité des pratiques pédagogiques caricaturées pour mieux justifier un retour nostalgique et populiste vers le passé. Les professeurs des écoles stagiaires qui ont été invités à dialoguer avec le ministre et les membres de son cabinet le 23 janvier à Sens ont été stupéfaits de l'ampleur de cette ignorance. [...] Comme certains chercheurs, les conseillers du ministre confondent encore la méthode naturelle de Freinet (qui consacre beaucoup de temps à l'étude des correspondances grapho-phonologiques) avec la méthode idéovisuelle promue par Foucambert qui elle, en revanche, excluait tout déchiffrage. Et ils semblent ignorer que cette dernière a totalement disparu des écoles.

Texte intégral :
http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/contribs_goigoux3.aspx




Les inspecteurs de l’Education Nationale (Syndicat UNSA)
[...] les inspecteurs ne sont nullement inféodés à une chapelle dont ils s’efforceraient d’assurer la promotion par la menace ou la séduction ! Leur mission de service public les conduit naturellement à intégrer les travaux des chercheurs comme les réflexions conduites au sein de l’institution pour aider les maîtres à améliorer leurs pratiques. Ni les plaintes d’enseignants qui semblent plus préoccupés de leur réussite médiatique que du succès de leurs élèves, ni les propos d’un ministre qui instruit à charge sans même souhaiter nous entendre, ne nous conduiront à remettre en cause notre volonté de défendre une Ecole toujours plus efficace pour les élèves.

[...] Au fil de nos visites, nous rencontrons des enseignants pratiquant des méthodes différentes avec des réussites variables. Il est clair cependant que leur efficacité n’est que faiblement corrélée aux supports utilisés ou aux démarches d’apprentissage mises en oeuvre. Ajoutons, mais ce ne sera vraiment une surprise pour personne, sauf peut-être pour le ministre, qu’il y a bien longtemps que nous n’avons vu pratiquer la méthode globale ! En revanche, nous voyons très souvent des enseignants remarquablement motivés qui s’appliquent à faire réussir tous leurs élèves, et ce dans des conditions parfois critiques. Ces efforts accomplis depuis des années pour répondre aux difficultés des élèves méritent mieux que d’être balayés d’un revers de main par un ministre qui n’hésite pas à établir un lien de causalité directe entre la méthode d’apprentissage de la lecture au CP et les problèmes que rencontrent des élèves en 6ème. Entendue dans un Café du Commerce, cette assertion ferait sourire, émanant de la rue de Grenelle, elle fait frémir !

Texte intégral :
http://www.unsa-education.org/sien/




Rapport IGEN (Inspection Générale de l’Education Nationale) sur les pratiques d’enseignement de la lecture au CP.
- travail oral de la conscience phonique (reconnaissance de sons) : 88%
- travail de discrimination visuelle de lettres : 88%
- moment de lecture à haute voix de mots par assemblage (déchiffrage) : 100%
- moment de dictée de syllabes. : 77%
Le rapport :

ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/syst/igen/rapports/plan_illetrisme_CP.pdf




Est-ce parce qu’il critique le Ministre ?
Roland Goigoux, qui participe à la formation des inspecteurs à l’ESEN depuis plusieurs années, voit sa participation remise en cause cette année.
Les syndicats d’inspecteurs protestent, les autres chercheurs s’engagent à ne pas le remplacer.
http://www.unsa-education.org/sien/dossiers/systeduc/premierdegre/MEN010206-PRdef.doc

Le Ministère tente-t-il d’interdire à l’IUFM de Clermont la diffusion d’un DVD relatant la conférence commune de Michel Fayol et Roland Goigoux ? Polémique relatée à
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2006/02/index240206.aspx

Page publiée le 03-02-2006


Par fgiroud , le vendredi 03 février 2006.

Lecture : vrai débat et fausses solutions (5) 

« [...]
« Ce n'est pas moi qui vous le dis, mais des scientifiques spécialisés dans l'étude de la lecture, qu'il s'agisse de neurologues, de psycholinguistes ou de linguistes. On observe sur cette question un consensus remarquable de la communauté scientifique, aussi bien en France qu'à l'étranger. [...] Je citerai en particulier l'étude de grande ampleur qui a été menée en 1998- 1999 au Etats-Unis par l'Institut national de la santé des enfants et du développement humain ( National institute of child health and human development ). Il a en effet examiné l'efficience des différentes méthodes de lecture utilisées à l'école, sur un large panel d'écoles. Le résultat a été très clair : les méthodes "systématiques" sont supérieures non seulement aux méthodes idéovisuelles, mais aussi aux méthodes semi-globales. »

G .De Robien
Les études anglo-saxonnes ?
André Ouzoulias

[...] Or, si certains concepts, positions et débats ont un fondement évident dans les pays de langue anglaise, il n'est pas certain qu'on puisse les transposer si simplement dans les autres pays ni dans les pays de langue française et encore moins dans le contexte scolaire et pédagogique de la France.

[...] En fait, le système orthographique de l'anglais est tel qu'aucune règle ne permet de décider comment se prononcent de nombreuses lettres, notamment les voyelles. [...] En anglais, il est très difficile de produire de façon sûre, par décodage, la forme sonore de mots entrevus pour la première fois. [...]Pour plus de 30 % des cas, c'est seulement parce qu'il connaît la prononciation du mot anglais.[que le lecteur y parvient]

De plus, plusieurs recherches, comme celles de Melher et Segui montrent qu'en français, la syllabe est l'unité cruciale de traitement à l'oral . Il est donc normal que le lecteur français cherche à produire des syllabes quand il rencontre des mots inconnus. Mais en anglais, c'est plutôt la structure consonantique et l'accent tonique qui jouent ce rôle ; le rôle de la voyelle au « noyau » de la syllabe étant moindre dans le traitement de l'oral, cela diminue par voie de conséquence l'intérêt de la fusion syllabique (le fameux beu-a ba) dans le décodage.

Par ailleurs, les syllabes anglaises sont souvent du type CCVC (star), CCVCC (start), CCCVC (street)… ce qui rend difficile la fusion des phonèmes consonantiques [...]. En français, les syllabes orales sont plus souvent du type CV (comme dans pantalon, joli, bateau…) et la fusion syllabique en lecture s'en trouve facilitée.

On voit que l'usage du « beu-a ba » en lecture pose plus de problèmes en anglais que dans la plupart des autres écritures alphabétiques. [...]
De même, ce sont certainement les caractéristiques de la langue orale anglaise et de son système orthographique qui conduisent de nombreux pédagogues d'outre- Manche et des USA à accorder une importance cruciale à ce qu'on appelle, en psycholinguistique, la « conscience phonologique des phonèmes »,[...]. C'est ce qui conduit l'enseignant à attirer fortement l'attention des élèves sur la structure phonémique du mot oral [...]

Par contraste avec cette contrainte que la langue anglaise et son écriture font porter sur l'apprentissage, on peut penser que, dans des orthographes transparentes et avec des langues dans lesquelles la voyelle est le centre évident de la structure syllabique, la forte correspondance entre les éléments visuels de l'écrit et les phonèmes, [...]assure une bonne « visibilité » des phonèmes. [...]

Dès lors, c'est seulement avec des enfants susceptibles de ne pas pouvoir saisir les nuances de la phonologie de la langue d'apprentissage que le pédagogue de ces langues « transparentes » va devoir organiser un apprentissage plus explicite et plus systématique de la segmentation phonologique [...]

Texte intégral



Roland Goigoux

Pour justifier l'obligation de la méthode syllabique et l'exclusion de toutes les autres méthodes, le ministre a sollicité la caution de recherches en sciences cognitives. Est-ce fondé ?

[...]les résultats avaient déjà été pris en compte dans les programmes de 2002. Ces études, toutes anglo-saxonnes, soulignaient la nécessité d'enseigner systématiquement, dès le début du cours préparatoire, les correspondances entre phonèmes et graphèmes, [...] Toutefois, ils précisaient que cet apprentissage reposait aussi sur "l'analyse de mots entiers en unités plus petites référées à des connaissances déjà acquises", [...]. Autrement dit, les activités d'analyse et de synthèse étaient jugées complémentaires et les maîtres incités à les conduire de front.

C'est sur ce point que le ministre revient aujourd'hui en arrière [...]. Il nomme "semiglobales", pour les stigmatiser et les interdire, toutes les méthodes qui intègrent ces activités. [...]Les travaux anglo-saxons précités indiquent seulement la supériorité des méthodes phoniques sur les méthodes globales. Parmi les méthodes phoniques, personne n'a comparé celles qui sont exclusivement synthétiques (qui se cantonnent au B-A, BA) à celles qui sont interactives, c'està- dire qui combinent analyse et synthèse. Pour être plus précis, les méthodes jugées aujourd'hui " semi-globales " par le ministre seraient, pour la plupart, qualifiées de phoniques dans les pays anglo-saxons [...] Dès lors, on s'explique mal les raisons qui poussent le ministre à condamner ces méthodes qui ont, dans les pays anglo-saxons, fait la preuve de leur efficacité.

Les recherches invoquées ne permettent donc pas de soutenir les injonctions pédagogiques ministérielles ?

Bien sûr que non. [...]le 30 novembre 2005 le directeur de l'enseignement scolaire encourageait les auteurs d'un projet à "expérimenter" et évaluer la méthode syllabique dans quelques écoles (résultats annoncés pour 2008) ? Un mois plus tard, celle-ci devenait néanmoins obligatoire dans tout l'hexagone !

Quel crédit accorderait-on à un ministre de la Santé qui imposerait de la même manière un médicament unique à tous les médecins généralistes sans validation préalable?

Le plus ennuyeux dans cette affaire est que des scientifiques, parfois de bonne foi, se sont laissé instrumenter et servent aujourd'hui de caution à ces prescriptions aventureuses. [...] Ils ignorent que les méthodes à dominante phonémique, qui font du déchiffrage la cible principale de leur intervention, sont archi-majoritaires en France.

Texte intégral :
http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/contribs_goigoux3.aspx

Page publiée le 03-02-2006

Par fgiroud , le vendredi 03 février 2006.


Lecture : vrai débat et fausses solutions (7) 

Mais que disent les programmes de 2002 (en vigueur)
Que demandent les programmes de 2002 aux enseignants de CP ?

Pour tenir compte de ces difficultés, les programmes demandent aux maîtres de travailler dans cinq grandes directions : comprendre, correspondances entre oral et écrit, composantes sonores, " dire, lire, raconter à haute voix ", écriture.

Comprendre : (liste non exhaustive)
- mettre en ordre des images, des paragraphes
- travail sur les consignes
- répondre à des questions, extraire une idée essentielle, résumer,
- repérer les personnages, les anaphores (dans " il lui dit ", qui est IL, qui est LUI…)

Correspondance oral/écrit : (liste non exhaustive)
- situer un mot dans une phrase entendue ou lue
- repérer les ressemblances entre l'écrit et l'oral (" di " dans dimanche et lundi)
- déchiffrer un mot inconnu
- identifier directement un mot déjà vu plusieurs fois (de plus en plus fréquemment)

Composantes sonores : (liste non exhaustive)
- scander les syllabes (frapper des mains trois fois pour la/va/bo)
- trouver des mots qui commencent comme…, qui finissent comme…
- identifier les phonèmes (dans bateau, 2 syllabes, et dans chaque syllabe 2 phonèmes b/a : t/o
- remplacer un phonème par un autre : avec /bato/, faire/chato/, /chamo/…
- chercher dans un texte les mots où on entend… (et ne pas faire la confusion avec les lettres qu'on voit…

Précision importante : une des difficultés dans ce type d'activité est que le Français, comme l'anglais, mais contrairement au finlandais ou à l'italien, n'est pas une langue où on écrit " comme ça se prononce " : beaucoup de mots ne peuvent pas se " décoder ", mais ont besoin de s'apprendre " orthographiquement " (femme, viennent). De plus, il est très difficile pour les élèves de savoir où couper les syllabes (animal/ ancien/antenne/ampoule…)

Dire, lire, raconter à haute voix : (liste non exhaustive)
- décrire un objet, raconter un événement
- lire à voix haute une histoire en mettant le ton
- relire un texte qu'on a écrit seul
- lire une consigne
- lire à plusieurs un dialogue

Ecrire : (liste non exhaustive)
- tenter, seul ou à plusieurs, d'écrire un mot inconnu, comparer avec les répertoires de la classe
- passer de l'écriture scripte à cursive sans erreur
- orthographier sans erreur sous la dictée les mots connus
- écrire progressivement des phrases en tenant compte de l'orthographe, de la grammaire, de la conjugaison (féminins, pluriels, conjugaisons usuelles
- améliorer, réécrire, corriger, expanser, remplacer, résumer…

http://eduscol.education.fr/D0135/telechargez.htm




Le Ministère veut modifier les programmes pour les rendre conformes avec sa nouvelle circulaire sur la Lecture.
Le Ministère prétend vouloir lever “ toutes les ambiguïtés ” sur les méthodes de l'apprentissage de la lecture. Il choisit pour cela de convoquer les représentants des personnels dans la précipitation.

Pour le SNUipp, “l’obstination du Ministre sur les méthodes de lecture est inadmissible. Elle finit d'exaspérer les enseignants et peine à masquer le manque de moyens engagés pour l'école primaire. Laisser croire qu'il suffirait d'éradiquer la méthode globale pour un retour exclusif à la méthode syllabique va à l’encontre de l’expérience des enseignants et de l’avis des chercheurs.

Le Se-Unsa "n’acceptera aucune proposition de changement des programmes qui ne soit dictée par une démarche de progrès dans l’intérêt des élèves" . Il rappelle que ces programmes "ont été arrêtés en février 2002 après un long processus de concertation impliquant durant plusieurs mois des praticiens de terrain, des représentants des parents d’élèves, des formateurs d’IUFM, des inspecteurs et des universitaires".

Il dénonce "la spirale idéologique dans laquelle s’enferre le ministre sur ce sujet complexe où le souci de faire progresser les élèves dans la maîtrise de la langue devrait l’emporter sur toute autre considération" et "s’inquiète de voir ainsi une démarche politicienne s’insérer dans la définition du contenu des programmes scolaires".
Page publiée le 03-02-2006

Lecture : vrai débat et fausses solutions (8) 

« Persévérer dans cette méthode alors qu’on en connaît la nocivité est criminel. C’est un danger pour les enfants »
G .De Robien
Lecture : le discours de la méthode…
Jacques BERNARDIN, GFEN (Groupe Français d’Education Nouvelle)

Les méthodes globales et semi-globales sont « responsables de l’épidémie actuelle de dyslexie », il faut revenir à la méthode syllabique… Global, ce discours est plus du côté de l’anathème injonctif que du conseil avisé, scientifiquement étayé.

La fabrique des illettrés

[..] Les jeunes en savent-ils moins que leurs aînés ? Selon une enquête réalisée par l’Insee en 2002, 12 % de l’ensemble des adultes ont des difficultés de lecture, mais en comparant les tranches d’âges, on s’aperçoit que les jeunes sont moins touchés que leurs aînés : cela concerne 4 % des 18-24 ans… mais 13 % des 40-54 ans et 19 % des 55-65 ans (1).

Trop de jeunes sortent sans diplôme ? Rappelons qu’en 1975, 56,5 % de la population était non diplômée. Si aujourd’hui, 15 % d’une génération ne valide pas son second cycle long, c’est le cas de 18 % d’une génération dans la moyenne des pays de l’OCDE (et de 28 % d’une génération aux Etats- Unis) (2). [...]

Le retour à la syllabique

On nous prescrit (avec fermeté !) un retour aux « bonnes vieilles méthodes », notamment à la méthode syllabique, supposée plus efficace. Et si on y regardait de plus près ? Les I.O. de 1923 (qui ont prévalu jusqu’aux années 70) préconisaient d’insister sur le code. [...] Les Instructions précisaient : « Pendant cette période (CP-CE1-CE2), le caractère essentiel de la lecture est d’être ‘courante’et l’on se gardera d’en arrêter trop souvent le cours par des questions ou des explications ». La méthode syllabique dominait, avec pour objectif d’intégrer la reconnaissance phonie/graphie en faisant appel à la mémoire, la répétition et l’oralisation collective. [...]

Hélas, la réalité résiste, [...] Des constatations faites dans de nombreuses écoles, il résulte que la ‘lecture courante’ n’est pas encore complètement acquise à dix ans par la moyenne des élèves » (…) [...].

Les programmes de 2002 intègrent les attendus de l’époque [...] et les débordent largement avec des objectifs ambitieux afin de préparer l’ensemble des élèves à profiter de l’enseignement secondaire : il s’agit désormais de pouvoir comprendre y compris de façon fine des textes plus longs et divers, dans toutes les disciplines… Exigences qui n’étaient auparavant adressées qu’à une minorité de la population : l’élite destinée aux postes de responsabilité et de pouvoir.

Les méthodes « responsables de l’épidémie actuelle de dyslexie »

[...] Est-il raisonnable d’imposer à tous prioritairement et exclusivement le b.a – ba ? Beaucoup d’enseignants l’ont fait par le passé… et en ont expérimenté les limites : d’une part, cela ne parle qu’aux élèves ayant compris la nature du système écrit (ce qui est loin d’être le cas pour tous au début CP) ; d’autre part, cela risque fort d’être insuffisant voire parasite pour accéder à la lecture « intelligente », rapide et compréhensive, qui fait majoritairement défaut aux faibles lecteurs de 6ème.

[D’après] Sylviane Valdois, orthophoniste et neuropsychologue, chargée de recherche au CNRS, travaille sur la dynamique d’acquisition des procédures de lecture, en particulier sur le passage de la procédure analytique (identification des mots par le déchiffrage) à la procédure lexicale (voie directe, procédure experte visée fin Cycle 2) [...d’un part] le déchiffrage n’est pas un préalable à l’apprentissage, d’autre part « la connaissance des correspondances entre graphèmes et phonèmes ne suffit pas à une maîtrise des mots écrits » . Si on y ajoute le fait que la lecture ne se résume pas à l’identification successive des mots mais exige des liens pertinents entre les mots au sein de la phrase ainsi qu’entre les phrases pour comprendre un texte, on comprend vite que le « remède » qui nous est proposé risque de ne guère aider les apprentis et les lecteurs précaires.

Qui sont ces « mauvais lecteurs » ?

Nos résultats sont-ils plus catastrophiques qu’ailleurs ? Les comparaisons internationales nous situent dans la moyenne, tout en remarquant qu’en France, la proportion de « mauvais lecteurs » est relativement modeste (8). Toutefois, en y regardant de plus près et sur la durée, on s’aperçoit que ces résultats globaux masquent une différenciation croissante entre les élèves, ce dont témoignent les évaluations CE2-6ème et la récente évaluation PISA (9).

Qui sont ces élèves faibles ? Toutes les recherches l’attestent, confortant l’expérience des enseignants aux divers niveaux : ce sont massivement les élèves d’origine modeste qui sont en difficulté face à l’écrit. Dans son étude sur les SEGPA, R. Goigoux relève que 97 % des faibles lecteurs sont issus de la catégorie socio-professionnelle la plus défavorisée (10). Selon les notes récentes de la DEP concernant les évaluations CE2 - 6ème, « en mathématiques comme en français, la variable la plus discriminante pour le score est la catégorie socio-professionnelle du chef de famille ».

On peut dès lors se poser la question : le problème est-il essentiellement pédagogique ? Quel impact les conditions de vie des familles démunies ont-elles sur leur rapport à la scolarité et à l’avenir ? Les sociologues sont de plus en plus nombreux à évoquer les « effets de contexte », qui jouent défavorablement quand il y a une moindre mixité sociale et scolaire. Il est toujours facile d’accuser l’école et les « méthodes modernes » quand on a laissé les quartiers difficiles à la dérive et les enseignants seuls au front et sans aide.

Les recettes du passé ont-elles de l’avenir ?

Pédagogiquement, c’est une voie d’impasse pour la majorité des chercheurs conséquents sur la question. Plusieurs décennies de travaux ont permis une évolution constante de la compréhension des difficultés et l’exploration des voies nouvelles pour l’apprentissage : c’est trop court de jeter l’anathème sur une « méthode globale » dont on reconnaît par ailleurs qu’elle n’existe pas, trop court de promouvoir une recette simpliste pour amener l’ensemble des élèves à une maîtrise satisfaisante de la lecture. Quant aux enseignants, [...] ils ont moins besoin de déclarations aux relents injustement accusateurs que d’un réel accompagnement dans leur difficile et ambitieuse mission.

Idéologiquement, ce retour à l’ordre ancien est compréhensible… Pour qui considère que de pauvres méthodes suffiront bien pour les enfants de pauvres, promis à l’apprentissage à 14 ans et destinés aux emplois déqualifiés.

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/2006/tribune_68_accueil.aspx
Page publiée le 03-02-2006

Par fgiroud , le vendredi 03 février 2006.


Lecture : vrai débat et fausses solutions (9) 

« [...]
« Pour moi, la conclusion de tout cela est limpide : l'apprentissage de la lecture doit commencer par le son et la syllabe. Il faut le dire clairement, nettement, explicitement et le faire savoir à l'ensemble du système éducatif. Cela, je le dis avec force, n'a jamais été fait. Les instructions ont jusqu'ici prêté à confusion ; elles sont demeurées ambiguës. »
G .De Robien
La méthode obligatoire
Roland Goigoux

Pourquoi jugez-vous la méthode syllabique inappropriée ?

Cette méthode repose exclusivement sur une démarche synthétique : elle va de l'étude des lettres à celle des syllabes écrites puis aux mots et aux phrases (cf. la circulaire du 3 janvier). À cette fin, elle considère la conscience phonémique comme un prérequis, ce qui pénalise une forte minorité d'élèves comme le confirment l'Observatoire national de la lecture et l'Inspection générale : "Les méthodes de lecture syllabiques traditionnelles qui partent de l'idée que p + a = pa est le point de départ de l'apprentissage de la lecture ne peuvent être retenues en l'état. [...] Cette prise de conscience phonémique est le résultat de l'enseignement qui est dispensé en grande section de maternelle, absente de la réflexion ministérielle, puis au cours préparatoire à travers des activités spécifiques d'analyse phonologique et d'écriture tâtonnée.

Ignorant tout cela, le ministre prend pour modèle la méthode syllabique Léo et Léa qu'il demande à tous les éditeurs scolaires d'imiter. Dans ce manuel, avatar moderne de la méthode Boscher, les textes soumis aux élèves sont exclusivement rédigés avec des mots constitués de syllabes connues. [...] Le vocabulaire choisi ne tient aucun compte du sens et de l'intérêt du texte pour les élèves, ni de leurs connaissances lexicales.

Dans la mesure où les méthodes syllabiques, dans leur souci de simplification extrême, confondent la lettre et le son, elles retardent l'étude des graphèmes complexes. Ainsi, dans Léo et Léa, le phonème /o/ est exclusivement associé à la lettre o jusqu'à la 41è leçon de l'année, obligeant les auteurs à fabriquer des pseudo récits tels que : «Léa sort le cheval. Faro le mord». [...] et à différer au troisième trimestre l'introduction de mots tels que beau, auto ou château.

Pire encore, de nombreux mots, parmi les plus fréquents du français ne sont jamais proposés aux élèves car ils sont irréguliers ou trop complexes du point de vue graphophonologique. Sur ce point aussi, les méthodes syllabiques sont en contradiction flagrante avec les programmes en vigueur qui demandent aux enseignants d'introduire des mots fréquents dès le début de l'année, «pour l'essentiel des mots outils» dont «la forme orthographique est mémorisée». Pas un seul «et», «dans» ou «un» dans les dix premières leçons de Léo et Léa ; pas une seule fois le verbe «être» conjugué au présent. Plus de la moitié des vingt mots les plus fréquents de la langue française n'est jamais lue au cours du premier trimestre.

Dans les méthodes syllabiques, plusieurs mois sont ainsi consacrés à l'étude de phrases simplement juxtaposées, loin des récits de la littérature pour la jeunesse que les élèves avaient l'habitude de travailler à l'école maternelle : tous les verbes sont au présent, on ne trouve pas de connecteurs, peu de substituts nominaux ou pronominaux, etc.

L'enseignement de la compréhension, pourtant exigé par les programmes, n'y est pas assuré. De manière plus générale, l'entrée dans la culture de l'écrit (ses oeuvres, ses codes linguistiques et ses pratiques sociales) est délaissée. L'accès au livre est réservé aux bons élèves, ceux qui ont terminé leurs exercices avant les autres. Les activités d'écriture (au sens de production de textes courts avec l'aide de l'enseignant) y sont absentes au début de l'apprentissage alors que les recherches indiquent leur importance pour tous les apprentissages langagiers, y compris celui du code alphabétique.

Pour toutes ces raisons, les instituteurs et professeurs des écoles ont abandonné les méthodes syllabiques pour les remplacer progressivement par des méthodes basées sur des progressions phonémiques que l'on peut qualifier d'intégratives car elles visent tous les apprentissages évoqués ci-dessus en interaction et tout au long du cycle 2.

Ces enseignants sont convaincus que l'école ne doit pas déléguer aux familles des pans entiers de l'enseignement si elle ne veut pas contribuer à accroître les inégalités sociales. Se limiter au B-A, BA est de ce point de vue tout aussi inacceptable que de ne pas le prendre sérieusement en charge.



André Ouzoulias

Il est pleinement connu du ministre de l'Education nationale, comme des professionnels de l'enseignement, que la quasi-totalité des enfants en grande difficulté en lecture au-delà du CP ont été instruits selon des méthodes syllabiques. Les difficultés en lecture ne relèvent pas toujours d'une identification malhabile des mots écrits, mais concernent au moins autant la compréhension des textes. La méthode idéovisuelle n'a été pratiquée, à partir de la fin des années 70, que par une toute petite minorité de maîtres et a quasiment disparu du paysage pédagogique. «la méthode syllabique pure» de M. Boscher n'avait pas la magie que lui prêtent ses partisans : à l'apogée de sa diffusion, au milieu des années 1960, plus de 30 % des enfants redoublaient le CP ! C'est également l'époque du «boum de la dyslexie».

Texte intégral : Libération 15/01/2006
« [...]
Alain Bentolila, membre de l’Observatoire National de la Lecture.
«Le cours préparatoire est un moment important et la méthode d’apprentissage compte. Mais affirmer que le problème de la lecture se réduit à cela ressemble à un slogan pour brosser les parents dans le sens du poil.»

Erik Orsenna (président de l’ONL) prévient :
«Si le ministre décide de suivre une politique contre ses experts, ....en tirerais toutes les conséquences. Sur un dossier aussi technique, il serait scandaleux de prendre la lecture des enfants en otage de combats idéologiques.»

Page publiée le 03-02-2006

Par fgiroud , le vendredi 03 février 2006. 

Lecture : vrai débat et fausses solutions (10) 

Pétition :«Apprentissage de la Lecture : Assez de polémiques, des réponses sérieuses !»
L’apprentissage de la lecture est un enjeu majeur, pour toute la scolarité d’un enfant comme pour sa vie d’adulte et de citoyen. Chaque enseignant, chaque parent y accorde à juste titre une grande importance.

Sur ce sujet trop souvent l’objet de polémiques stériles, les organisations syndicales, les organisations de parents d’élèves, les mouvements pédagogiques et les personnalités signataires tiennent à rappeler quelques éléments incontestables et proposent, que l’information des parents et des enseignants reste sur un terrain, qu’elle ne doit jamais quitter : celui de l’intérêt de l’enfant.

1. L’apprentissage de la lecture, ne relève pas seulement du cours préparatoire, et vouloir ramener la réussite ou l’échec de l’élève au seul choix de la méthode de lecture n’est pas sérieux. Certes, le CP est un maillon essentiel dans le processus d’apprentissage, mais le rôle de l’école maternelle qui prépare les enfants à une bonne maîtrise de la langue orale et du cycle 3 qui doit les mener à une bonne compréhension des textes est tout aussi important.

2. La méthode dite « globale », écartée par les programmes de l’école élémentaire de 2002, n’est pratiquement plus utilisée dans les écoles. La majorité des manuels de lecture enseignent les correspondances entre les lettres et les sons, dès les premiers jours du cours préparatoire.

3. La situation de l’école ne correspond pas à la description caricaturale qui en est faite.

Toutes les comparaisons internationales montrent que la France obtient des résultats similaires à ceux des pays voisins européens. Les jeunes n’éprouvent pas plus de difficultés que leurs aînés, au contraire : l’INSEE a dénombré 4% d’illettrés chez les 18-24 ans, mais 14% chez les 40-54 ans et 19% chez les 55-65 ans. Le déchiffrage n’est pas le principal problème des élèves en difficultés de lecture : si 4% d’élèves ne savent pas déchiffrer à l’entrée en 6ème, 11% ne comprennent pas les textes qui leur sont proposés bien qu’ils sachent déchiffrer.

Cependant, chacun s’accorde à considérer qu’il est aujourd’hui insupportable de ne pas maîtriser suffisamment l’écrit pour s’intégrer socialement et accéder à un emploi. Donc, l’école doit chercher à mieux faire réussir tous les élèves. Pour autant, il n’y a pas de recul ou de baisse du niveau, voire d’épidémie de dyslexie ! La Fédération des orthophonistes rappelle qu’aucune étude scientifique menée par des orthophonistes ne met en évidence un lien entre approche globale de la lecture et troubles de l’écrit.

4. Les travaux des chercheurs, comme l’expérience des enseignants, montrent que la « querelle des méthodes » est dépassée. Méthodes syllabique, globale ou mixte ont laissé place à de nouvelles pratiques forgées progressivement au cours des trente dernières années. Il ne s’agit pas des méthodes mixtes. Ces approches qui sont cohérentes avec les résultats des recherches scientifiques récentes, mettent en oeuvre simultanément la maîtrise du code et la compréhension.

5. L’apprentissage de la lecture ne se limite pas au déchiffrage et ne peut reposer exclusivement sur une approche syllabique. Réduire l’apprentissage de la lecture est simplificateur et mène ainsi l’école dans une impasse.

6. Nous considérons que les principaux éléments des programmes de l’école maternelle et élémentaire publiés en 2002 après de larges consultations conservent toute leur pertinence. Ils rappellent qu’« apprendre à lire, c’est apprendre à mettre en jeu en même temps deux activités très différentes : celle qui conduit à identifier des mots écrits, celle qui conduit à en comprendre la signification ». Ils ne se limitent pas au seul décodage et visent, dès le début du cycle 2, la compréhension des textes et l’accès au livre et à la culture écrite.

Les programmes de 2002 inscrivent les apprentissages du cycle 2 dans la continuité de ceux de l’école maternelle sur le langage oral, sur les habiletés phonologiques, sur le principe alphabétique et la familiarisation avec la langue écrite. Ils rappellent aussi que l’apprentissage de la lecture se poursuit au cours de l’école élémentaire et n’est pas achevé au début du collège.

Des difficultés demeurent. Il faut les réduire. L’apprentissage initial de la lecture peut et doit être amélioré. C’est en procédant à des recherches rigoureuses, en renforçant la formation et l’accompagnement des enseignants, en organisant une réelle évaluation du travail effectué dans les classes, en prenant en compte les différences de rythme de travail et d’apprentissage, en améliorant les conditions d’enseignement et d’apprentissage que l’école peut développer les compétences des élèves en lecture. C’est aussi par un effort de communication, entre l’école et les familles sur ce qui se fait réellement en classe, que l’école contribuera à créer un climat de confiance propice à la réussite des élèves.

C’est également en soutenant et en renforçant toutes les initiatives, en lien avec l’Ecole et les familles qui favorisent le goût pour le livre et la lecture : institutions et associations culturelles, bibliothèques et médiathèques, presse et médias de qualité pour la jeunesse.

Nous sommes bien loin des affirmations passéistes et approximatives de l’actuel ministre de l’Education Nationale.

http://www.snuipp.fr/article.php3?id_article=3019


Les organisations signataires :
- AGIEM (Association Générale des Institutrices en Ecole Maternelle)
- AIRDF (Association Internationale pour la recherche en didactique du français)
- CRAP (Cahiers Pédagogiques)
- ICEM (Institut Coopératif de l’Ecole Moderne)
- FCPE (Fédération des Conseils de Parents d’Elèves)
- GFEN (Groupe Français pour l’Education Nouvelle)
- LIGUE de l’ ENSEIGNEMENT
- SNUipp-FSU (Syndicat National Unitaire des Instituteurs
et Professeurs de Ecoles)
- SE-UNSA (Syndicat des Enseignants)
- SGEN-CFDT (Syndicat Général de l’Education Nationale)
- AFEF (Association française des enseignants de français)


Page publiée le 03-02-2006

Par fgiroud , le vendredi 03 février 2006.

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