6 novembre 2012

Lire et écrire en maternelle : après la grande section, la moyenne section (Bernard Devanne, 2007)


Lire et écrire en maternelle : après la grande section, la moyenne section 

Voici tout d'abord une brève synthèse des quatre réponses que j'ai obtenues des chercheurs suite à mon courrier de juin ; aucun des quatre ne fait référence au "Journal d'une grande section en ZEP", auquel j'invitais bien sûr chaque destinataire à se reporter.
  • Si l'une de ces réponses, très elliptique, ne retient de mon courrier que la bonne intention de "donner de la culture aux enfants", une autre, plus chaleureuse, souligne le fait que l'approche que je décris rejoint les travaux de certains chercheurs (notamment au Canada) qui montrent l'importance de la production d'écrit dans l'apprentissage de la lecture.
  • Concédant que mon approche par l'écriture n'est pas contredite par des données déjà recueillies, une troisième souligne néanmoins que, pour "guider l'action publique", on doit "se limiter aux résultats clairement validés dans la littérature scientifique internationale" (comprenons : seul est scientifiquement démontré le fait qu'il faut commencer par l'enseignement systématique des correspondances phonèmes-graphèmes).
  • Les propos suivants, extraits de la quatrième réponse, ne sont pas sans me poser problème : "On pourrait penser à vous lire que ces enfants n'ont pas bénéficié d'un enseignement systématique du déchiffrage. Je pense qu'il n'en est rien [...]". Je m'étonne que des chercheurs qui ont inspiré la modification des programmes d'enseignement de la lecture au CP puissent ignorer qu'en GS d'école maternelle, les programmes ont toujours exclu formellement tout enseignement systématique des procédures de décodage. La redoutable confusion entre enseignement et apprentissage s'étale une fois de plus au grand jour : ce "chercheur" ne semble pas envisager une seconde que des enfants puissent explorer l'écrit et construire des savoirs en amont de tout enseignement systématique et décontextualisé, tel qu'il est maintenant imposé au CP (idéologie à laquelle la question de la grammaire donne une brûlante actualité).
C'est pourquoi il m'a semblé important de saisir la nouvelle opportunité qui m'était offerte d'accompagner, cette fois-ci, un groupe d'enfants du début de la moyenne section jusqu'à la fin de la grande section, en juin 2008. Les interrogations de nombreux lecteurs devant les productions écrites reproduites dans le "Journal d'une grande section en ZEP", comme devant les compétences évaluées au mois de juin dernier, devraient ainsi trouver quelques éléments de réponse... Cette "chronique" sera trimestrielle, ce qui me permettra de mieux faire apparaître les continuités pédagogiques et les progrès et/ou les difficultés de chacun des enfants (surtout en ce début de MS où les progrès s'avèrent très lents pour quelques-uns d'entre eux).

La classe regroupe, comme l'an dernier, une vingtaine d'enfants de moyenne et grande sections. Je m'intéresserai donc aux seuls moyens, que je présente brièvement : initiale(s) des prénoms, sexe, mois de naissance (tous sont nés en 2002), origine géographique :

A. F mai Sri Lanka / Fr L. F janvier Fr
Ad. G août Fr M. G mai Fr
Ah. G juin Turquie (arrivée : sept. 06) N. G mars Turquie
B. F juillet Fr Ni. F novembre Laos
D. F juin Turquie S. F février Fr
K. F mai Fr


Les premières semaines de la moyenne section
Selon mon point de vue et celui de l'enseignante, l'intérêt majeur de cette chronique sera de montrer ce que peuvent construire sur deux années des enfants qui, à la différence des précédents, arrivent en moyenne section manifestement "démunis" :
- ils n'ont pas l'habitude d'écouter des histoires, se dispersent très vite ; corrélativement, ils n'ont aucune culture des albums ;
- ils n'ont pas conscience de la diversité des livres et des fonctions qu'ils remplissent - n'ont par exemple aucune idée de ce qu'est un documentaire, de ce qu'on peut y trouver, de l'organisation interne à laquelle il peut obéir ;
- ils ne donnent aucun sens aux situations proposées, ne se posent pas de question sur l'activité attendue à partir de tel support, oublient rapidement le but d'une recherche - par exemple, dans les premières situations d'écriture de septembre, quand ils ont repéré le nom d'une couleur, ils ne savent déjà plus à quelle fin ils l'ont recherché ;
- ils n'ont aucune pratique de l'écriture en capitales, ils n'ont pas été entraînés à écrire leur prénom.

Ecouter, lire, graphier, copier
Pour l'enseignante, l'une des priorités est que chaque enfant, dès les jours qui suivent la rentrée, commence à s'approprier les gestes graphiques de l'écriture en majuscules "bâton" : pour cela, chacun apprend les gestes graphiques de l'écriture de son prénom. Par ailleurs, dès le mois de septembre, les enfants choisissent chaque semaine un album qu'ils emportent à la maison : ils doivent en écrire le titre - qui est, sur une feuille libre, "rétabli" en lettres capitales en début d'année quand il ne figure pas sous cette forme sur la couverture. Les progrès de l'écriture sont d'ailleurs assez rapides pour plusieurs des enfants, ce qui montre qu'ils auraient pu être placés dans ces situations d'apprentissage dès la petite section (je rappelle que dans certains contextes familiaux, les enfants n'attendent pas d'avoir 4 ans pour construire ces compétences élémentaires).
Il faut également apprendre à écouter des histoires, avec pour objectif d'augmenter aussi rapidement que possible le temps de concentration. Voici les lectures d'albums de la première semaine (il faut y ajouter notamment des comptines) - lecture d'albums répétitifs, les plus favorables pour concentrer et prolonger l'attention des moyens, lecture d'autres ouvrages qui vont appuyer les activités d'écriture des grands dans cette première période : Pipiou dans son oeuf, Une amoureuse, c'est bien et la série "Les zigotos" de Benoît Charlat ; Même pas peur et La semaine d'Uki, de Claudia Bielinsky ; Paulette petite coquette de 100drine ; Bébécédaire de Bénédicte Guettier ; Hop! et Dans la maison du petit ver de Jean Maubille ; Mon doudou de Dominique Peysson ; Tous les loups de Bisinski et Sanders ; Papa dort et Papa se rase d'Alain Le Saux ; Papa trop de Michel Gay ; Papa ! de Philippe Corentin et une dizaine d'albums d'Edouard Manceau, Toc la poule, Tic-Tic la girafe, Poum la baleine, etc. (E. Manceau étant intervenu dans l'école au printemps dernier, beaucoup de ses albums ont été "fréquentés" par les enfants de PS à cette occasion).
Différentes situations de lecture sont proposées sur un rythme soutenu, la plupart d'inspiration tout à fait classique mais rarement mises en oeuvre dès les premiers jours de la moyenne section. En voici quelques exemples :
- repérer "PAPA" dans les textes répétitifs des deux albums d'Alain Le Saux ;
- dans le texte dactylographié de Dans la maison du petit ver, surligner la couleur qui se répète ;
- surligner d'une couleur différente les prénoms de quelques enfants de la classe (chaque prénom est répété plusieurs fois, de façon aléatoire, sur la feuille A4) ;
- associer des noms d'animaux aux vignettes "images + mots" distribuées séparément ;
- en s'aidant des titres des livres d'Edouard Manceau, compléter la liste des noms des animaux - ex : POUM ........ [LA BALEINE].

Lire-écrire... Ecrire-lire
Par "activités d'écriture", j'entendrai constamment des activités qui ne consistent pas en "copie", même problématique et "active" au plan cognitif (par exemple, retrouver et replacer les "bons mots" aux "bons endroits", comme dans l'exemple précédent), mais qui impliquent des prises d'initiative de chacun, un projet personnel : en activité d'écriture, il y a donc autant de productions qu'il y a d'enfants. Durant ces deux mois, les productions sont toutes réalisées en majuscules "bâton", seule forme graphique à laquelle les enfants peuvent accéder pour l'instant (et pour quelques-uns, ce n'est pas sans difficulté). Voici quelques exemples des situations proposées.
  • A partir de la question répétée Que regardent les vaches dans le pré ? (titre d'un album de Sylvain Victor) et des réponses proposées, compléter chaque énoncé par l'un des prénoms des enfants de la classe - exemples : "........ regarde les nuages passer / ........ regarde les motos passer".
  • Après avoir choisi un animal dans un imagier, recopier son nom et ajouter une couleur, puis recommencer avec une nouvelle couleur - les enfants produisent donc des écrits de dimensions variables.
  • A partir de l'album numérique Il n'y a plus de dodos, ajouter une couleur à la suite du nom de chaque animal : 1 TIGRE ........
  • Compléter par des prénoms la structure ........ AIME LE [+ couleur] ; Ecrire pour chaque animal de la série des albums d'Edouard Manceau, et après feuilletage de l'album correspondant, une ou deux couleurs, sur la structure suivante :
    • pour les moins avancés, POUM AIME LE ........ : N. réussit assez bien [DOC 1], mais M. en est encore bien loin [DOC 2] ;
    • ou, plus difficile, POUM AIME LE ........ ET LE ........ , ce qui ne pose pas de problème à D. [DOC 3].

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DOC 1 DOC 2
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DOC 3

  • Le choix d'inscrire beaucoup d'activités dans des contextes peu nombreux et bien circonscrits (les couleurs, les animaux) vise à aider chacun à se familiariser avec les premiers éléments d'une méthodologie et à se l'approprier progressivement - notamment dans le va-et-vient entre lecture et écriture : que chercher ? où chercher ? pour quoi faire ? etc.
  • Dans le même esprit, un cahier de références est mis en place dès le mois d'octobre : les enfants vont apprendre à y retrouver les outils dont ils ont besoin : ce sont dans un premier temps les noms de couleur, la bande numérique, l'alphabet, puis des textes de comptines et de chansons.


Les mois de novembre et décembre
Dès la rentrée de novembre est lancé un projet de production d'albums à compter, qui prend des formes plus ou moins complexes selon qu'il concerne les moyens ou les grands. Les albums, qui seront réalisés par petits groupes, seront tous construits sur une structure répétitive : pour les moyens, ce sera "comptine numérique + nom d'un unique animal + couleur" (pour les grands, "comptine numérique + nom d'un animal chaque fois différent + localisation géographique"). L'implication des enfants de grande section dans ce projet "contamine" rapidement les moyens qui attribuent dès ce moment, et de façon visible, du sens aux situations qui leur sont proposées : par exemple, plusieurs se souviennent d'un jour sur l'autre de l'animal qu'ils ont choisi - cette mémoire leur était, je le rappelle, parfaitement étrangère jusqu'en octobre. (Je signale, sans développer ce point, que les productions des grands dépassent pour certaines d'entre elles, dès le mois de novembre, le nombre 10 : [...] "10 harpies féroces en Argentine / 11 tamarins au Pérou / 12 pumas au Brésil" - pour cette production, l'enfant s'est appuyé exclusivement sur une faune d'Amérique du Sud.)



Ecouter, lire, graphier, copier
L'habitude de l'écoute progresse : prenant le relais des grands, certains moyens (D. notamment) commencent à repérer les rimes lors de lectures de comptines. Ils participent aux recherches de rimes orales sur le modèle de "dans mon corbillon" (les grands prolongent ces recherches par des essais d'écriture au tableau).
Les situations de lecture gagnent en complexité (de façon très progressive), en ménageant toujours la possibilité de plusieurs "niveaux de réussite" :
- découper et regrouper en 2 séries les extraits mélangés de C'est méchant ! et C'est dangereux ! , deux albums de Pittau et Gervais (ex. : "Faire pipi sur les fleurs... c'est méchant !" / "Grimper sur les étagères... c'est dangereux !") ;
- retrouver les noms de couleur dans des titres de contes ou d'albums reproduits en capitales (sur A4) : Chien bleu, Tout vert, tout rouge, etc. ;
- associer des titres d'albums aux reproductions de couvertures (les typographies proposées sont différentes) ;
- compléter une information tronquée - la salamandre de ........ - en retrouvant dans un "texte long" l'énoncé original (la série "[animal] de + [prénom]" est la compilation de productions écrites individuelles précédentes).
A la différence de l'écriture en majuscules "bâton", l'écriture cursive implique la maîtrise de tracés complexes et une réelle fluidité gestuelle : c'est pourquoi dès cette période les enfants pratiquent, dans le cadre de l'éducation esthétique, des activités plus spécifiquement graphiques - calligraphies abstraites aux mouvements complexes, inspirées de reproductions affichées dans la classe, et réalisées avec des "traceurs" variés.


Lire-écrire... Ecrire-lire
L'écriture de l'album est quotidiennement reprise pendant plusieurs jours pour que chacun puisse parvenir à la comptine numérique la plus ample possible - par exemple : 1 éléphant bleu / 2 éléphants roses /...". Ces productions impliquent des recherches dans des documentaires afin que chaque enfant puisse déterminer l'animal de son choix. Pour les enfants à qui l'écriture oppose le plus de résistance, l'enseignante reproduit sur feuille libre les noms choisis en capitales : c'est le cas pour N. [DOC 4]. Certains cependant commencent à écrire en cursive : ils ont dès ce moment à leur disposition des alphabets présentant en parallèle les différents "systèmes graphiques" d'usage quotidien (majuscules et minuscules d'imprimerie, majuscules et minuscules cursives). S. commence à s'en servir de façon efficace [DOC 5].

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DOC 4 DOC 5

Le 14 décembre, une situation enregistrée en video permet d'observer plus précisément les stratégies d'écriture de chacun de ces enfants en cette fin de premier trimestre. L'activité proposée est inspirée de l'album Même pas peur, lu dès la première semaine (voir plus haut) et souvent repris avec plaisir. Le document remis à chaque enfant est :
  • soit proposé en capitales, c'est le cas pour Ah., dont l'écrit s'améliore au fil des lignes [DOC 6], ou pour M., qui a sensiblement progressé depuis octobre [DOC 7].
  • soit proposé en écriture cursive, comme c'est le cas pour D. ou, dans l'exemple reproduit, pour S. [DOC 8] :
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Des albums et des documentaires ont été réunis dans un bac à proximité des moyens ; ceux-ci vont choisir et rapporter à leurs tables, entre autres :
- les albums Victor et la sorcière d'Olga Lecaye, Une histoire à faire peur de M.G. Jullien et F. Muller, Bouh la petite bête d'Antonin Louchard, Squelette hoquette de M. Cuyler et S. D. Schindler ;
- les documentaires Insectes araignées serpents (Ed. Seine), Animaux qui piquent (Hachette jeunesse), Dans la nuit (Mango), Les quatre saisons du renard roux de H. Imazu et T. Kanzawa, etc.
  • " A l'exception d'A. qui a encore beaucoup de mal à rester "dans l'activité" pendant plus de quelques minutes, tous les moyens donnent la preuve que la pratique de l'écriture d'"invention" fait maintenant sens pour eux, qu'elle est génératrice d'engagement et, pour certains, d'un plaisir immédiatement lisible dans leurs attitudes.
  • " La majorité d'entre eux, qui éprouvent encore des difficultés à tracer les caractères "bâton", font un effort manifeste pour y parvenir, même si certains résultats sont encore problématiques (caractères à l'envers, tracés approximatifs).
  • " Certaines interactions révèlent la qualité des représentations de l'écrit dès maintenant construites par les plus avancés. S. cherche à écrire "sorcière", personnage qui illustre la couverture d'Une histoire à faire peur. D., sa voisine, dit après avoir repéré l'image : "Oui, ça fait peur !" ; puis, regardant le titre (l'album est bien connu des enfants), elle ajoute : "C'est pas la sorcière..." et, en suivant du doigt les mots du titre à l'adresse de S. : "Une histoire à peur ! Une histoire à peur !"


Bref bilan de ce premier trimestre
Des comportements en évolution, des compétences encore fragiles
  • La capacité individuelle des enfants à se concentrer pour écouter les lectures magistrales progresse régulièrement à partir du mois d'octobre.
  • Le matin, à l'image de l'enseignante qui lit des albums, des documentaires, des comptines..., des enfants plus nombreux osent lire devant le groupe l'album qu'ils ont choisi.
  • Les énoncés répétitifs dans les textes écrits sont maintenant repérés et surlignés assez rapidement et avec peu d'erreurs.
  • B., D., L., N., S. commencent à rechercher avec méthode les livres dont ils ont besoin, à consulter spontanément le cahier de références et y retrouver ce qu'ils y cherchent.
  • D. et S., qui écrivent maintenant en cursive, manifestent simultanément une autonomie croissante dans leur rapport à l'écriture.
  • Ni. et Ah., qui sont au contraire "partis de très loin", ont régulièrement progressé tout au long du trimestre.

Des difficultés manifestes pour plusieurs d'entre eux
  • A., Ad., M., K. ont encore beaucoup de mal à se représenter les contraintes propres à l'écrit à produire et à mettre en oeuvre les procédures susceptibles de les aider à "traiter" le problème posé.
  • Ils éprouvent de réelles difficultés à entrer en activité de façon autonome : pour l'instant, la présence de l'enseignante est indispensable pour cadrer, pendant les premières minutes, la situation spécifique et le travail attendu.
  • Leurs tracés des majuscules "bâton" sont encore très aléatoires et la lecture de leurs écrits par l'adulte n'est possible que de façon très fragmentaire.
  • K., qui est arrivée dans l'école fin novembre et qui n'avait jusqu'alors jamais écrit, commence à savoir repérer "quoi écrire" mais ne parvient pas à en reproduire la suite graphique - lettres oubliées, lettres en désordre, lettres répétées de façon aléatoire...
D'une façon plus générale, beaucoup de ces enfants ont, dès ce premier trimestre de moyenne section, établi un rapport "naturel" à la chose écrite, qu'il s'agisse de la fréquentation des albums, des premiers repérages qu'ils y opèrent, de la pratique d'activités d'écriture qui ne provoque aucun découragement de leur part ou même qui, pour quelques-uns d'entre eux, est déjà l'occasion d'implications attentives entre écrits à produire et supports de référence. Nous suivrons tout particulièrement au deuxième trimestre les progrès des quatre enfants qui manifestent pour l'instant les plus lisibles "difficultés d'apprentissage".


Bernard Devanne,
professeur à l'IUFM de Basse-Normandie

Lire et écrire en maternelle : un deuxième trimestre en moyenne section 

Bernard Devanne

Pour lire le début de ce dossier
Lire et écrire en maternelle, après la grande section, la moyenne section (2006-2007) : Janvier 2007 : bilan du 1er trimestre
La suite : 

Dans l’académie de Caen, ce deuxième trimestre est relativement court : 5 semaines du 8 janvier au 9 février, 5 semaines à nouveau du 26 février au 30 mars.
C’est pourquoi je ne distinguerai pas ces deux périodes : les progrès des enfants, sensibles pour la plupart d’entre eux, ne sont lisibles qu’à l’échelle du trimestre (certains enfants de grande section, au contraire, franchissent sur de brèves périodes des caps importants dans la maîtrise du lire-écrire).


Des pratiques culturelles dans « l’espace-livres »
L’habitude d’écouter chaque matin des histoires longues s’installe progressivement : l’enseignante donne beaucoup d’importance à cette capacité de concentration, en progrès – très relatif pour certains – à la fin du premier trimestre. Pour alimenter par ailleurs l’élaboration de références culturelles de qualité, elle propose de nombreux contes traditionnels, ainsi que des "classiques" de Grimm ou de Perrault.
Ces lectures marquent les enfants au point qu’elles déterminent le fil conducteur de l’un des albums à compter des GS, Compte les animaux des contes : « 1 chauve-souris chez le Petit Chaperon Rouge, 2 méduses chez la Princesse au Petit Pois, 3 citrons [= papillons] chez le Bonhomme de Pain d’Épices, 4 tamarins chez la Barbe-Bleue, 5 paresseux chez Hansel et Gretel, 6 tamanoirs chez Boucle d’Or, 7 oryctéropes chez le Petit Poucet, 8 tatous chez les Sept Chevreaux… »
On n’oubliera pas que lire, lorsqu’il s’agit d’un album, ce peut être d’abord faire du sens avec les illustrations des ouvrages présentés pour la première fois. Ainsi, la découverte de quelques illustrations (jugées "problématiques" par l’enseignante, qui neutralisent de plus la chronologie) de la version d’Anthony Browne d’Hansel et Gretel conduit-elle à identifier – plus rapidement qu’attendu ! – le conte de référence, les enfants confirmant ensuite leur première intuition par le rappel du récit au fil du feuilletage linéaire de l’album. Et si l’essentiel des prises de parole est bien sûr dû aux enfants de grande section, le silence relatif des moyens est pour eux l’occasion d’apprécier la nature de l’"activité langagière" attendue lors d’une telle présentation.
À l’image des grands, qui commencent à relire des albums assez consistants devant les autres, les moyens prennent plus d’initiatives en ce sens : ils y sont encouragés par l’enseignante, qui recadre les choix lorsque les albums choisis ne sont pas suffisamment répétitifs. Ceux qui "osent" pour la première fois restent souvent muets, ce sont les autres qui rappellent le texte à leur place quand ils tournent les pages : pour eux, une étape importante est néanmoins franchie.


La réalisation individuelle d’un album à compter
Le projet d’écriture d’albums à compter se termine : les enfants y ont maintenu une réelle implication de bout en bout, malgré l’étirement dans le temps qui l’a caractérisé (une dizaine de semaines effectives). Je rappelle qu’il s’agit, pour les moyens, d’une production individuelle (les grands élaborant des albums plus complexes par petits groupes) : chacun doit donc, après la création du texte, procéder à la mise au propre et réaliser la composition plastique de chaque double page.
Au fil des semaines, de nouvelles lectures d’albums à compter, comme Dix grenouilles de Quentin Blake (Gallimard Junior), 1,2,3 dans l’arbre d’Anushka Ravishangar (Actes Sud Junior), Un pour l’escargot, dix pour le crabe (Kaléidoscope), permettent à chaque fois d’établir des comparaisons avec ceux qui ont été précédemment lus :
- comparaisons sur les différentes présentations des chaînes numériques, les mises en texte ;
- comparaisons sur la mise en page de chaque album, la composition de la double page, la typographie, les techniques plastiques utilisées.

Le temps consacré à l’élaboration de ces albums s’explique parce qu’il s’est agi, pour les moyens comme pour les grands, de reprendre des écrits de façon différée, de les évaluer, donc de procéder à des essais successifs : dans la phase d’élaboration finale, chacun recommence jusqu’à ce que les énoncés soient reproduits sans erreur. Ces nombreux moments où les enfants doivent "graphier" et "copier" prolongent les activités présentées sous le titre "graphier, copier" au premier trimestre ; ce ne sont évidemment pas les seuls, des activités calligraphiques poursuivant l’entraînement à la maîtrise des tracés de l’écriture cursive.
Il faut également imaginer la couverture, les pages de garde, les écrits spécifiques à reporter sur la couverture et la page intérieure de titre ; or, comprendre la "fonctionnalité" du titre puis en imaginer un, expliciter la notion d’auteur, sont des élaborations cognitives qui, pour des moyens, présentent de réelles difficultés.

Des activités variées de lecture-écriture
Très "naturellement", la production des albums rend possible, à diverses reprises, la mise en œuvre d’activités de relecture autonomes :
- chaque enfant peut retrouver son propre texte ou celui d’un autre, puisqu’il est capable d’y repérer le prénom ; en principe, il peut aussi en retrouver le sens et même la littéralité du texte (chaîne numérique + répétition du nom de l’animal choisi + couleur) sans l’intervention de l’enseignant ;
- à d’autres moments, les enfants ont à compléter un texte communiqué sous forme tronquée (celui d’un autre) ; après avoir rétabli la ligne manquante (par exemple, "3 salamandres vertes"), ils poursuivent l’énumération là où leur camarade l’a interrompue (par exemple, "6 salamandres roses") : ils rencontrent ainsi différents animaux, dont la reprise de l’écriture du nom constitue un bon entraînement graphique en situation.

D’autres d’activités articulant de façon étroite, comme au premier trimestre, la lecture et l’écriture, sont proposées sur un rythme régulier en alternance avec les séances consacrées à l’élaboration des albums à compter. En voici quelques exemples (certaines de ces activités sont spécifiques aux moyens, d’autres, avec certains aménagements, sont également proposées aux grands).
À partir des albums de Tony Ross Je veux un chat (Mijade) et Je veux une petite soeur (Gallimard, Folio benjamin), plusieurs situations sont proposées sur 2 semaines, un jour sur deux, en alternance avec d’autres activités d’écriture :
- trouver les moyens d’écrire la séquence répétitive je veux + nom d’un animal ;
- à partir des textes recopiés, reconnaître qui en sont les auteurs, puis poursuivre l’énumération commencée par un autre (second exemple d’une production "interactive") ;
- élaborer un énoncé plus complexe, incluant des adjectifs - par exemple, "je veux un petit ouistiti vert" - en s’appuyant sur la forme répétitive de l’album Un petit quoi ? d’Isabelle Carrier (Casterman) ;
- reconnaître les textes maintenant typographiés, retrouver les couleurs, localiser par surlignage les reprises de la formule "je veux".

Lecture de menus et prise de repères
- transcrire un menu en cursive ; cette activité sera reprise car elle présente de réelles difficultés : organisation de l’espace, disposition du menu et de la date ;
- inventer un menu (la contrainte de la composition du menu - entrée, plat, dessert - ne leur est pas imposée, à la différence des grands ; néanmoins, l’activité ne prend vraiment sens que pour ceux qui fréquentent le restaurant scolaire, les autres mangeant parfois un plat unique) ;

Imaginer, à partir d’imagiers ou de photocopies, un texte répétitif sur la structure "Prénom d’enfant (de l’école, ou frère ou sœur) + AIME + aliment : dans cette situation, les enfants recherchent réellement des aliments qui peuvent convenir, ne serait-ce que parce qu’ils correspondent à leurs propres goûts : chocolat, frites... (cette situation est proposée fin janvier).
doc 1

doc 2 
Parmi les cinq enfants qui pratiquent maintenant l’écriture cursive, D. (doc.1) et L. (doc.2) ont écrit les textes les plus longs :
- les tracés cursifs de D. sont encore très approximatifs et sa copie est mal assurée (voir la "décomposition" de aime au fil des lignes) ; D. ne réussit pas encore à "convertir" les caractères imprimés de son imagier en alphabet cursif (seuls les prénoms sont écrits en cursive) ou, plus vraisemblablement, elle ne prend pas le temps de consulter sa fiche de correspondance (cf. premier trimestre) pour être celle qui aura écrit "le plus"... ;
- L. maîtrise beaucoup mieux l’écriture cursive à la fois dans la réalisation purement graphique et dans sa capacité à assurer la conversion avec adresse (le lait, le yaourt), dès ce moment sans se référer à sa fiche de correspondance (elle n’y aura donc eu recours que pendant quelques semaines).

 doc 3
Ceux qui écrivent encore en majuscules bâton disposent d’une feuille assurant un plus fort guidage. Ici, Ah. (doc.3), après avoir écrit les prénoms en majuscules, reproduit comme D. les caractères imprimés ; s’il écrit deux fois la pomme en cursive, c’est parce que l’imagier qu’il a alors dans les mains se présente ainsi (on le voit néanmoins, cette première tentative est assez réussie).
Il faut souligner que, si les activités articulant lecture et écriture constituent le cœur de la démarche, elles sont renforcées par d’autres situations visant à exercer, plus spécifiquement, les compétences de lecture - par exemple au mois de mars :
- repérer des mots semblables dans des titres d’albums lus : Loup y-es-tu ?, Docteur loup, Arc-en-chat, Le chat botté, etc.;
- repérer dans une liste et classer ensuite dans un tableau : des prénoms, des couleurs, les jours de la semaine ;
- dans des recettes, après s’être familiarisé avec l’organisation textuelle, repérer les ingrédients de la liste dans le texte lui-même ;
- classer par ordre alphabétique des mots donnés, puis des mots trouvés en autonomie, etc.

Pendant ces mêmes semaines, les situations de lecture-écriture s’inspirent de différents albums répétitifs, entre autres :
- à partir de l’album de Bénédicte Guettier Je m’habille et je te croque (variation sur Loup y-es-tu ? L’école des loisirs), continuer à apprêter le personnage - par exemple, "je mets mes boucles d’oreilles rouges" ;
- à partir de l’album d’Anne Gutman Los colores (Juventud, collection Mira mira) - "J’ai un papa bleu... Je suis une baleine." -, imaginer des énoncés du même type avec le support d’images d’animaux suffisamment caractéristiques ;
- à partir de l’album d’Alain Le Saux La maîtresse n’aime pas (Rivages), lister les "interdits" de la classe : ainsi, l’interdit imaginaire "la maîtresse n’aime pas qu’on mange des hamburgers" peut-il être écrit en autonomie, alors que l’interdit bien réel "la maîtresse n’aime pas qu’on jette les livres" suppose l’intervention de l’adulte.


Une séance filmée et analysée
Le 22 mars, une situation enregistrée en vidéo permet d’observer plus précisément les progrès dans l’organisation et la gestion des va-et-vient lecture / écriture de chacun de ces enfants en cette fin de deuxième trimestre. L’activité proposée est inspirée de l’album Pourquoi les zèbres sont-ils en pyjama ?, de Lila Prap (Circonflexe), dont la lecture prolonge celle d’Il ne faut pas habiller les animaux, de J. et R. Barrett (L’école des loisirs). Il s’agit d’écrire un texte répétitif sur la structure "pourquoi + animal + a + vêtement + couleur ?" (Pour les GS, la construction interrogative a-t-il est attendue, et elle devient même rapidement d’un usage spontané à l’oral, dans le contexte spécifique de cette activité d’écriture).

Dans cette situation, chacun doit s’organiser pour choisir dans des livres :
- d’une part, un animal - des documentaires de complexité diverse sont à disposition sur les tables : l’album le Zoo des z’enfants de Tana Hoban (Kaléidoscope), la collection "Les animinis" (Milan), - Sur la banquise, Dans la nuit... -, des encyclopédies comme Tous les mammifères du monde (Milan), etc.
- d’autre part, un vêtement - des imagiers sont également disponibles : Mon premier imagier du corps et des vêtements (Maxi-livres), Des mots en images (Nathan), Le grand imagier Mes premières découvertes (Gallimard), etc.

doc 4 
Les enfants sont sensibles à la dimension humoristique des énoncés produits. L’écrit de N. (doc.4) mérite d’être commenté sur plusieurs plans :
- il fait apparaître la difficulté des enfants de cet âge à dépasser une représentation "dessinée" de l’écriture - voir le point sur le i de hibou, la boucle du second r de marron -, comme celle de ne rien oublier au moment de la copie - voir pourqu ;
- il montre également la complexité du problème à résoudre dans la production de l’énoncé imaginé, "pourquoi la chauve-souris l a une les bottes bleu" : choisir l’animal dans un livre et le recopier, poursuivre l’énoncé en n’oubliant pas de s’"arrêter" avant le déterminant, choisir un vêtement (avec son déterminant) sur un autre support, enfin choisir une couleur toujours différente... ; une telle stratégie complexe d’écriture suppose, pour être maîtrisée, la répétition suffisamment fréquente de situations analogues ;
- le détour par la structure orale "pourquoi la chauve souris elle a..." conduit N. à résoudre le problème posé en recourant à la lettre "l", prononcée bien sûr [El] ; voilà qui en dit long sur la connaissance de la langue écrite que certains ont déjà construite, et sur leur capacité naissante à inventer des solutions à leurs problèmes d’écriture.

doc 5

 doc 6
Parmi les cinq enfants qui écrivent encore en majuscules bâton, les écrits de Ni. (doc.5) et d’Ad. (doc.6) traduisent deux "profils d’apprentissage" différents :
- Ni. progresse régulièrement, mais ses absences répétées du premier trimestre ont retardé ses apprentissages ; dans les phrases "pourquoi le pingouin a une culotte rose" et "pourquoi le panda a un pyjama violet", on peut noter que les difficultés principales se concentrent sur les termes désignant les vêtements, imprimés en minuscules dans l’imagier qu’elle utilise ;
- Ad., qui fréquente l’école avec assiduité, a encore besoin d’un accompagnement soutenu pendant sa recherche ; ses difficultés d’écriture - largement dues à sa nervosité - ne se résorbent pas encore : si l’on peut lire "pourquoi le panda a un short vert", il est difficile de lire "pourquoi moustiques a une robe bleu le" (la présence de "le" en fin de phrase s’explique par l’intervention de la maîtresse "tu as oublié le, le moustique"...) ;
- Ni. et Ad. ne disposent pas encore d’une fiche de correspondance, qu’ils ne sauraient pour l’instant utiliser ; l’enseignante est de ce fait régulièrement conduite à faire elle-même la "conversion" des minuscules d’imprimerie en majuscules bâton, que l’enfant n’a plus qu’à reproduire : faut-il se résoudre, pour eux et pendant la période la plus brève possible, à limiter leur recherche dans les imagiers composés en majuscules ?
De façon plus générale, le visionnement de cette séance fait apparaître des acquis importants pour la totalité des moyens :
- ils maîtrisent l’identification et le surlignage d’énoncés répétitifs, qu’il s’agisse de mots seuls ou de groupes de mots ;
- ils se souviennent du mot qu’ils sont en train d’écrire ; s’ils s’arrêtent (s’intéressent à autre chose), ils le retrouvent et en reprennent la copie "au bon endroit" ;
- ils demeurent de façon visible "dans l’activité" et savent quoi chercher, même ceux qui ont encore besoin d’un accompagnement pour organiser leur recherche ; les autres font preuve d’autonomie, notamment lorsqu’il s’agit de chercher dans les imagiers maintenant familiers.


Quel bilan au terme de ce deuxième trimestre ?
Des progrès appréciables
- Grâce, notamment, à l’écriture des albums à compter qui, mettant en scène des animaux, impliquent des recherches dans des documentaires, les enfants ont intégré la fonction de ce types d’ouvrages, ont appris à les ranger dans des bacs spécifiques, ainsi d’ailleurs que les imagiers ; en revanche, le rangement des recueils de contes n’est pas encore clairement identifié par plusieurs des enfants de la moyenne section.
- Le matin à l’accueil, ils sont plus nombreux à aller spontanément vers les tables sur lesquelles sont déposées des feuilles : ils recopient des énoncés affichés (les jours de la semaine, "je veux un singe"...) ou même reprennent de leur propre initiative telle idée d’écriture précédemment proposée (par exemple, "pourquoi... ?").
- Certains d’entre eux, qui écrivaient en janvier en capitales, sont passés à l’écriture cursive avec feuille de correspondance, et n’en ont déjà plus besoin ; en fin de trimestre, L., D., N., B., S. maîtrisent donc la transposition en cursive de façon "automatisée" ;
- Tous entrent maintenant en activité, selon des rythmes évidemment différents : ils savent ce qu’ils doivent faire dans la situation proposée, et ont appris à s’y tenir. Certains anticipent maintenant les consignes implicites des documents distribués et peuvent se mettre spontanément au travail (L.), voire même "se dépasser" au contact des grands lorsque la situation d’écriture proposée est identique (D., B.).
- Ils peuvent tous reproduire une phrase en autonomie, ce que M. et A. ne parvenaient pas à faire précédemment : ils "perdaient le fil" de leur copie si on ne leur resituait pas précisément, dans le mot, l’endroit précis où ils se trouvaient.
- Même si des difficultés proprement graphiques persistent chez certains, la notion de mot (séparer par exemple les mots en recopiant un titre) est acquise, ainsi que celle de la permanence de l’écrit (par exemple, revenir à la ligne quand on n’a plus de place, alors que l’original n’occupe qu’une ligne).
- La capacité de concentration, en situation d’écoute dans l’espace-livres comme pendant les activités aux tables, augmente de façon régulière.

Pour quelques-uns, des progrès... et des difficultés persistantes
J’indiquais en janvier mon intention de suivre plus précisément les progrès des quatre enfants qui manifestaient alors les plus lisibles "difficultés d’apprentissage".
- K., qui a appris à se concentrer dans ses recherches, commence à repérer les mots dont elle a besoin ; ses tracés graphiques sont encore approximatifs ; elle a adopté un comportement très volontariste : elle "lit" tous les matins un livre au groupe, et elle sait choisir des albums suffisamment répétitifs pour y parvenir.
- A. a accompli des progrès appréciables, remarqués notamment en fin de trimestre : elle réussit à s’impliquer dans les activités, elle est plus à l’aise tant dans la recherche des mots que dans la production graphique.
- Ad., dont les difficultés tenaient aussi à des problèmes de prononciation et à un déficit langagier (syntaxe et vocabulaire), progresse de façon notable sur ces plans-là : il lit maintenant des livres devant les autres de façon à peu près compréhensible et comprend mieux les énoncés complexes des albums présentés ; cependant, ses difficultés de concentration persistent en situation de lecture-écriture, il a toujours du mal à se repérer sur sa feuille et ne progresse pas dans la maîtrise des tracés (en capitales).
- M., qui au début de l’année présentait un profil comparable à celui d’Ad., a lui gagné en autonomie : une fois la situation bien cadrée, il réussit à prendre des initiatives d’écriture ; il a également réalisé des progrès dans les tracés, mais n’est pas pour autant prêt à passer à l’écriture cursive.

Les apprentissages de deux autres enfants sont pour l’instant "retardés", bien qu’ils progressent de façon régulière à l’écrit :
- pour Ni., son immaturité - elle est, nous l’avons dit, du mois de novembre - fait qu’elle demeure en retrait, participant très peu à la communication, même en petit groupe ; elle sait néanmoins se montrer très concentrée en situation de lecture-écriture ;
- pour Ah., arrivé en France en septembre 2006, son peu de maîtrise de la langue française est encore un lourd handicap lors de la lecture magistrale d’albums (et plus encore de contes) : il n’accroche pour l’instant qu’aux constructions fortement répétitives ; il va sans dire qu’il n’est pas encore capable de participer aux échanges oraux.
Je publierai le compte-rendu du troisième trimestre à la rentrée de septembre, ce qui sera l’occasion, toutes énergies retrouvées, de relancer la réflexion sur les enjeux d’apprentissage de l’école maternelle dans le sens de la réussite de tous... en pensant à tous ces enfants de CP auxquels on imposera, dès la même période, une longue expérience de l’insignifiance, l’enseignement préalable et systématique de la combinatoire.

Bernard DEVANNE,
Professeur à l’IUFM de Basse-Normandie


Les contributions de B. Devanne sur la lecture au primaire

Lire et écrire en maternelle, après la grande section, la moyenne section (2006-2007)
- Janvier 2007 : bilan du 1er trimestre

Lire et écrire en maternelle, journal d’une grande section en ZEP (2005-2006)
- Mai 2006


Lire et écrire en maternelle : un troisième trimestre en moyenne section 

B. DevanneBernard Devanne


Pour lire le début de ce dossier
Lire et écrire en maternelle, après la grande section, la moyenne section (2006-2007) :


Ce troisième trimestre est rarement celui d'une transformation profonde des attitudes ou des résultats scolaires. Les enfants de moyenne section en donnent une nouvelle illustration : ceux qui ont précédemment beaucoup progressé confirment leurs progrès, d'autres avancent plus lentement... Après l'évocation des activités du trimestre et le bilan de fin d'année, la parution de cette chronique en ces jours de rentrée est l'occasion de préciser le projet pédagogique « langue écrite » qui va être mis en oeuvre avec ces enfants, maintenant en grande section.

 
Des pratiques culturelles dans "l'espace-livres"

Je rappelle que le premier moment de chaque matinée est l'occasion, avec toute la classe, de lectures en réseaux : ce sont plutôt les grands qui « mènent le jeu » ; l'après-midi, entre 14h et 15h15, le décloisonnement permet de travailler avec le groupe restreint des moyens, ce qui favorise pour chacun d'eux à la fois les prises d'initiatives et les prises de parole.

Voici quelques-uns des titres proposés à la découverte des seuls moyens l'après-midi :
       – Caca boudin et Au loup, de Stéphanie Blake (L'école des loisirs), le second album sollicitant des comparaisons spontanées avec le premier, qui prennent la forme d’une « lecture croisée » ;
       – Dis-moi, de Antje Damm (Kaléidoscope) qui propose plus de 100 questions comme « Que fais-tu quand tu t'ennuies ? », « Si tu étais roi ou reine, que changerais-tu ? » : c'est l'occasion de prises de parole nombreuses, souvent imaginatives ;
       – Mais qui a mangé le loup ? d'Alex Sanders et Greg MacGregor (Gallimard J, Giboulées), qui invite à retrouver les personnages des contes traditionnels connus et leurs contextes narratifs ;
       – Alice sourit de Jeanne Willis et Tony Ross (Folio b), Ce que j'aime faire, d'Anthony Browne (Kaléidoscope), Maman était petite avant d'être grande de Valérie Larrondo et Claudine Desmarteau (Seuil J), Vite, Vite, Chère Marie ! de Erik Blegvad (Autrement J), albums dans lesquels les textes sont construits autour de « suites de verbes » (construction verbale identique d'une phrase à l'autre) : ce groupement d'albums inspirera plusieurs activités d'écriture.

D'autre part, la sensibilisation des enfants aux rimes, aux « jeux phonologiques » se poursuit à l'aide de recueils de comptines / de poèmes ou quelquefois d'albums (j'insiste sur le fait qu'il n'y a dans cette classe aucun exercice scolaire de phonologie, à l'image des « cartes phonologiques » très à la mode depuis peu). Ont été régulièrement repris Jaffabules de Pierre Coran (Hachette J) et plusieurs recueils de sa collection « Direlire » (Casterman), Ma langue au chat (Milan poche), Poèmes à dire et à manger (Seuil J) ou, au nombre des albums, Les dames de Nathalie Léger-Cresson et Isabelle Chatellard (« Quelle heure est-il, Madame Persil ? – Une heure moins le quart, Madame Placard »)...


Des activités variées de lecture-écriture

Au titre des activités de lecture-écriture quotidiennes, voici également quelques exemples qui me semblent montrer à la fois la continuité de la démarche et la variété des situations proposées aux enfants.

  *  Imaginer ses propres énoncés à partir d'albums aux formules répétitives – repérer, surligner, puis écrire individuellement :
       - Et si je donnais... d'Emmanuelle Anquetil (Mango J) inspire  « Et si je donnais mon gorille ? », « Et si je donnais Hansel ? »...
       - Et si j'étais... toujours d'Emmanuelle Anquetil (Mango J) – « Si j'étais une pieuvre, j'aurais plein de bras... Si j'étais un crabe, j'aurais une belle armure » – inspire  « Si j'étais un lion, je serais gentil », « Si j'étais une auto, je roulerais vite »...
       - Je suis une petite fille de Peter Elliott et Nathalie Grignet (Pastel) – « Alors, c'est bon les carottes, mon petit lapin ? – Je ne suis pas un petit lapin, je suis une petite fille ! » – inspire  « Je ne suis pas un short / je ne suis pas un jean / je ne suis pas un serpent... ».
  *  A partir de Maman était petite avant d'être grande déjà cité, de Ma maman de Rascal et des Mon papa et Ma maman d'Anthony Browne (Kaléidoscope), retenir certains énoncés (« maman, tu souris mieux que moi ») pour écrire une carte à l'occasion des inévitables fêtes... > maman tu ris mieux que ma soeur, maman tu danses mieux que papa... papa tu travailles mieux que mon tonton, papa tu chantes mieux que la maîtresse...
  *  A partir de l'emploi du temps de la petite souris extrait du Mémo des gens merveilleux de Régine Detambel, repérer les actions (les verbes d'action sont le premier mot de chaque énoncé) et, comme l'ont fait les GS, inventer d'autres emplois du temps ; trop difficile pour les moyens en situation d'écriture individuelle, l'activité se poursuit sous forme orale et collective.
  *  A partir du texte répétitif de l'album Le roi, c'est moi ! de Leo Timmers (Milan J) :
       - sur le texte intégral tapé (moins une phrase), repérer l'énoncé « Le roi, c'est moi ! », en surligner toutes les reprises dans le texte et l'écrire là où il a été enlevé ;
       - puis, à la séance suivante (fin mai), écrire sur la même structure ; les textes reproduits sont ceux de Ah., N. et L.
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       - « Le roi, c'est moi ! dit le serpent – Mais tu es trop long ! - Le roi, c'est moi ! dit hippopotame ».  Pour Ah., arrivé en France à la rentrée 2006, le cap du passage à l'écriture cursive est franchi. Il sait organiser ses recherches, dans les livres pour les noms d'animaux, ou sur un affichage pour l'adjectif (long).
       - « Le roi, c'est moi ! dit le paon – Mais tu es trop bleu ! Le roi, c'est moi ! dit le coq – est ». On appréciera comment, en croisant un savoir construit par les lectures (un paon) et la fiche informative (paon bleu), N. imagine de dissocier la couleur pour en faire la caractéristique « rédhibitoire ».
       - « Le roi, c'est moi ! dit l'âne – Mais tu es trop doux ! Le roi, c'est moi ! dit veau – Mais tu es trop petit ! Le roi, c'est moi ! dit le bison – Mais tu es trop ». L. maîtrise à la fois l'écriture cursive (encore des progrès à faire, par exemple sur le tracé du « i ») et la recherche dans les livres et sur les affichages : d'où ce texte long, qui inclut, au dernier qualificatif près, trois unités répétitives.

Sur un autre plan, et à la suite d'activités d'identification de textes photocopiés conduites avec les grands, certaines situations analogues sont proposées aux moyens – la complexité de l'activité étant conservée autant qu'il est possible :
       - premier exemple, avec 5 textes : un documentaire sur le loup, deux comptines (« 1, 2, 3 je m'en vais au bois... » et « 1 cuillère, c'est en vert ; 2 yeux, c'est en bleu ; 3 enfants, c'est en blanc... », un menu, un extrait de l'album Mon doudou ;
       - deuxième exemple, avec 8 textes : deux comptines (« haut les mains ! » et comptine avec nombres), un extrait de l'album Pourquoi le zèbre a-t-il un pyjama rose ?, un poème (Toujours caresser l'étoile), deux  listes (les jours de la semaine, les couleurs), une recette (la pâte à crêpes), un menu.
Nous évoquerons plus précisément les objectifs et la conduite de cette activité (qui nous semble susceptible à la fois de structurer et d'évaluer les compétences) dans des exemples que nous emprunterons cette année à la grande section.


Une séance filmée et analysée

Le 15 juin, l'enregistrement vidéo d'une activité d'écriture aide à dresser le bilan des attitudes et des compétences construites par chacun des enfants pendant cette année de moyenne section. La phrase inductrice, « Et si je donnais mon chat au boulanger ? » s'appuie :
       -sur la découverte récente de plusieurs albums de la série (humoristique) créée par Thierry Dedieu, « Les métiers de quand tu seras grand » (Seuil J) – Footballeur, Pompier, Rock star, Vétérinaire, Policier, Maîtresse d'école – et du jeu de cartes des métiers de 100drine Le jeu du chat perdu (« A comme Artiste, B comme Boucher, C comme Coiffeuse [...] V comme Voleur ! »), l'ensemble ayant conduit les jours précédents à rechercher les métiers les plus familiers et à mémoriser leurs noms ;
       -sur une structure à nouveau inspirée des albums d'Emmanuelle Anquetil, plus particulièrement  Et si je donnais...

Après une brève recherche collective, les enfants sont en activité d'écriture individuelle. Ils disposent d'une feuille de format A3 reproduisant une dizaine des cartes des métiers du Jeu du chat perdu (les noms de métiers typographiés en majuscules sont accompagnés de la forme cursive). La sélection des trois productions suivantes permet d'en montrer la diversité et de faire apparaître des conduites d'écriture tout à fait personnelles – successivement Ni., S. et B.
 
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–         « Et si je donnais mon dauphin garagiste / Et si je donnais mon chat à maman ». Ni., la plus jeune des enfants de moyenne section (née en novembre), commence à écrire en cursive : un écrit de cette longueur et de cette qualité est pour elle le résultat d'une réelle concentration.
–         « Et si je donnais mon edelweiss au policier / Et si je donnais mon panthère à Jean-Louis / Et si je donnais mon flamant rose au danseur ». On voit comment S. passe d'un imagier des fleurs, qui lui est un peu « extérieur » (et l'écriture d'edelweiss a sans doute été dissuasive), à un imagier des animaux, beaucoup plus familier. La taille des caractères de l'écriture cursive permet d'en apprécier le modelé, souvent tracé avec précision.
–         « Et si je donnais mon ane au zoologiste / Et si je donnais mon salut ! bonjour à l'infirmière / Et si je donnais mon papa au bateau / Et si je donnais mon robot / Et si je donnais mon ours à maman ». Pour B., l'écriture devient « effervescente » : à la quantité s'ajoutent des prises d'initiatives ludiques (l'inversion de « papa » et « bateau » n'est pas une erreur)... Lorsqu'elle écrit « salut ! bonjour », elle recopie le dialogue du poussin et du chat, croyant recopier le nom des deux animaux (selon le principe des autres albums de la série de Pierrick Bisinski et Alex Sanders ; or celui-ci, Tous les petits mots, est nouveau dans la classe et fonctionne différemment). Elle procède de la même manière à la ligne suivante : les mots « dépêche-toi ! j'arrive » seront ensuite (à demi) effacés.

Trois enfants écrivent encore en majuscules bâton. Voici les deux productions les plus contrastées, celle de K. et celle de M.
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        - « Et si je donnais mon chat au boucher / Et si je donnais mon bison / Et si je donnais mon les / Et si je donn / Et Et si je donnais mon loutre au voleur / Et si je donnais mon Raiponce au dentiste ». K. écrit beaucoup, sans doute de façon encore aléatoire, mais son plaisir d'écrire est manifeste. Elle prend dans un bac l'album Raiponce, le conte de Grimm illustré par Michaël Hague (Grasset, coll. « Monsieur Chat ») et en recopie imperturbablement le titre... Autre compétence remarquable : à la différence des exemples précédents, elle se plie tout au long de son texte à la contrainte d’écriture (utiliser dans chaque phrase un nom de métier).
        - « Et si je donnais mon bateau au ba barbe bleue bleue ». Même si le résultat obtenu est peu comparable aux précédents, M. est maintenant capable d'une meilleure concentration, il écrit plus et mieux. Il évite cependant d'avoir à rechercher un second énoncé en se consacrant (longuement) à reproduire le nom « Barbe bleue » (l'enseignante l'a recopié sous ses yeux en caractères bâton), puis à répéter « bleue »...


Des compétences en fin de moyenne section

Le bilan des compétences établi à la fin du deuxième trimestre pourrait être repris, dans ses grandes lignes, pour ce troisième trimestre : les compétences identifiées pour chacun des enfants se sont renforcées, les progrès se manifestent selon les rythmes très différenciés que nous avons déjà soulignés. 

     * L., D., B., N. et S. sont maintenant très autonomes en situation de lecture-écriture ; ils lisent sans hésitation les prénoms, les couleurs, quelques « petits mots » grammaticaux et sont capables de relire sans difficulté ce qu'ils viennent d'écrire.
- L. est celle qui a développé les compétences les plus manifestes : elle résoud l'ensemble des problèmes posés par une situation sans demander d'aide, passe avec facilité d'une écriture à l'autre, reconnaît de nombreux mots auxquels elle attribue un sens (si elle ne les lit pas à voix haute, elle sait se servir de cette compétence en situation). En même temps, elle prend peu la parole en petit groupe, et demeure muette dans toute situation de grand groupe.
- D. se montre très concentrée et écrit beaucoup. Elle est capable de s'interroger sur ce qu'elle vient d'écrire : par exemple, dans la situation du 15 juin, après avoir écrit  « mon les poissons », elle prend conscience qu'elle ne doit pas conserver un déterminant recopié « mécaniquement » du titre de l'encyclopédie Les poissons.
- B. écrit beaucoup, sait écrire quelques « petits mots » de mémoire (je, un, si...), passe avec aisance des écrits typographiés à l'écriture cursive. Pour ces trois enfants, des progrès appréciables ont été réalisés à la suite des séances de calligraphie (travail des mouvements de l'écriture cursive, notamment en grand format au tableau).
- N. manifeste toujours un intérêt égal aux activités proposées, passe sans difficulté d'une écriture à l'autre ; sa lenteur est cependant une entrave à la cristallisation de progrès qui pourraient, en fin d'année, être plus sensibles.
- S. a modifié son attitude et progresse vite de ce fait : elle s'implique dans les situations, passe maintenant sans difficulté en écriture cursive. C'était, dans les mois précédents, plutôt pour manifester « son caractère » qu'elle ne se mettait pas au travail ou écrivait le moins possible (contexte extrascolaire).

      * Ah., Ni. et K. progressent de façon régulière.
- Ah. fait preuve d'une grande concentration, passe maintenant d'une écriture à l'autre, recopie de façon lisible les mots, quelle qu'en soit la forme graphique. Sa connaissance de la langue française progresse rapidement : il connaît par exemple le nom de toutes les lettres de l'alphabet et s'appuie sur cette connaissance pour écrire (par exemple, en regardant « donnais », il épelle à mi-voix « d-o-n-n-a » et écrit donna sans lever la tête). Attaché à son autonomie, il ne demande rien, ce qui le conduit quelquefois à des erreurs dans sa recherche. 
- Ni., nous l'avons vu, commence à écrire en cursive et sait évaluer ses réussites et ses difficultés  (elle dit qu'elle sait écrire « p » en attaché mais pas « h » et demande à l'enseignante). Elle comprend les situations d'écriture proposées et s'y inscrit de façon autonome, ce qui constitue pour elle un important progrès. Elle consulte patiemment son alphabet pour y trouver les correspondances « typographie-calligraphie ».    
- K. a très envie d'écrire en cursive, mais n'y arrive pas encore et doit se satisfaire des tracés en caractères bâton ; elle comprend les situations, progresse en autonomie, commence à prendre en compte la dimension spatiale du texte (elle pense à revenir à la ligne au début d'un nouvel énoncé, alors qu'auparavant elle écrivait tout « en continu »).

     * Pour des raisons diverses, A., Ad. et M. ont encore besoin d'un fort guidage de l'adulte.
- A. fait preuve d'une plus grande disponibilité lors des activités d'écriture au cours du mois de mai, mais ses absences nombreuses ne lui ont pas permis de donner le meilleur d'elle-même... elle  « disparaît » d'ailleurs de l'école dès le début du mois de juin.
- Ad. est capable d'écrire beaucoup (le 15 juin, trois énoncés complets), mais ses tracés des caractères bâton sont toujours nerveux et approximatifs. Il sait recourir au capital culturel constitué dans la classe au fil des mois, mais n'arrive toujours pas à se maintenir en activité hors de la présence de l'adulte.
- M. commence à écrire en minuscules d'imprimerie, en imitant la typographie des livres sur lesquels il s'appuie. Sans accompagnement fort, il a encore des difficultés à se repérer dans les livres, mais sa capacité à se repérer dans ses propres écrits est en progrès.

A partir du mois de septembre, le groupe d'enfants auquel je vais m'intéresser est sensiblement modifié :
- A. et D. ont déménagé et changent d'école ;
- M. est éloigné d'Ad. et « glisse » vers la grande section parallèle (ce que permet le choix de ce type de fonctionnement d'école, avec 2 classes regroupant des moyens et des grands) ;
- deux enfants arrivent quant à eux de cette autre moyenne section (les deux classes ont travaillé l'an dernier de façon coordonnée) : As. est d'origine marocaine, Mu. est d'origine turque ;
- deux « nouveaux » sont inscrits : Ki. est un enfant du voyage, scolarisé régulièrement mais dans plusieurs écoles successives, Ma., d'origine française, vient d'une autre école de ZEP.
           

Un projet pour le premier trimestre de la grande section

L'idée de l'enseignante est de conduire les enfants à produire, à partir de nombreux écrits individuels, un album collectif dans lequel ils raconteront leur quotidien (personnel ou scolaire), mais de façon distanciée, en donnant la meilleure place à l'imagination et à la fantaisie... Ce projet implique la construction d'une culture de telles références dès la rentrée et tout au long du trimestre.

Une référence attendue pourrait être la collection de Jeanne Willis et Tony Ross, « Docteur Xorgol », Le grand livre des petits terriens, Le grand livre des toutous terriens, Le grand livre des titigres terriens, etc. (Hatier J) ; le point de vue d'extraterrestres qui y est adopté est cependant difficile à comprendre à cet âge... C'est pourquoi les premières lectures seront plus accessibles, tout en étant marquées par une mise à distance ironique, au moins humoristique. Les ouvrages réunis pour l'instant sont d'inspiration très diverse, croisant albums répétitifs, « documentaires », journaux intimes :
- Si le lit s'appelait loup, de Jérôme Ruillier (Casterman)
- Si je veux !, de Claudia Bielinsky (Casterman)
- Les garçons et les filles, de Grégoire Solotareff (L'école des Loisirs)
- Petits bonheurs de vacances, d'Henri Meunier (Grasset-Jeunesse)
- Le journal de Lucie, de Sara Fanelli (Seuil J)
- Lulu-Grenadine, l'histoire de ma vie, de Laurence Gillot et Lucie Durbiano (Nathan)
 - Le monde de Lucien, de Fabienne Burckel (Seuil J)
- Le journal intime de Suzy Lapin, de Tracy Dockray (Editions PêchePommePoire)

Il s'agit pour l'instant d'une « idée-cadre » de projet : celui-ci ne peut évidemment être arrêté à la rentrée, il prendra corps en fonction des remarques des enfants, des initiatives qui seront les leurs à mesure qu'ils construiront à partir des albums lus des réseaux de significations et des « possibles narratifs »... On peut entendre par « album », en ce premier trimestre et pour que ce projet ne traîne pas en longueur, une simple compilation d'écrits individuels sur grand cahier ligné, avec inclusion de dessins et de photos, le tout sous la forme brute du « vrai » journal intime (voir par exemple le dernier titre cité).

Les situations d'écriture faisant appel aux jeux d'assonances, d'allitérations, aux rimes, donc à une « culture des comptines » ne seront pas oubliées : elles constitueront au contraire un autre vecteur d'apprentissages, fondamental pour la prise de pouvoir sur la langue écrite. Nous retrouverons ainsi, au fil des mois, des situations analogues à celles décrites dans le « Journal d'une grande section » entre janvier et juin 2006, avec de nouveaux exemples, d'autres manifestations des conduites d'apprentissages : autant d'occasions d'illustrer le fait que l'apprentissage de la lecture-écriture ne commence pas au CP, qu'il s'inscrit dans une continuité des pratiques impliquant un réel travail d'équipe et un usage créatif de la littérature de jeunesse – et que c'est cette exigence, et elle seule, qui peut assurer la réussite des enfants les plus fragiles. En un mot, que les apprentissages complexes ici en jeu n'ont que peu de rapport avec ce que proposent des manuels censés « apprendre à lire » en donnant priorité à l'enseignement (mécanique et in-signifiant) de la combinatoire... manuels sur lesquels commencent à souffrir des milliers d'élèves de CP.


Bernard DEVANNE,
Professeur à l’IUFM de Basse-Normandie

Les contributions de B. Devanne sur la lecture au primaire

Lire et écrire en maternelle, après la grande section, la moyenne section (2006-2007)
- Janvier 2007 : bilan du 1er trimestre

Lire et écrire en maternelle, journal d’une grande section en ZEP (2005-2006)


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