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Pascal Bruckner s’attaque avec vigueur au malaise qui
consume les sociétés occidentales : le « tiers-mondisme » qui repose surtout,
derrière la solidarité affichée, sur la haine de soi. Cette idéologie oppose un
Sud radieux, peuplé d’agneaux et de martyrs, à un Nord rapace, habité de loups
et de nantis. Une vision trop simpliste et culpabilisante qui trouve ici un
lumineux contrepoint.
http://www.seuil.com/ouvrage/le-sanglot-de-l-homme-blanc-tiers-monde-culpabilite-haine-de-soi-pascal-bruckner/9782020064910
Feuilleter des extraits.
"Le Sanglot de l'homme blanc", par Philippe Bernard
A quelques pages près, ce traité de la culpabilité
occidentale se parcourt à la fois comme une oeuvre prémonitoire et comme un
livre d'actualité.
LE MONDE | 14.08.2008 à 13h42 • Mis à jour le 14.08.2008 à
13h42 | Par Philippe Bernard
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C'était un autre siècle. Pierre Mauroy gouvernait la France,
Mobutu régnait à Kinshasa et l'éphémère Iouri Andropov dirigeait l'URSS,
lorsque Pascal Bruckner, "nouveau philosophe" de 35 ans, lança dans
la mare de la gauche majoritaire, sa charge contre la mauvaise conscience
occidentale, pièce maîtresse d'un tiers-mondisme alors bien-pensant. "
L'homme blanc est méchant" : tel était le dogme de la religion qu'il
dénonçait, vouée à l'expiation des crimes négriers et coloniaux. Alliés en
repentance, gauchistes et chrétiens constituaient les piliers de cette Eglise
dont Jean-Paul Sartre aurait été le pape. La " dépréciation du message
européen" universaliste et son corollaire, l'antiaméricanisme, en étaient
le credo.
Un quart de siècle après, (re)lire Le Sanglot de l'homme
blanc (Seuil, 1983) est une expérience fascinante. A quelques pages près, ce
traité de la culpabilité occidentale se parcourt à la fois comme une oeuvre
prémonitoire et comme un livre d'actualité. Droit à la différence contre
égalité, autodénigrement postcolonial contre refus de la repentance, et bien
sûr, Sanglot de l'homme blanc contre responsabilisation des pays du Sud : les
principaux débats qui agitent la société française, et singulièrement la
gauche, depuis vingt-cinq ans sont non seulement annoncés, mais décortiqués et
tranchés.
Signe de son influence sur l'évolution des idées, le livre,
qui avait scandalisé une partie de la gauche, ne provoquerait plus pareil émoi.
Sa principale cible, le tiers-mondisme bêlant, a pratiquement disparu. Les
reportages militants sur l'émergence d'un "homme nouveau" en Chine ou
à Cuba ne se vendent plus. Aucune ONG n'ordonne plus aux Occidentaux repus de
manger moins de viande pour lutter contre la faim en Afrique.
De même, la description comique des hippies venus se
ressourcer au contact de cultures lointaines qui ne les intéressent que comme
miroir et mise en valeur d'eux-mêmes date. L'on pense alors néanmoins à la
vogue actuelle pour le bouddhisme et la cause tibétaine. Et lorsque Pascal
Bruckner brocarde les âmes généreuses professant que, pour sauver les pauvres,
"il faut faire quelque chose et plutôt n'importe quoi que rien",
l'évocation de la récente équipée au Tchad de l'Arche de Zoé paraît limpide.
Récemment, l'émergence de la Chine, de l'Inde et du Brésil a
brisé l'image d'un tiers-monde voué à la pauvreté par l'impérialisme
occidental. La foi dans les vertus rédemptrices des pauvres et l'espoir d'un
salut du Nord par le Sud se sont aussi heurtés aux sanglantes désillusions
postcoloniales et, en France, à la dramatique conduite des affaires africaines
par la gauche. Porteurs d'espoir, les persécutés ont perdu leur innocence en se
transformant en bourreaux.
Qui aujourd'hui, après le génocide rwandais ou la mainmise
des talibans en Afghanistan, pourrait ériger a priori le tiers-monde en Terre
promise vouée au ressourcement et au repentir d'un Occident prédateur ?
L'irruption d'une Chine sans complexes en Afrique,
impensable en 1983, bouleverse les données du problème. Si le tiers-mondisme
n'est plus ce qu'il était, la rhétorique occidentale de la haine de soi, au
centre du Sanglot de Pascal Bruckner, n'a cessé de baliser le débat
intellectuel. Les clivages se sont exacerbés après le 11-Septembre. Attitude
offensive ou examen de conscience occidental ?
CULPABILITÉ POSTCOLONIALE
En 2003, Pascal Bruckner a répondu en défendant la guerre en
Irak. La problématique de la culpabilité postcoloniale n'a cessé de traverser
le débat politique. De l'attitude à l'égard des immigrés sans papiers aux
émeutes de banlieues, du foulard islamique à la repentance à l'égard de
l'Algérie ou à la loi sur le "rôle positif" de la colonisation, les
larmes moquées par Pascal Bruckner ont imprégné la plupart des grandes
controverses hexagonales de ce dernier quart de siècle.
Le plus récent discours inspiré par Le Sanglot est sans
doute celui prononcé en juillet 2007 à Dakar par le chef de l'Etat français. M.
Sarkozy y qualifie de " crime" la traite négrière et de "
faute" la colonisation, mais il exclut la repentance et appelle l'Afrique
à se prendre en main pour "entrer dans l'histoire". La droite, et
singulièrement Nicolas Sarkozy, très "brucknérien" ont su exploiter
la lassitude suscitée par les vaines pleurnicheries tiers-mondistes et la
répugnance des Français à tirer des leçons dérangeantes de leur histoire.
Prompte à ironiser sur la "victimisation" des peuples du Sud par la
gauche, la droite s'est pourtant lancée dans une croisade en faveur des
victimes de l'insécurité devenues l'alpha et l'oméga des politiques policières
et judiciaires.
De son côté, la gauche est restée prisonnière de ses
vieilles contradictions. Les "progressistes" d'aujourd'hui, partagés
entre leurs combats anticolonialistes et la conviction d'être porteurs de
valeurs émancipatrices universelles, entre le droit à la différence et la lutte
pour l'égalité républicaine, sont sortis divisés de ces débats. La
reconstruction de la gauche passe par une clarification sur ces sujets
cruciaux.
Deux thèmes majeurs étaient absents du cri poussé en 1983
par Pascal Bruckner. La mondialisation exacerbée des migrations et la prise de
conscience environnementale obligent à admettre que Nord et Sud se trouvent de
fait solidairement responsables. Les menaces que fait peser le
sous-développement par des migrations incontrôlées et une gestion anarchique
des ressources naturelles donnent un coup de vieux à la problématique de la
culpabilité postcoloniale. La lutte contre la pauvreté apparaît comme une cause
planétaire. Déjà, certaines élites africaines savent que la mauvaise conscience
occidentale a trop longtemps permis d'exonérer les responsabilités locales.
D'ailleurs, les nations asiatiques émergentes qui aujourd'hui, prétendent
"aider" le tiers-monde à se développer, ne souffrent, elles, d'aucun
complexe de l'homme blanc.
Le Sanglot de l'homme blanc, Pascal Bruckner
Seuil, 2002, 300 pages, 7,50 €
En savoir plus sur
http://www.lemonde.fr/idees/article/2008/08/14/le-sanglot-de-l-homme-blanc-par-philippe-bernard_1083679_3232.html#PwhATiWV65y6fMDW.99
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