Conflit. Djibouti-Érythrée : la frontière de la discorde (06.07.2017)
Il y a 40 ans, Djibouti obtenait (enfin) son indépendance (02.07.2017)
Conflit. Djibouti-Érythrée : la frontière de la discorde (06.07.2017)
Publié le 06/07/2017 - 12:07
Un soldat djiboutien à la frontière avec l’Érythrée, le 15
juin 2008.
PHOTO REUTERS / Omar Hassan
C’est une conséquence inattendue de la crise dans le golfe
Persique. Le retrait des troupes qataries à la frontière entre Djibouti et
l’Érythrée a ravivé la tension entre les deux voisins de la Corne de l’Afrique.
L’Union africaine va envoyer une délégation à Asmara.
L’appel de Djibouti à l’Union africaine (UA) a été entendu.
Lors du deuxième et dernier jour du sommet de l’UA, mardi 4 juillet, les chefs
d’État africains ont décidé d’envoyer une délégation de représentants en
Érythrée. Le président djiboutien, Ismaïl Omar Guelleh, avait plaidé à
Addis-Abeba pour une intervention rapide, relate La Nation :
Il souhaitait que l’Union prenne l’affaire en main pour
qu’il y ait une rapide désescalade de la tension née de l’attitude encore une
fois belliqueuse d’Asmara.”
Le quotidien de Djibouti dénonce l’attitude du voisin
érythréen : “Le président a rappelé que, depuis le retrait des troupes
d’interposition qataries, l’Érythrée avait violé le statu quo ante en se
rapprochant de la zone conflictuelle, c’est-à-dire le Ras Doumeira et l’île de
Doumeira, qui, comme chacun sait, appartiennent à la république de Djibouti et
qu’Asmara revendique de façon insensée.”
Cette frontière de 125 kilomètres, délimitée par les
colonisateurs français et italiens au début du XXe siècle, est l’objet d’une
dispute depuis deux décennies. “La première fois que ce problème a été soulevé
fut en 1996 quand Djibouti a accusé l’Érythrée de réaliser une carte du pays
incluant une partie du territoire djiboutien”, rappelle le site panafricain Pambazuka News.
Une région en proie aux crises
En avril 2008, une incursion de troupes érythréennes vers le
promontoire stratégique de la zone de Ras Doumeira raviva la tension. Mais un
accord fut signé entre les deux pays en juin 2010, sous l’égide du Qatar.
“Alors que des progrès avaient été faits grâce à l’effort de
médiation – aboutissant par exemple à la libération de prisonniers de guerre
djiboutiens en 2016 –, il y a eu étonnamment peu de progrès dans la démarcation
de la frontière commune”, juge Awate.
Le site de l’opposition érythréenne en exil regrette le
retrait du Qatar à la mi-juin, provoqué par la crise entre ce dernier et
l’Arabie Saoudite, dont l’Érythrée et Djibouti sont des alliés : “La dernière
chose dont la région a besoin, c’est une militarisation accrue.” Il liste les
guerres civiles en cours au Yémen et au Soudan du Sud et l’instabilité en
Somalie. “Quand l’Arabie Saoudite et ses alliés ont rompu leurs relations
diplomatiques en juin, le sort du Ras Doumeira ne figurait sans doute pas au
cœur de leurs calculs géostratégiques complexes”, note le journal éthiopien The
Reporter, avant de poursuivre :
Pourtant, sur cette bande de terre disputée au rude climat,
dans la Corne de l’Afrique, l’actuelle crise du Golfe menace de réduire à néant
une paix longue d’une décennie.”
En cas de reprise des hostilités entre l’Érythrée, considéré
comme un État paria, et Djibouti, terre d’accueil de plusieurs bases militaires
étrangères, le quotidien d’Addis-Abeba craint un impact économique pour
l’Éthiopie, dont l’accès à la mer dépend de Djibouti.
Mais aussi pour le reste du monde : “Cette frontière
contestée est aride et éloignée, mais stratégique, surplombant le détroit de
Bab El-Mandeb, à l’entrée sud de la mer Rouge. Plus de 10 000 bateaux
empruntent ce détroit chaque année, transportant des dizaines de milliards de
dollars de marchandises, y compris 4 % de l’approvisionnement mondial en
pétrole.”
SEBASTIEN HERVIEU
Il y a 40 ans, Djibouti obtenait (enfin) son indépendance (02.07.2017)
JEAN-PIERRE BAT 2 JUILLET 2017 (MISE À JOUR : 2 JUILLET
2017)
Il y a 40 ans,
Djibouti obtenait (enfin) son indépendance
Carte de la Côte française des Somalis, 1922 (The Times
Survey Atlas of the World).
Retour, en texte et en video, sur le long et compliqué
chemin qui a séparé Djibouti de l'indépendance, de 1960 à 1977.
Dernière terre de l’empire colonial français en Afrique
continentale, Djibouti n’a obtenu son indépendance qu’en 1977, soit près de
deux décennies après les processus qui ont conduit à l’indépendance en Afrique
de l’Ouest, en Afrique centrale et à Madagascar. Pourtant, ce n’est pas faute
d’un débat politique, fort vivace dans cet enclave française autour de la
question de l’indépendance. Trop vivace, peut-être.
C’est en 1862 sous le Second Empire que les Français
obtiennent du sultan de Tadjoura - en réalité que les Français achètent - «les
ports, rade et mouillage d’Obock situés près du Cap Ras Bir avec la plaine qui
s’étend depuis Ras Aly au sud jusqu’à Ras Doumeirah au nord». Il faut toutefois
attendre deux décennies pour qu’un semblant d’administration coloniale se mette
en place, et une décennie de plus pour que Djibouti devienne le point
d’équilibre de ce territoire (1862-1893). Le territoire d’Obock cède alors la
place à la colonie de la Côte française des Somalis (CFS). A cette colonisation
lente, aux dérives décrites et dénoncées par Henri de Monfreid au début du XXe
siècle, s’oppose au contraire une décolonisation quasi-impossible, dont la
France ne semblait pas vouloir tant que Foccart, le «Monsieur Afrique» du
général de Gaulle et de Georges Pompidou, était aux affaires (1958-1974).
Djibouti, place forte stratégique et militaire de la France en Afrique de l’Est
et aux portes de la Mer rouge, reste jalousement gardée dans le périmètre
français. Elle est la place forte militaire de la France, avec ses légionnaires
et sa base aérienne, ouverte sur le Golfe.
En juillet 1966, la colère monte et des voix réclament
l’indépendance. En août 1966, sur la route de son tour du monde (rendu célèbre
par le discours de Phnom Penh puis sa tournée «atomique» dans le Pacifique), de
Gaulle fait une escale à Djibouti. L’administration civile et militaire
considérant la visite comme un succès acquis d’avance, chacun a pu prendre ses
sacro-saintes vacances d’été sans trop de soucier des détails de
l’organisation. C’est ainsi que le gouverneur Tirant, le secrétaire général et
le directeur de la Sûreté partent l’esprit serein profiter de leurs vacances.
Grand mal leur en a pris: le 26 août 1966, c’est un véritable gifle politique
qu’assènent les Djiboutiens à de Gaulle en guise de vivats. En réalité, un
front commun s’est constitué, par tant sur des mots d’ordre indépendantistes
que sur une fronde contre l’homme fort du territoire : Ali Aref Bourham,
vice-président du Conseil du TOM qu’est la Côte française des Somalis. De
l’aveu de Foccart dans ses entretiens avec Philippe Gaillard, l’agitation est
«spectaculaire» (soutenue par les Somaliens selon lui). Il se voit même
répliquer par le sénateur Kamil : «A tout prendre, Monsieur Foccart, je préfère
être pendu par les Somaliens que de vivre sous la tyrannie d’Aref et de
Tirant.»
Prenant la parole à l’Assemblée, de Gaulle tâche de
reprendre la main et, un peu comme en août 1958 avec les épisodes guinéen et
sénégalais de sa tournée africaine, s’exclame : «Les pancartes, que nous avons
pu lire, et les agitations de ceux qui les portaient, ne suffisent certainement
pas à manifester la volonté démocratique du territoire français d’ici. Il est
possible, qu’un jour vienne où par la voie démocratique, le territoire exprime
un avis différent de celui qu’il exprima jusqu’à présent.»
Au lendemain d’août 1966, un barrage de barbelés est bâti
pour ceinturer Djibouti : officiellement, il s’agit de lutter contre
l’immigration clandestine somalie ; mais c’est aussi un outil de contrôle
politique des populations... pris en charge par l’armée française - ce que
déplorera Pierre Messmer, ministre des Armées, et qui constituera un argument
de son opposition à Foccart sur le dossier djiboutien. Or Foccart s’impose
comme un farouche partisan de ce mur, dénoncé comme un «mur de la honte» par
les nationalistes du Front National de Libération de la Somalie.
En septembre 1966, le gouvernement français annonce
l’organisation d’un référendum qui se tient en mars 1967. Mais un référendum
que la France n’entend pas perdre. Une large majorité se dégage en faveur du
maintien au sein de la République française en qualité de TOM (un peu plus de
60 % des suffrages). La CFS est rebaptisée Territoire français des Afars et des
Issas (TFAI). En réalité, rien n’a été laissé au hasard : Ali Aref a fait une
active campagne en faveur du «oui». Foccart, quant à lui, dispose de ses yeux
et ses oreilles sur le terrain : à l’été 1966, le colonel Laparra, son
conseiller militaire au sein du secrétariat général des Affaires africaines et
malgaches est nommé chef d’état-major du général commandant les forces de
Djibouti ; la relation entre Foccart et Laparra reste étroite et confiante,
traçant une ligne directe entre Paris et Djibouti, au coeur de la Corne de
l’Afrique.
Mais le véritable fil, comme ailleurs en Françafrique, est
tissé personnellement en Foccart et Ali Aref. Dans ses Mémoires, le «Monsieur
Afrique» ne cache pas avoir soutenu depuis 1960 Ali Aref, contre vents et
marées - voire contre les ministres des DOM-TOM français qui trouvaient
«détestable son comportement autocratique» selon les mots de Foccart. Et de
poursuivre :
«Mais sans être un partenaire facile, Ali Aref était fidèle
et solide. Le général n’éprouvait pas une sympathie particulière à son égard,
mais il l’appréciait, et il a tenu à lui remettre la légion d’honneur dans son
bureau, ce qui était une marque d’attention rare de sa part. Pompidou, par la
suite, a eu une même attitude (ndlr : à son tour Pompidou lui remet le 5
octobre 1972 les insignes d’officier de la légion d’honneur dans son bureau de
l’Elysée). Ali Aref était très loyal, très franc, un peu abrupt dans ses
jugements, mais de grande qualité.»
La relation entre Foccart est Ali Aref est si proche que ce
dernier demande au «Monsieur Afrique» d’être le témoin de son mariage (avec une
institutrice de Carcassonne) à la mairie de Djibouti, le 25 novembre 1971.
Après le voyage (sous la haute surveillance de Foccart) de
Pompidou à Djibouti en janvier 1973, lors de son séjour en Ethiopie et dans la
Corne de l’Afrique, resurgit aux yeux du pouvoir colonial la question de
l’opposition, de ses revendications et de sa répression. Foccart prend
personnellement le dossier en charge avec son adjoint, René Journiac.
La mort de Georges Pompidou et la tenue d’élections
présidentielles anticipées précipitent le calendrier politique du TFAI. La
campagne est violente : les camps gaullistes et giscardiens s’affrontent et les
deux délégués de Giscard prennent feu sur leur bateau, au large de Djibouti -
une affaire oubliée par tout le monde. Ali Aref a choisi son camp : celui de la
France, de Foccart et des gaullistes. La victoire de Giscard écarte cependant
le «Monsieur Afrique» de l’Elysée dès le mois de mai 1974. Le nouveau président
décide de procéder à la décolonisation des Comores et de Djibouti, ultimes
emprises coloniales françaises en Afrique. A Paris comme à Djibouti, les voix
se déchaînent contre Ali Aref. Hassan Gouled (qui a appelé à voter Mitterrand
en 1974) plaide pour l’indépendance immédiate auprès de ses soutiens français
et Giscard finit par reconnaître sa Ligue populaire pour l’accession à
l’indépendance (LPAI), créée en 1975 de la fusion de l’Union populaire
africaine (UPA) et de la Ligue pour l’avenir et l’ordre.
Un temps, René Journiac, l’ancien bras droit de Foccart
devenu «Monsieur Afrique« de Giscard, tâche de gagner le nouveau président à la
cause d’Ali Aref. Mais les temps ont changé, il n’est manifestement plus
l’homme de la situation - fût-ce pour la France.
L’indépendance, sans Ali Aref : voici le nouveau scénario
qui se dessinée fin 1975 dans l’esprit d’Olivier Stirn, secrétaire d’Etat aux
DOM-TOM. Ce dernier observe que les nationalistes somalis sont de plus en plus
déterminés, quitte à verser dans l’action terroriste comme le fait le Front de
libération de la Côte des Somalis (FLCS), comme lors de la prise d’otage de
l’ambassadeur de France à Modagiscio, en mars 1975, ou l’attaque d’un autocar
en février 1976. L’escalade de la violence, avec la riposte française
(notamment conduite par les légionnaires), est en marche. Parallèlement, les
indépendantistes ont noué des contacts avec différents intermédiaires
djiboutiens et français (dont Messmer) pour faire avancer leur thèse. En outre,
Paris considère que les Afars radicalisent leur opposition politique contre Ali
Aref. C’est sur cette analyse des tensions dans le TFAI que Stirn propose une
nouvelle ligne. L’indépendance sans Ali Aref ! Une proposition que refuse
Journiac... mais qu’accepte, finalement, Giscard.
Le conseil des ministres du 28 décembre 1975 reconnaît le
droit à l’indépendance des TFAI - quelques semaines après l’indépendance
(incomplète) des Comores. Camille d’Ornano, le haut-commissaire chargé de
préparer l’indépendance, adopte une ligne hostile à Ali Aref. Ce dernier est de
plus en plus isolé au sein du territoire djiboutien, tandis que l’opposition
s’organise hors des frontières. Mis en minorité à l’Assemblée territoriale, il
est définitivement mis à l’écart en juillet 1976 : il est condamné à
démissionner puis est exilé. Mohammed Khamil et Hassan Gouled prennent en
charge la marche à l’indépendance. Mohammed Khamil assure la transition,
composant avec Hassan Gouled puis lui cédant rapidement la place.
L’indépendance sera proclamée le 27 juin 1977, par la bouche d’Hassan Gouled,
premier président élu de la République de Djibouti (1977-1999)... où la France
conserve toutefois ses légionnaires et sa base aérienne. L’indépendance n’est
finalement pas une rupture totale en 1977.
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