Derrière la polémique sur le festival non-mixte et racisé,
la querelle des féministes (29.05.2017)
Par Hadrien Mathoux
Publié le 29/05/2017 à 19:50
Le festival Nyansapo, au centre d'un débat houleux pour
avoir organisé des ateliers "non-mixtes et réservé aux femmes
noires", a rappelé qu'au sein même du mouvement féministe existent de
profondes fractures : tout oppose les "universalistes" partisanes de
la laïcité et les "différentialistes" qui mettent en avant des
aspects communautaires.
« Espace non mixte personnes noires ; espace non mixité
femmes et personnes assignées femme racisées » : par ces quelques consignes, le
collectif Mwasi a déchaîné une furieuse polémique sur le sens du féminisme
contemporain. Tout part du festival Nyansapo, que le groupe afroféministe
organise à Paris fin juillet. Mwasi prévoit plusieurs espaces pour organiser
des discussions, dont la majorité sont interdits aux hommes… mais également aux
personnes « non-racisées » : comprendre les Blancs. Fureur sur les réseaux
sociaux, et vive réaction d’Anne Hidalgo qui déclare vouloir interdire le
festival et saisir le préfet, avant de se raviser.
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Quelques heures plus tard, la situation est clarifiée pour
ce qui est du festival : il sera « ouvert à tous », et les ateliers «
non-mixtes se tiendront dans un cadre strictement privé ». Mais la polémique a
ravivé de vieilles querelles qui déchirent les différentes mouvances du
féminisme : celle de la mixité, et celle de l’universalisme.
"Un vieil outil des luttes d'émancipation"
Faut-il interdire aux hommes d’assister à des réunions de
féministes ? Pour Fatima Benomar, cofondatrice des EfFRONTées, la pratique est
légitime. « Les espaces de non-mixité sont un très vieil outil des luttes
d’émancipation, qui ont commencé dans les années 60 et 70, explique à Marianne
la militante. Ils ont été utilisés aux Etats-Unis avec le mouvement des Noirs
pour les droits civiques, mais aussi par les féministes ». Pour Fatima Benomar,
ce n’est pas par hostilité envers les hommes, mais pour permettre aux femmes de
s’émanciper que le principe de non-mixité de genre a été établi. « Par peur de
blesser, les femmes pouvaient s’autocensurer et refuser de parler de viol ou de
harcèlement en présence d’hommes », relève la féministe. De fait, les réunions
« 100% chromosomes XX » font moins débat que la nouvelle nuance introduite :
celle qui consiste à opérer une sélection raciale à l’entrée des réunions. On a
ainsi vu Audrey Pulvar dénoncer un procédé « raciste ». Quant à Lunise Marquis,
adjointe au maire du 12e arrondissement, elle a dénoncé le « racialisme » et
une « importation du modèle américain » en France.
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Lunise Marquis
@luniseMarquis
Le #racialisme me fatigue. Vouloir importer le modèle
#américain sur ce sujet est une méprise de ce qu'est l'#Histoire en #France
2:02 AM -
29 May 2017
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Plutôt qu’un modèle, c’est un concept venu d’Amérique que
certaines féministes invoquent pour justifier la tenue de réunions interdites
aux Blancs : l’intersectionnalité. Conçue par l’universitaire Kimberlé
Crenshaw, cette théorie étudie les « intersections » entre différentes formes
de discriminations : elle se focalise notamment sur l’oppression subie par les
femmes noires de milieux populaires, « triplement » dominées : parce que
femmes, parce que noires, parce que pauvres.
Cette analyse justifierait donc des réunions « racisées ».
C’est en tout cas l’avis de Marie Allibert, porte-parole de l’association Osez
le féminisme ! : « En tant que personne blanche, j’essaie de ne jamais me
prononcer sur une oppression subie par une personne racisée, justifie cette
militante. Je ne suis pas victime d’une oppression raciste, et si ces personnes
pensent que je n’ai rien à faire dans leurs réunions, ça ne me pose pas de
problème. » Plus largement, les partisanes de ce type de rassemblements
insistent sur le décalage entre le « système de domination en place », qualifié
de « raciste », et ces réunions qui visent à « ne pas reproduire les schémas de
domination qui existent partout ». Quant aux personnes qui assistent aux
ateliers interdits aux Blancs, elles seraient « racisées », d’après Fatima
Benomar : « On projette sur elles le concept de race, en les traitant de
“bougnoules“, de “négros“, en les discriminant à l’embauche ou au logement. »
"Une manière de brouiller les priorités"
De tels arguments font bondir d’autres féministes, qui se
définissent comme « universalistes », en opposition aux « féministes
différentialistes ». Annie Sugier, la présidente de la Ligue de défense
internationale des femmes, regrette que l’intersectionnalité soit « une manière
de brouiller les priorités afin de faire passer le féminisme derrière des
revendications autres, notamment des luttes raciales ». Dans un billet engagé
intitulé « Le racialisme est un racisme », la cofondatrice du « réseau
féministe et laïque » Les VigilantEs, Christine Le Doaré, accuse les féministes
« différentialistes » d’avoir oublié la cause des femmes pour ne retenir que
celle de la race. « Cette mouvance passe plus de temps à accuser le seul
colonialisme européen qu’à lutter contre les périls immédiats de l’islam
politique et autres régimes totalitaires, tonne la militante. Plus de temps à
critiquer un « féminisme blanc » que d’exprimer préoccupation et solidarité
envers les femmes qui subissent les diktats de la charia ici et ailleurs. »
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En réponse, beaucoup pointent le fait que la polémique
autour du collectif Mwasi a largement été relayée par l’extrême droite,
notamment par Wallerand de Saint Just (président du groupe Front national au
conseil régional d’Île-de-France). « Il y a eu une manipulation de la part de
l’extrême droite, on a agité le spectre du racisme pour créer l’agitation sur
ce sujet », s’indigne Marie Allibert.
Mais quand certain(e)s regardent la source, d’autres jettent
leur regard sur le problème : des espaces de débat instaurant une ségrégation
raciale. Les réactions de certaines afroféministes suite à l’ouverture de la
polémique posent également question. Engagées pour l’interdiction du festival,
Audrey Pulvar et Lunise Marquis ont subi des tombereaux d’injures sur Twitter,
étant notamment qualifiées de « noires de maison ».
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JOD @jo_delb
Et si @AudreyPulvar et @luniseMarquis portaient plainte
ensemble contre cet individu qui les insultent en les traitant de "noires
de maison"
12:53 PM -
29 May 2017
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Réjane, une bloggeuse afroféministe, a posté un message de
mise au point très partagé sur Facebook, dont les tonalités ne laissent pas
d’étonner : « Tu es blanc-he et privilégié-e, ton avis, ton sentiment et ta
compréhension de cet évènement ne sont pas requis car il ne t’est pas destiné
», sermonne la militante. Une rhétorique agressive, notamment contre les «
Blancs », et qui oblige parfois les féministes « différentialistes » à de
curieuses contorsions : se battre contre le racisme en ayant souvent l’air de
nourrir une obsession pour la race des individus est ardu.
Pour Christine Le Doaré, ces féministes ont perdu de vue le
combat principal de la lutte pour l’émancipation de la femme. « Les luttes
féministes sont universelles et non fondées sur l’origine, l’ethnie, la « race
» ou la couleur de peau», plaide-t-elle. « Le féminisme ne peut être
qu’universaliste, car le patriarcat est universel ! », appuie Annie Sugier.
Pour ces féministes « historiques », souvent plus âgées que les militantes de
l’autre bord, l’afroféminisme et plus largement les courants «
différentialistes » « se diluent dans le système patriarcal ». Christine Le
Doaré estime que cette mouvance « se complaît dans une haine raciste de
l’autre, “la blanche“ qui ne peut plus être la soeur, la complice, la camarade
de lutte, mais l’ennemie de race ! »
De leur côté, les « différentialistes » estiment que
dénoncer des discriminations envers les Blancs revient à invoquer un « racisme
inversé » qui n’existerait pas. Et invoquent la spécificité des problèmes
rencontrés par les femmes « racisées ». Conséquence de cette fracture : sur
l’essentiel les féministes sont incapables de parler d’une seule voix.
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