14 novembre 2012

Les cubes de la méthode Fröbel, par Marie-Pape Carpantier


  INTRODUCTION DE LA MÉTHODE DES SALLES D’ASILE DANS L’ENSEIGNEMENT PRIMAIRE


DEUXIÈME CONFÉRENCE
Séance du mercredi 28 août 1867.

Première partie : leçon de choses sur le blé

Deuxième partie : les cubes de la méthode Fröbel

 
Je passe maintenant à un autre sujet : les cubes de la méthode Fröbel dont j’ai eu l’honneur, il y a huit jours, de vous dire quelques mots (voir infra, je cite le passage in extenso). Vous le savez, pour représenter un cube sur le tableau noir on dessine deux carrés égaux, inscrits d’un côté, l’un dans l’autre, et on en joint les angles par des lignes obliques.

Mais on ne fait pas attention que, si l’enfant n’a pas vu de cubes il ne comprendra rien à cette figure. Il y verra simplement une forme plane, et ne la rapportera jamais à un solide. Si au contraire il a déjà vu l’objet représenté, le cube réel, il en comprendra facilement la représentation.
(Mme Pape met sur la table une quantité de cubes en bois blanc de cinq centimètres de côté.)


Avant d’entreprendre le dessin et l’explication des formes géométriques, mettez-leur donc ces solides entre les mains ; qu’ils les voient de tous côtés; qu’ils les retournent, les apprécient par la vue et le toucher. Faites que ces objets deviennent pour eux des instruments de plaisir, des éléments propres à satisfaire leur besoin de créer, ce besoin providentiel qui, non satisfait, les pousse à détruire.
Qu’ils construisent avec ces cubes de petites maisons, des églises, des voûtes, des meubles même.
(Tout en parlant, Mme Pape construit un arceau.)
Ils apprendront alors par des faits palpables ce que c’est qu’une ligne, un angle, un aplomb. Un fait est toujours plus intelligible qu’une explication. S’ils cherchent l’aplomb, ils le trouveront, ils le sentiront. Ils ne sauront pas scientifiquement pourquoi ce cube, placé sur cet autre, tient dans cette position et ne tient pas dans celle-ci ; mais ils le sauront pratiquement, cela vaut mieux pour commencer. Quand plus tard vous expliquerez la raison de toutes ces choses, ils vous comprendront parce qu’ils l’auront expérimenté. Sans cette préparation concrète, soyez sûrs que vous jetteriez vos paroles au vent.
Et quand, avec ces petits cubes, ils auront construit des édifices à lasser votre admiration ! car nos inspirations déflorées sont bien stériles en comparaison des leurs, vous leur direz d’examiner ces objets, vous leur demanderez quelle en est la couleur, la forme ; combien ils ont de faces, et les enfants seront obligés de les compter. Et comment les compter sans avoir l’objet dans sa main? Vous leur demanderez ensuite si quelques-unes de ces faces sont plus grandes que les autres? Ils chercheront, et s’apercevront qu’elles sont toutes égales.
Si vous leur demandez ce que c’est qu’une ligne, les arêtes de ces cubes le leur montreront mieux que toutes les explications, mieux même qu’une ligne tracée par vous au tableau noir. On s’imagine généralement qu’il est très simple de faire comprendre à des enfants ce que c’est qu’une ligne, et sous prétexte que cela est simple, c’est par la ligne que débutent presque tous les ouvrages élémentaires de géométrie. Moi je trouve au contraire que la ligne est une chose si abstraite, si difficile à comprendre pour des enfants, qu’il n’y en a qu’une qui le soit davantage : c’est le point.
Un enfant ne comprendra jamais la ligne abstraite, le point abstrait. Le point! qui est la négation la plus absolue Ni longueur, ni largeur, ni épaisseur, c’est-à‑dire rien du tout! Comment voulez-vous qu’un enfant comprenne rien du tout? Et quand vous lui dites : Une ligne est une suite de points, comment voulez-vous qu’il comprenne une suite de rien du tout ?
Quand vous tracez une raie blanche sur le tableau et que vous lui dites : « Ceci est une ligne » vous vous trompez, et vous le trompez. Ce n’est pas une ligne que vous avez faite, c’est une surface. Quelque mince que soit la trace de votre crayon, elle a toujours une largeur ; et du moment qu’elle a une largeur, ce n’est plus une ligne, je le répète, c’est une surface. 
Je n’ai pas la prétention mal fondée de me poser en professeur de géométrie, mais je crois connaître, de toute science, au moins les petits côtés, ceux qui touchent à l’enfant, c’est pourquoi, ce que je vous dis, je le dis avec assurance.
Maintenant, vous le voyez, avec ces cubes il est facile de faire remarquer, l’enfant les arêtes, les angles, les pointes, ou angles solides. De plus, ces cubes se divisent en deux, obliquement ...
(Mme Pape opère la division.)
et chacune des sections forme une nouvelle figure : le triangle.
Vous pouvez donc faire des figures très variées avec ces seuls éléments, et les enfants eux-mêmes en trouveront encore plus que vous. Les enfants ont une imagination que rien n’arrête, une franchise d’allure, un esprit d’invention qui en feraient nos maîtres, en fait d’art, s’ils avaient ce que nous avons, hélas ! la réflexion et l’expérience !
En terminant, messieurs, je vous répète avec toute la conviction de mon esprit : Fiez-vous-en à la bonne nature, qui est l’œuvre divine. Imitez ses procédés. Elle instruit les enfants par les sens : Instruisez-les comme elle !

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Dans la première conférence,  Marie-Pape Carpantier aborde déjà les procédés de Fröbel :


"Si la lecture, malgré ses difficultés, se place avec raison à la tête des enseignements scolaires, c’est comme instrument indispensable des autres branches d’études. Il me semble, en effet, que l’ordre d’introduction, et l’importance donnée à toutes les matières de l’éducation, doivent être déterminés par leur utilité pratique. À ce titre, tout ce qui peut développer la justesse de l’œil et l’habileté des doigts s’impose à l’instituteur en même temps que la lecture ; c’est pourquoi les petits exercices géométriques inventés par Fröbel ne sauraient être trop recommandés.
La géométrie ! grand mot, haute science, bien effrayante à aborder quand on en regarde les sommets ; pleine d’intérêt et de charme quand l’accès en est sagement ménagé aux premiers efforts de notre intelligence.
Fröbel, philosophe comme tout digne Allemand, et poussant parfois jusqu’aux nuages, a cependant construit autour de cette science un chemin facile, plein de fraîches fleurs, de jeux naïfs, de saine gaieté, que les enfants parcourent en riant, et dans lequel ils ne tardent pas à courir plus vite que leurs maîtres. Avec les petits solides géométriques du fondateur des jardins d’enfants, ceux-ci construisent sans peine des maisons, des meubles, de solides enclos, de larges murailles. Ils s’appliquent à ce qu’ils font, et leur application est sérieuse; leur plaisir est de l’intérêt, leur amusement est une leçon profitable.
Je ne puis tout vous dire. Tout!... Cela dépasserait mes forces, l’heure, et votre patience.
Je terminerai donc en laissant à votre intelligence la plus grande tâche à accomplir, celle d’étendre les principes émis devant vous, non seulement aux détails que j’ai abordés, mais à tout le reste. Vous devez vous attendre à quelques difficultés au début. On ne sort point de ses habitudes sans un peu d’effort. Tout s’achète en ce monde. Mais ayez confiance! Le mieux renferme dans son sein des facilités inattendues, parce que le mieux est la direction que Dieu indique à l’humanité. Essayez donc. Vous vous tromperez peut-être. Vous vous tromperez même certainement. Qu’importe! vous vous reprendrez. Il n’y a que ceux qui ne font rien qui ne se trompent pas, si toutefois rester oisif n’est pas la pire des erreurs. Persévérez donc dans l’amélioration de vos enseignements. Point de préventions, de parti-pris. Cherchez de bonne foi. Ingéniez-vous. Mettez-y du vôtre. Votre intérêt, votre propre bonheur sont étroitement liés à ceux de vos élèves. Leur affection durable, la reconnaissance des familles, l’estime de l’administration, la sérénité de votre esprit et de votre conscience, tout s’unira pour vous affirmer, pour vous prouver la vérité de cette pensée
Travailler pour nos enfants, c’est travailler pour nous-mêmes."

Marie-Pape Carpantier, Conférences faites aux instituteurs à la Sorbonne en 1867.
     
INTRODUCTION
DE LA
MÉTHODE DES SALLES D’ASILE
DANS L’ENSEIGNEMENT PRIMAIRE




Marie Pape-Carpantier (interprétée par Marilou Berry)

source de la photo : http://lkmagazine.jimdo.com/

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